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peines supérieures à une durée de 2 ans ; cela excluait donc les maisons d’arrêt9. Ensuite, je trouvais intéressant de pouvoir étudier deux types d’établissements :

- le centre de détention de Bapaume : avec une capacité de 599 places dont 500 hommes et 99 femmes, il offrait la possibilité d’étudier à la fois le vécu de l’enfermement chez les hommes et chez les femmes ainsi que les interactions « mixtes » à l’intérieur de l’établissement. De plus, avec une forte proportion d’auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS) chez les hommes et un fort taux de personnes vieillissantes, l’établissement présente une particularité pour l’étude de « profils » souvent marginaux et isolés dans les autres détentions. De plus, au CD de Bapaume, la majorité des personnes se trouve dans un « régime de confiance » avec « portes ouvertes », autrement dit la circulation des personnes se fait relativement facilement dans l’enceinte de l’établissement (c’est surtout vrai pour les hommes). Enfin, l’établissement propose de nombreuses activités et projets culturels et artistiques et une volonté de « mixer » de plus en plus les « publics »10 (hommes et femmes),

offrant ainsi la possibilité pour moi de suivre de nombreuses activités collectives11 ;

- le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil : nouvel établissement ouvert au printemps 2015 qui comprend une maison centrale accueillant des hommes condamnés considérés comme ayant un profil dangereux (ou difficilement gérable dans d’autres détentions) et/ou présentant un risque d’évasion important ; la conception et l’organisation de la maison centrale sont surtout tournées vers un objectif de garde ultra-sécuritaire12. Je me suis ici

intéressée exclusivement à la partie maison centrale de cet établissement, qui comprend elle- même trois quartiers maison centrale distincts (qMC1-qMC2-qMC3). Avec une capacité d’accueil totale d’environ 200 places, les qMC présentent une forte sectorisation des espaces, un isolement important des personnes détenues entre elles et une organisation basée sur un principe de stricte séparation des trois qMC entre eux. Dans un tel contexte, les activités sont proposées en groupes très réduits (4 personnes) et les déplacements à

9 Où y sont incarcérées à la fois des personnes condamnées à des peines de moins de 2 ans ou dont le reliquat de

peine n’excède pas deux ans (en théorie en tout cas) et des personnes prévenues, c’est-à-dire en attente de jugement et placées en détention provisoire.

10 J’emploie ici volontairement le vocabulaire utilisé par la direction de l’établissement qui a impulsé cette

volonté de « mixité » dans les activités.

11 Je reviendrai sur les caractéristiques du CD de Bapaume dans la suite de mon travail (Partie 1, Chapitre 1

III.1).

12 Le CP de Vendin-le-Vieil dispose également d’un quartier Centre de Détention (qCD) accueillant quelques

l’intérieur des bâtiments sont plus que limités. Il était donc intéressant pour moi de comprendre comment, dans un tel lieu, les relations interpersonnelles peuvent se développer et comment se vivent des peines très longues lorsqu’on est enfermé dans de tels espaces. Comment proposer des activités créatives collectives dans un tel lieu ? Enfin, lors de mes premières entrées, l’établissement était toujours en « phase de peuplement », autrement dit tous les qMC n’étaient pas encore ouverts : comment créer de la vie dans un établissement neuf et en cours d’ouverture ?13-14

13 Je reviendrai sur les caractéristiques du CP de Vendin-le-Vieil dans la suite de mon travail (Partie 1, Chapitre

1, III.3).

14 Si je connaissais déjà le CD de Bapaume pour y avoir travaillé précédemment, je ne connaissais absolument

pas le CP de Vendin-le-Vieil. Le seul établissement de type maison centrale que j’avais connu était alors la maison centrale de Poissy, bien loin de la réalité de Vendin-le-Vieil en termes d’architecture, d’activités et de régime de détention.

II. L’ENQUETE ETHNOGRAPHIQUE EN PRISON

II.1. Observation participante et recherche active

Les enquêtes réalisées dans les trois lieux de cette recherche ont connu des fréquences et des durées différentes. J’ai été présente au CP d’Albolote du 19 mars au 30 juillet 2015, à raison de trois jours par semaine (généralement de 8h30 à 13h30). Au CD de Bapaume, j’ai réalisé mon enquête de terrain entre le 29 janvier 2016 et le 14 décembre 2016, à raison de deux à trois jours par semaine (généralement matin et après-midi)15. Enfin, j’ai été

ponctuellement présente à la maison centrale du CP de Vendin-le-Vieil entre avril et juin 2016 à raison de deux journées par mois, avant de m’y rendre régulièrement entre le 23 juin 2016 et le 16 décembre 2016 à raison de deux à trois jours par semaine (généralement matin et après-midi)16.

La recherche que j’ai menée peut se définir comme une sorte d’hybride, dans une démarche à la fois pluridisciplinaire −ethnographie, sociologie et art− mais aussi à mi-chemin entre une approche inductive et une approche déductive. Avant de commencer cette recherche de terrain, je n’étais pas vraiment dans ce qu’on peut appeler une démarche inductive (partir d’observations avant d’en induire des hypothèses ou des grilles d’analyse desquelles on peut enfin déduire des explications, des perspectives ou des résultats), mais davantage dans une démarche déductive. En effet, mon premier sujet d’étude était au départ de comprendre et d’observer le rôle de l’art dans un environnement contraint, comme une sorte d’expérimentation pour montrer son implication sociale et ses conséquences positives en termes de développement des liens entre les individus et de créativité, vitale à mon sens pour l’être humain. Ayant déjà été confrontée au monde carcéral et à la mise en place de projets artistiques en prison, je partais d’avance avec l’hypothèse de ce que les expériences artistiques pouvaient se définir comme une sorte de liant social et provoquaient une confrontation à

15 J’ai assisté avant cela à une réunion au CD de Bapaume dans le cadre d’un comité technique local (CTL)

autour de la programmation culturelle de l’établissement le 21 octobre 2015. La préparation du projet mené en partenariat avec le musée des beaux-arts de Cambrai m’a par ailleurs amenée à participer à plusieurs réunions entre novembre 2015 et janvier 2016). De plus, j’ai eu l’occasion de revenir au CD de Bapaume dans le cadre d’une journée d’étude autour de ce même projet le 9 février 2017.

l’authenticité chez les individus (avec eux-mêmes, avec les autres, avec l’environnement), et que cette hypothèse était d’autant plus vraie dans un lieu d’enfermement comme la prison. J’étais donc clairement dans une approche déductive, cherchant à démontrer une hypothèse en l’appliquant à des observations et à des expériences, par la mise en place d’actions17. Pourtant, mes premières entrées en détention dans le cadre de cette recherche ont très rapidement compromis cette démarche et réorienté mon approche.

Ma première expérience de terrain, dans le cadre de cette recherche, s’est déroulée en Espagne, dans un contexte pénitentiaire que je ne connaissais absolument pas et dont je ne pouvais réellement préparer la découverte, si ce n’est par un nombre important d’interrogations et une grande curiosité. Mettre en place une méthodologie à proprement parler avant d’entrer au CP d’Albolote n’était ni réaliste ni réalisable pour moi, si ce n’est dans une forme très basique de listage de points à observer, comprendre et peut-être comparer avec les modèles pénitentiaires français que j’avais pu connaître avant.

Par ailleurs, consciente que je ne pouvais prétendre comprendre ce que l’art créait socialement et individuellement en prison sans comprendre dans un premier temps la réalité et le quotidien des relations sociales à l’intérieur de chaque lieu, j’ai rapidement élargi mon sujet de recherche. Il ne s’agissait plus seulement d’entrer en recherche et en action autour d’expériences artistiques, mais bien d’entrer d’abord en recherche sur le quotidien de la prison, afin de comprendre dans quel contexte plus global intervenaient ou s’établissaient l’art et les pratiques créatives. De plus, la complexité des différents contextes carcéraux étudiés, ainsi que leurs disparités, m’ont obligée à vivre une longue phase d’apprentissage des logiques, des dispositifs, des mécaniques de chaque lieu, remettant profondément en question la possibilité de faire une (première) recherche en sciences humaines à partir d’hypothèses préétablies. Enfin, c’est bien la dimension humaine et relationnelle d’une présence quasi quotidienne sur le terrain qui m’a amenée à comprendre que l’errance, l’adaptation et les rencontres faites sur le moment allaient guider à la fois mes observations et mes réflexions dans ces lieux et devenir des références méthodologiques dans mon expérience18. J’ai donc adopté dès mes premières entrées une démarche empirico-inductive afin de comprendre et d’apprendre les relations sociales en contexte carcéral. En utilisant une méthodologie

17 J’avais donc déjà imaginé un certain nombre d’outils et de méthodes pour étudier ce qui m’intéressait, et

préparé une certaine « feuille de route » de ce que je souhaitais voir, comprendre, vérifier.