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2 Approche de terrain et production d’observables

M- O-T Mot épelé ou avec rupture

2.3.2 Les représentations sociales

« « Sociolinguistique » et « prise en compte de l’altérité » ne peuvent qu’entraîner une saillance des représentations » (Robillard 2007b : 115) tout comme, pour Castellotti (2001b), les représentations en didactique des langues sont constitutives de certaines positions par rapport aux langues et à leur appropriation dans un certain contexte. Puisque les « langues n’existent pas sans les gens qui les parlent » (Calvet 2002 [1993] : 3), étudier les langues et les rapports à ces langues passe nécessairement par le fait de s’intéresser aux personnes qui les parlent et « à leur vie » (Blanchet 2000 : 94). L’intérêt est donc d’analyser « ce que les gens font des phénomènes linguistiques » (Blanchet 2007 : 270) soit leurs perceptions des langues, la manière dont elles les impliquent et dont ils les utilisent comme lecture des dynamiques sociales. L’étude des représentations sociales est donc pertinente pour ma recherche, il s’agira donc de définir cette notion avant de développer la manière dont on peut travailler avec.

Les représentations nous permettent de construire une certaine interprétation du monde qui nous entoure et que nous partageons. Elles sont donc sociales et elles « nous guident dans la façon de nommer et définir ensemble les différents aspects de notre réalité de tous les jours, dans la façon de les interpréter, statuer sur eux et, le cas échéant, prendre une position à leur égard et la défendre » (Jodelet 1997a [1989] : 47). La notion de représentation sociale peut dans une première acceptation globale être entendue comme une « forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Idem 53). Cette forme de savoir social est à la fois « produit et processus d’une activité d’appropriation de la réalité extérieure à la pensée et d’élaboration psychologique et sociale de cette réalité » (Id. 54) par lequel un témoin va interpréter le monde et construire des représentations qui sont évolutives.

La notion de représentation s’ancre donc dans une perspective sociocognitive, elle prend en compte les dynamiques identitaires, altéritaires, sociales, individuelles, collectives, interindividuelles et intergroupes,

idéologiques, etc. Elle implique les appartenances et la participation de celui qui les énonce ainsi que celui (ou ce) qui est ainsi désigné, individuellement ou collectivement. La représentation sociale remplit des fonctions « dans le maintien de l’identité sociale et de l’équilibre sociocognitif qui s’y trouve lié » (Jodelet 1997a [1989] : 68).

Dans la situation de transition sud-africaine, l’interprétation des représentations sociales va permettre d’aborder la définition des identités personnelles et sociales, qui influencent le choix des langues à l’école et la manière d’en parler, en relation aux locuteurs de ces langues et aux dynamiques sociales sud-africaines. La représentation de soi et de l’autre dans la relation didactique se situe « au cœur de l’acte d’enseignement/ apprentissage » (Porcher, 1997 : 20). À partir d’observables langagiers, de discours, de documents et de pratiques observées et/ ou discutées avec les témoins, la notion de représentation sociale va me permettre d’analyser la manière dont les langues s’insèrent au niveau scolaire dans la transformation du pays. On pourra ainsi mieux évaluer leur impact à travers la manière dont elles conditionnent en partie les interactions entre langues, locuteurs et structures scolaires.

Je parle ici de représentations plutôt que d’attitudes car la représentation « doit plus à l’étude contrastive des cultures et des identités et relèverait plutôt de concepts et de méthodes ethnologiques » (Gueunier 1997 : 248) alors que l’attitude semble plutôt liée à la psychologie sociale. Pour Gueunier, on peut travailler les représentations par « analyse des contenus et formes de discours épilinguistiques où le locuteur exprime plus ou moins directement des sentiments et des opinions sur le langage, la langue et les contacts de langue (Idem 249). Les représentations individuelles et collectives ne sont pas opposées ici dans le sens Durkheimien, je les considère comme fluctuantes plutôt que permanentes voire homogènes (Moscovici, 1997 [1989]). Les représentations sont donc entendues comme variables et mouvantes, entre individus et groupes, ainsi qu’au sein d’un même individu ou groupe selon la situation et les intentions de communication. Cette considération place également l’accent sur l’aspect communicatif de la construction des représentations sociales, qui sont à la fois générées et acquises, et qui circulent de l’individuel au collectif et vice-versa (Ibidem). On parlera en revanche d’identités sociales individuelles et collectives, construites par soi et/ ou l’autre pour soi et/ ou l’autre, qui sont alors également de l’ordre de la représentation, et dont on développe l’approche infra.

Le fait de ne pas penser ce travail comme description mais comme interprétation, non pas avec un « recueil de données » mais comme production d’observables, est lié à la manière dont la notion de représentation est ici investie. Comme évoqué supra, le chercheur est acteur de sa recherche, les représentations à partir desquelles je travaille ne sont donc pas entendues comme « reproduction d’une réalité antérieure et extérieure » à la recherche et au langage (Laplantine 1996 : 34). Cela poserait

l’existence d’une réalité par substance et d’un social fonctionnant indépendamment du langage dont le chercheur découvrirait des sens inconnus préexistants, une « illusion ontologique de l’unité, de l’identité, de la stabilité et de la permanence du sens » (Laplantine 1996 : 35). Cette posture évince totalement la notion de culture comme participant au social et se présente comme anhistorique.C’est la construction de l’identité individuelle et sociale qui réalise l’unité de la personne, « en tissant le fil qui donne un sens à sa vie » (la promesse de Ricœur). La représentation qui est formulée en entretien (ou ailleurs) « est un moment crucial dans le processus dialectique de construction de la réalité » (Kaufmann 1996 : 60). Kaufmann lie ainsi subjectif et réel. La situation d’entretien me permet donc d’avoir une position d’observation privilégiée de la construction sociale de la réalité du témoin.

On peut donc appréhender les représentations sociales comme des savoirs interprétables, tout en reconnaissant explicitement que « l’organisation latente de ses éléments fait l’objet d’une reconstruction de la part du chercheur » (Jodelet 1997a [1989] :72). Et si Moscovici met en avant l’importance d’approcher les rapports sociaux « sans les déformer ni les simplifier » (Op. Cit. 79), il m’a semblé qu’une approche explicitement contextualisée était le meilleur moyen d’en rendre compte. Effectivement, et comme on l’a vu supra, il ne me semble pas que le terme de « décrire » des représentations sociales soit pertinent. Cela reviendrait à poser les représentations sociales comme construits non négociables et « vrais ».

Dans la construction des représentations individuelles, la construction d’une interprétation, dans l’entretien entre un témoin et l’apprentie-chercheure par exemple, me semble donc faire intervenir les deux systèmes de représentations sociales construits par les interlocuteurs ainsi que leur rencontre, dans une contextualisation caractéristique (le « terrain » de Payet supra). L’interprétation se base donc sur ces trois composantes dans la prise en compte réflexive et critique (Heller 2002) ou altéro-réflexive (Robillard 2007b) de la construction des représentations en interaction. Le chercheur « se traduit » ce terrain, avant de « se le traduire à un autre » (Robillard 2007a). C’est le « se le traduire à un autre » qui rend la recherche éthique (respect des témoins) et scientifique (réinterprétable différemment par l’autre car explicitée), comme développé supra.

Prendre en compte explicitement ces éléments et étapes d’analyse des représentations, c’est selon moi résoudre le problème qui se pose de « l’absence d’une méthodologie de l’interprétation [qui] rend difficile l’évaluation et donc l’exploitation des matériaux » (Sperber 1997 [1989] : 137) par l’importance d’une posture qui admet l’altérité et la contextualisation en les prenant en compte explicitement dans la manière d’effectuer ses recherches. L’interprétation implique explicitement celui ou celle qui la construit. Ce que Sperber appelle « un travail d’interprétation explicite » quand on répond à des questions telles que « qu’a-t-il ? Que pense-t-elle ? » (Idem 136), je le formulerais alors plutôt comme « que pense-t-on qu’il a ? Que pense-t-on qu’elle pense ? » pour expliciter l’implication du chercheur.

La position de Sperber selon laquelle « l’interprétation assure […] une forme de compréhension d’autrui » (Id. 143) serait donc reformulée ici en tant qu’ « interprétation comme proposition d’une représentation des observables construit avec les autres, dont on reconnaît et dont on prend en compte explicitement l’altérité », c’est-à-dire un autre ni totalement idem ni totalement « étranger » à soi (chercheur) et au lecteur, à la fois dans l’analyse des représentations sociales, comme dans l’approche de recherche. Blanchet formule l’interprétation pour le chercheur en tant que :

« représentation qu’il est lui-même construit des représentations qu’il a suscitées et/ ou qui lui ont été communiquées selon les modalités de sa recherche, en quelque sorte de la représentation au carré mais selon deux types partiellement distincts de connaissance : une (méta-) représentation scientifique de représentations ordinaires » (2007 : 278-9).

La relation à l’altérité semble donc partie prenante de la manière dont on va travailler avec la notion de représentations. La posture adoptée fait que la notion d’altérité est importante à définir dans le cadre d’une recherche située dans un contexte où les dynamiques sociolinguistiques se nomment et se vivent différemment du contexte dans lequel ce travail est produit. De la même manière, c’est un certain rapport à l’altérité que l’on va étudier à travers les représentations sociales sur les langues, la manière dont les politiques linguistiques ont été décidées tout comme dans la manière dont leur planification semble prendre forme autrement dans la vie quotidienne des témoins de cette recherche.