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CHAPITRE 1 : SORTIR DU COMMUN

III. « UNE PRISON N’EST PAS L’AUTRE » : ETAT DES LIEUX ET DES FORMES DU

III.2. B Les « modules de respects » espagnols

Les « modules de respect » ont été mis en place pour la première fois en Espagne en 2001 dans le centre pénitentiaire de Mansilla de las Mulas (Province de León) et ont été depuis étendus à l’ensemble des établissements pénitentiaires. Le ministère de l’Intérieur présente ces modules comme des « programmes spécifiques d’intervention » en vue de la « rééducation » et de la « réinsertion » sociale : « La finalité des modules de respect est

d’installer un climat de vie en collectivité et de respect maximal entre les résidents du module. A l’intérieur de ces modules, le détenu cesse de vivre le module et ses normes comme « imposés » pour les considérer comme « lui appartenant ». Le facteur fondamental est la participation du détenu dans la vie, dans les tâches et dans les décisions du module, par le biais de groupes de travail et de commissions de détenus »172. En effet, si les personnes détenues sous le régime ordinaire (deuxième degré) jouissent d’une vie en collectivité et sont individuellement responsables de l’hygiène, de la propreté et des rapports qu’ils peuvent avoir avec les autres personnes, ce qui distingue véritablement les modules de respect des autres ce sont trois points essentiels : la participation active des personnes détenues, l’organisation en groupes de travail et l’évaluation immédiate des activités réalisées et du comportement individuel et collectif.

Ainsi, les personnes détenues sont responsables de leur module, notamment en ce qui concerne la propreté des lieux mais aussi la buanderie, la mise en place d’activités dans le module, etc. Chaque semaine, le travail réalisé par chaque groupe est évalué par les membres du personnel assignés au module et classé par groupe selon le bon comportement à la fois

172 “La finalidad de los Módulos de Respeto es lograr un clima de convivencia y máximo respeto entre los residentes del módulo. En ellos el interno deja de vivenciar el módulo y sus normas como “algo impuesto” para considerarlo como “algo propio”.El factor fundamental es la participación del interno en la vida, las tareas y las decisiones del módulo, a través de grupos de trabajo y comisiones de internos.” Site internet du Ministère

de l’Intérieur :

individuel et collectif à l’intérieur de chaque groupe ; le groupe qui reçoit la meilleure évaluation pourra choisir la zone du module dont il aura la charge la semaine suivante. Il existe également dans chaque module de respect un médiateur des conflits parmi les détenus, qui a la responsabilité de gérer le bon déroulement de la vie à l’intérieur du module et qui joue le rôle de référent pour ses codétenus. Il s’agit de développer le dialogue, la responsabilité individuelle et la négociation en groupe, mais pas de donner des responsabilités directives ni de laisser décider les personnes de la structuration du module et de la vie en son sein.

Il ne s’agit pas pour autant d’un système d’autogestion, comme le précise l’administration : « Les professionnels ont toujours le dernier mot, et il est pour cela

nécessaire qu’ils soient constamment impliqués dans la vie du module »173. Une assemblée générale a lieu tous les jours dans chaque module de respect en présence de l’ensemble des personnes du module et d’un professionnel (éducateur). Cette réunion tend à vérifier que tout fonctionne correctement, à transmettre des indications, à rappeler certaines règles, etc. De la même manière, d’autres commissions rythment la vie des modules de respect, comme des commissions de médiation des conflits, d’accueil des nouveaux arrivants, etc.

Les modules de respect se caractérisent également par l’obligation pour toutes les personnes qui y sont affectées d’être « occupées » tout au long de la journée, en s’engageant soit dans des formations, du travail ou des activités socio-culturelles de tout type. Enfin, les modules de respect fonctionnent autour d’un système d’évaluation particulièrement accrue des personnes, tant dans leur comportement individuel que dans leur comportement collectif et leur engagement dans les tâches qui leurs sont confiées : « Il

s’agit de créer une pression collective positive, qui favorise des valeurs comme la solidarité, la responsabilité et le respect mutuel »174. Chaque personne est évaluée de manière quotidienne, par les personnels de surveillance du module, et de manière hebdomadaire par l’équipe de professionnels en charge du module (éducateurs principalement).

La « normalisation » projetée dans les espaces des centres pénitentiaires « types » espagnols et l’organisation des modules de respect favorisent grandement la participation des personnes aux tâches quotidiennes et à un rythme de vie plus « normalisé », autrement dit

173 “La última palabra la tienen siempre los profesionales y por ello es necesaria su implicación constante”,

.Ibid.

174 “Se trata de crear una presión grupal positiva, que favorezca valores como la solidaridad, la responsabilidad y el respeto mutuo.”, Ibid.

basé sur un parallèle avec la vie à l’extérieure ; ces évolutions tendent donc à terme à créer du

commun à l’intérieur des murs. Pourtant, là encore, l’espace reste un instrument de gestion des

personnes détenues et un outil du maintien de l’ordre. L’observation et l’évaluation constante des personnes détenues dans les modules de respect, mais aussi directement la structuration des espaces de la prison autour de modules, permet de jouer sur une gestion différentielle des modules et des personnes, et un traitement qui se base sur la notion de mérite et qui peut de ce fait constamment être remis en question. Valérie Icard voit alors dans la « normalisation » de l’espace des centres pénitentiaires « types » « un support matériel à la mise en œuvre d’une

logique post-disciplinaire (Chantraine 2006) » : « il s’agit d’inciter plutôt que de contraindre les détenus à adopter un bon comportement. Les infrastructures participent ainsi à la logique institutionnelle, qui sépare, hiérarchise et distingue, récompense ou sanctionne les détenus. Finalement, les nouveaux droits auxquels pourraient prétendre les personnes incarcérées, loin de se voir octroyés de façon systématique, sont changés en privilèges accordés seulement à certains (Chantraine et Kaminski 2007) »175.

Ainsi, la « normalisation » de l’espace et des conditions de vie dans ces prisons

« n’empêchent pas de fait le maintien de fait des logiques institutionnelles traditionnelles, perpétuées notamment au nom des impératifs de sécurité et d’ordre intra-muros »176.

De même, si la mise en place de modules de respect favorise le développement d’une vie collective et d’une autonomisation des personnes dans les tâches et la gestion de la vie quotidienne, elle promeut par la même occasion de nouvelles formes de contrôle, basées sur l’évaluation de chaque comportement, de chaque engagement et de chaque personnalité. La surveillance, moins matérialisée dans l’espace, est bien davantage intériorisée, contrôlant les esprits des personnes dans un système permanent de mise à l’épreuve.

175 ICARD V., « Qu’est-ce qu’une prison modèle ? L’exemple des « centres-types » espagnols », Métropolitiques, [En ligne], 21 décembre 2017. Disponible sur : http://www.metropolitiques.eu/Qu-est-ce-qu- uneprison-modele-L-exemple-des-centres-types-espagnols.html , p.8.