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3 Contextualisation des rapports aux langues et à l’altérité

3.1.3 D’une à des didactiques des langues

On peut clairement qualifier cette langue de « français langue étrangère » à partir de son statut en Afrique du Sud et de l’histoire du pays. Cependant, il semble que la contextualisation de son appropriation fasse que l’on ne se réfère pas ici à une catégorie « français langue étrangère » qui existerait en soi. La manière d’investir la notion évolue d’ailleurs dans le pays, comme on peut déjà le percevoir. Le passage du pays à la démocratie fait que l’on questionne désormais les objectifs et les contenus de l’appropriation du FLE. Cela permet donc d’envisager une didactique du FLE qui soit contextualisée (Coste 1994b ; Beacco 2007 ;Castellotti, Moore 2008b ; notamment) à plusieurs niveaux :

- dans l’appréhension de l’activité d’appropriation (la cohérence et cohésion de la langue en fonction des actes de parole créés, les situations de communication prises en compte dans

2 En tant que l’une des treize langues non-officielles proposées, avec les onze langues officielles, réparties entre les trois

niveaux d’enseignement apprentissage des langues au secondaire : « Home Language », « First additionnal langue » et « second additionnal language ».

3 Pour pallier la diversité des termes possible en traduction, voici la version originale : « Language is a tool for thought and

communication. Learning to use language effectively enables learners to think and acquire knowledge, to express their identity, feelings and ideas, to interact with other and to manage their world. Language proficiency is central to learning across the curriculum as learning takes place through language ».

l’appropriation). Concernant le français en Afrique du Sud, la variété semble au choix de l’enseignant puisque aucune référence explicite n’est présente dans les préconisations. Les représentations situent un pôle normatif autour de la France, avec des pratiques qui dépendent de l’expérience francophone de l’enseignant et des ressources qu’il exploite (françaises et le plus souvent anglophones). Les programmes sont établis en fonction des épreuves fixées pour les examens (documents et épreuves sont déterminées à l’échelle provinciale en fonction, semble-t-il, également de la ou des personnes enseignantes chargées de cette fonction). Il n’apparaît pas de manière évidente que plusieurs variétés de français soient étudiées au niveau secondaire4.

- l’activité d’appropriation doit être contextualisée : le français est, au niveau secondaire en Afrique du Sud, étudié en tant que 2e langue additionnelle, soit, en théorie, la troisième langue d’un répertoire construit de manière guidée, on verra qu’en pratique la situation est un peu plus variée. - mais aussi dans sa contextualisation sociale plus large : les représentations des langues et leurs

fonctions identitaires sont à prendre en compte à l’échelle de la scolarité et de la société.

Ces trois sphères de contextualisation mettent en avant le fait que la notion de « langue » peut être définie et investie différemment. La « langue » semble donc se définir selon le contexte social, ce qui pour la didactique des langues peut s’exprimer à travers les liens entre l’école et la sphère sociale plus large par exemple ou entre l’école et les parcours des apprenants (Castellotti, Robillard 2001 ; Castellotti 2001b ; Castellotti, Moore, 2004, 2005 ; Lambert 2005 ; Peigné 2007a). Pour ce qui est de cette étude, on prend en compte les liens entre les langues et une contextualisation à l’échelle de la reconfiguration du pays, c'est-à-dire que les représentations des langues en classe ont à voir avec la manière dont on va situer soi-même et l’autre individuellement, dans un groupe donné, par rapport aux propositions institutionnelles et politiques, comme le propose Heller pour situer la scolarisation franco-torontoise (2002). Ce croisement didactique et sociolinguistique correspond à ce que Blanchet qualifie de sociodidactique (2007 : 242). Si je m’intéresse aux langues dans leur historicité, c’est également parce qu’elles ont été mises en avant dans la construction de l’histoire du pays comme concourant à la justification d’une certaine construction sociale, mais également car il semble que la question des langues soit importante dans la perspective d’un projet démocratique, ce que Klinkenberg (2001) souligne. Comment l’Afrique du Sud peut-elle passer d’un régime politique démocratique à une démocratisation sociale ? Les langues participent dans les

4 On verra au chapitre 5 que pour l’enseignement du français, comme pour celui de l’anglais, les variétés de langues ne sont

pas prises en compte. Le français et l’anglais semblent de manière traditionnelle et encore de nos jours être enseignés par référence aux normes européennes françaises et britanniques des langues (selon ces littératures d’ailleurs), voire en fonctions de formes de standards internationaux de ces langues véhiculés dans les manuels de langues (qui n’exploitent pas la pluralité des variétés de ces langues).

textes à la reconfiguration démocratique du pays et, en ce qui concerne les pratiques sociales, elles remplacent parfois les catégorisations « raciales » pour identifier quelqu’un.

Les langues vont donc permettre d’approcher le type de transition qui est en train de s’opérer dans le pays, des préconisations officielles jusqu’aux pratiques et aux représentations des langues au sein des classes de langues. L’enjeu des langues en Afrique du Sud comprend la volonté de reconnaissance des différentes communautés linguistiques exprimée dans la Constitution. La langue participe au processus de démocratisation car neuf de ces langues n’ont jamais eu de visibilité officielle et ont été longtemps stigmatisées, voire évincées par la dyade anglais/ afrikaans jusqu’alors. Cependant, il semblerait qu’un écart certain existe entre les politiques, les planifications, les pratiques et les représentations des langues. La transition démocratique en matière de langues semble être organisée « du haut vers le bas » à partir des nouvelles politiques linguistiques du pays, dans l’objectif d’une reconnaissance des langues historiquement défavorisées pour proposer de nouvelles bases à l’histoire du pays. La visibilité pratique des politiques linguistiques prend la forme d’une planification passive qui mènerait vers un « tout anglais », comme cela semble déjà avoir lieu au sein du gouvernement, donc une reconnaissance officielle sans réelle prise en charge de ces langues historiquement défavorisées.

Donner corps à la notion de langue, pour analyser l’investissement communicatif et identitaire des langues dans l’éducation, passe par la contextualisation des dynamiques sociolinguistiques du pays à travers son histoire. Cela permettra de mettre en regard les notions opératoires en didactique des langues avec les façons dont les langues se construisent dans le contexte sud-africain. En cohérence avec la posture construite pour cette recherche, on ne souhaite en effet pas appliquer des catégories pré-établies, mais essayer de les repenser « sur mesure » et non pas en « prêt-à-porter », comme le soulignent Castellotti, Moore (2008b : 196) et Coste (2007 : 5) à propos des approches didactiques à contextualiser en regard du Cadre Européen Commun de Référence pour les langues. Partant de l’idée que se constituent « des plurilinguismes » (Castellotti, Moore Idem), on va donc tenter de rendre compte de la manière dont les langues sont désormais intégrées au curriculum du secondaire, des politiques jusqu’aux institutions scolaires et aux choix des élèves. Les représentations des objectifs de l’appropriation des langues varient parfois et ont une influence sur les pratiques d’enseignement/ apprentissage. Le tout est intégré dans une contextualisation sociale sud-africaine (ici les écoles « ex-model C ») qu’il est important de situer puisqu’elle participe également à construire un certain rapport aux langues.

On s’interrogera donc sur le type de démocratie qui est envisagé en matière de langues, avant d’analyser les planifications linguistiques qui en ont découlé et d’interroger leur accès jusqu’aux salles de classes, pour poser la question du plurilinguisme en Afrique du Sud. Mais, pour ce faire, il semble tout d’abord

important de faire un détour par l’histoire sud-africaine, permettant d’éclairer la manière dont le rapport à l’autre et les identités se construisent. S’intéresser aux langues dans l’Afrique du Sud actuelle passe par une historicisation participant à enrichir une certaine lecture des enjeux qui se tissent autour des langues. Du regard colonial à l’apartheid, de la catégorisation par la religion - rapidement renforcée par celle émergente de la « race » - à une catégorisation par la langue, elle contribue à expliciter un rejet de l’autre qui s’est construit avec le temps, qui pèse sur le projet démocratique et influence la forme que prennent les discours sur le plurilinguisme.

3.2 Brève histoire de l’Afrique du Sud

La « transformation » sud-africaine concerne les aménagements linguistiques qui viennent d’être mis en place auprès d’élèves aux acquis scolaires et langagiers, aux répertoires et cultures éducatives très divers. Pour approcher la manière dont se positionnent les élèves et les enseignants en fonction des choix linguistiques qui sont désormais offerts, à partir des représentations des langues, il s’est avéré important d’interroger les constructions identitaires et du rapport à l’autre par une approche de l’histoire sud-africaine5.

Elle démarre par une réflexion sur la polémique de l’antériorité sur le sol sud-africain, base de revendications identitaires, territoriales et politiques dans les discours. L’émergence des identités pendant la « période néerlandaise » ne tarde pas à se construire sur des bases antagonistes dans la conquête (puis la défense) des espaces de l’Afrique australe, avant de prendre corps autour de l’opposition entre Britanniques et Boers. Cette « lutte blanche » pour le pouvoir s’accélère avec la découverte des ressources minières sud-africaines pour s’institutionnaliser sous des formes très particulières. La séparation économique et politique trouve sa justification dans une séparation « identitaire » imposée par le pouvoir, avant de devenir officielle en 1948 avec l’apartheid, qui va jouer jusque dans les années 1990 sur les nuances entre séparation et ségrégation. Après cette interprétation de la construction historique des identités, il convient de revenir sur la complexité, encore actuelle, de la création d’une identité africaine d’origine européenne. Cette question comporte des implications importantes dans les débats contemporains. En prolongement, une synthèse est développée sur la manière dont l’éducation a pris forme puis a constitué un outil de façonnement des identités et du contrôle politique par le biais les langues.

5

Cette proposition est une « version courte » d’un travail bien plus long élaboré pendant la thèse, dont j’ai essayé de ne conserver que les traits importants pour le propos tout en tâchant de conserver une certaine continuité entre les événements relatés. La version détaillée de l’histoire n’a pas été retenue pour figurer en annexe en raison de son volume ; sa réduction entraîne par définition une forme de « réduction » de l’histoire du pays, qui ne doit amenuiser en rien le fait que les conflits en Afrique australe avant 1948 ont été permanents, dans des oppositions et des alliances très variées mais toujours dans l’optique « européenne » d’asseoir le pouvoir (colonial britannique et/ ou autonome afrikaner).