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1 A la rencontre d’une jeune démocratie

1.2.1 Eléments de réforme du système éducatif

Le droit à une éducation de base est affirmé pour tous63 dans la Constitution, incluant les adultes, qui peuvent démarrer une formation ou faire reconnaître des compétences qui ne l’étaient pas du temps de l’apartheid, à travers l’instauration du National Qualification Framework (NQF), sous la direction du

South African Qualifications Authority (SAQA). Ce cadre général de formation inclut à la fois la

scolarisation et la reconnaissance de niveaux de compétence non formellement reconnus à travers une grille de qualifications de 1 à 8 (chaque niveau obtenu par un système de « credits » ou points64) qui est notamment exploitée pour la formulation de propositions d’emploi. Le NQF comporte trois niveaux officiels depuis 2003 :

- Le GET (General Education and Training), soit l’éducation et la formation générales, ce qui inclut la formation et l’éducation de base pour les adultes (ABET) et l’éducation obligatoire jusqu’à la Grade 10 (anciennement standard 8, soit l’âge de 15-16 ans).

62 Cf. chapitre 3.3.3.3.

63

Constitution de 1996, Chapitre 2, 29.

64 Pour une vision globale du système éducatif actuel, se référer à l’annexe 10b p. 45 pour un tableau du système éducatif

- Le FET (Further Education and Training), soit l’éducation et la formation secondaires supérieures - Le HET (Higher Education and Training), soit l’éducation et la formation supérieures65.

Ce cadre couvre ainsi le système général de scolarisation66 : Catégorie

NQF (diplôme)

Niveau NQF

Description du niveau épreuves linguistiques aux examens diplômants GET

(GETC= 120 points)

1 Grade 9 ou ABET niveau 4 20 points en « langue et communication », en une langue officielle (ou khoi, nama, san ou langues des signes) + la possibilité de 20 points supplémentaires si une 2e langue de ce groupe est présentée aux examens (de niveau 1) 2 Grade 10 3 Grade 11 FET (diplôme FETC = 120 points, dont 72 au niveau 4 ou plus)

4 Grade 12 Idem sauf que les deux langues sont obligatoires, la 1ere au niveau 4 et la seconde au niveau 3

5 National Certificate (1 an), Higher Certificate, national Diploma (2 ans), national first degree (3ans)

Deux langues réussies au FETC pour l’admission en HET en général (critères selon les institutions supérieures). Deux langues obligatoires67

6 Bachelor’s degree (3 ans), general first degree, professional first degree postgraduate (4 ans)

Selon cursus et université

7 Postgraduate diploma,

Honour’s Degree Aucun

HET (varient)

8 Masters, Doctor’s Degree Aucun Tableau 2. Niveaux de compétences définis selon le NQF

Quand on sait que 16 points sont nécessaires à l’épreuve de mathématiques pour l’obtention du diplôme du FETC (secondaire inférieur), on peut noter l’importance et l’intérêt d’étudier des langues qui peuvent

65 Les études supérieures correspondent à la « tertiary education ».

66 Que l’on peut retrouver plus en détails en annexe 10c p. 46.

67

Il est difficile de proposer plus de détails compte tenu du fait que la mise en place effective de la loi Higher Education Act (SAQA 2007) démarre au 1er janvier 2009. Il me semble cependant que, dans certaines universités, les étudiants doivent apprendre deux langues. C’est le cas par exemple de l’université du KZN, qui à l’initiative de ses enseignants, dispose d’un « language requirement » en sciences humaines qui fait que les étudiants doivent obligatoirement étudier deux langues. Certains y débutant le français, il est possible que les niveaux NQF requis soient variables selon les cursus et les niveaux d’études.

apporter deux fois 20 points à l’obtention du même diplôme (SAQA 2003 a&b). Il est précisé que le droit à l’éducation doit s’exercer dans la langue officielle choisie par chacun « dans les institutions éducatives publiques où c’est raisonnablement envisageable »68. A ces fins, l’état doit prendre en compte des mesures alternatives, qui restent cependant assez floues dans les textes, si ce n’est qu’elles doivent tenir compte de « l’équité, la faisabilité et le besoin de redresser les conséquences des lois et pratiques racialement discriminatoires du passé ». On verra en chapitre 1.2.3 quelles formes prennent les pratiques linguistiques scolaires en fonction de ces lois. Des écoles dites indépendantes, à fonctionnement privé, peuvent être créées du moment qu’elles « ne discriminent pas sur la base de la race, sont enregistrées auprès de l’État et maintiennent des niveaux d’éducation69 qui ne sont pas inférieurs à ceux des établissements d’éducation publique équivalents ».

Les qualifications du National Qualification Framework (NQF) évoquées supra sont définies sous la forme de « learning outcomes » que l’on pourrait traduire par « résultats d’apprentissage »70 et qui sont proposés avec des moyens pour l’évaluer (SAQA 2000) pour que « le standard attendu de réussite soit clair » ce que ne permettent pas les contenus des programmes d’apprentissages seuls. Compte tenu des conditions aléatoires de reconnaissance des compétences par le passé ainsi que le besoin estimé de reconnaître les compétences acquises, tant éducatives (supérieur inclus) que professionnelles, les qualifications du NQF servent donc de cadre et de grille d’évaluation homogénéisée. SAQA met en avant le fait que cette décision de désormais travailler à partir des notions de « compétences » et de « résultats » participe de l’inscription du pays dans le « village global » (2000 : 3) et notamment à une certaine transférabilité permettant une comparaison internationale.

Présenté comme une ligne de conduite, voire une « morale » (White Paper on Education and Training 1995 : 4), le NQF est donc sensé permettre la mobilité professionnelle également, l’accès à l’éducation et la formation, dans le but de redresser les torts multiples du passé, en bénéficiant à l’individu et donc à la situation socioéconomique plus large du pays. On est donc bien dans le cas où ce texte met en avant la possibilité de contribuer à la démocratisation sociale et l’unification du pays (la « nation » est par ailleurs citée) par le changement du système d’évaluation et de reconnaissance des connaissances et compétences. L’éducation est donc mise en avant comme concourant à la formation de futurs citoyens en plus de

68 « Where that education is reasonably practicable » (SAQA 2003 a&b). Cette précision prend toute son importance dans la

suite de ce travail.

69 Je traduis « niveaux d’éducation » le terme de « standards » de la version en anglais. On peut également parfois le rencontrer

traduit par « standards » concernant les niveaux à l’échelle nationale ou pour une classe donnée, cela désigne les niveaux scolaires attendus (pour une matière donnée) à un point donné du parcours scolaire (Ibidem).

70 Et non pas par « objectifs d’apprentissage » car cette notion se base sur l’intention (« objectifs ») alors qu’en anglais,

« outcome » relève plutôt du résultat. C’est d’ailleurs de ces « résultats d’apprentissage » que l’élève est sensé attester pour réussir les examens et autres formes d’évaluation. Balladon souligne que cela place l’accent sur ce que l’élève est capable de faire des connaissances acquises plutôt que ce qu’il connaît (2005 : 78), cf. infra.

l’appropriation de contenus scolaires ou de formation. Un des objectifs de ces réformes est de sortir d’un enseignement centré autour de l’enseignant et de l’accent mis sur les contenus d’apprentissage qui menaient à « la mémorisation et la reproduction par l’élève de contenus en segments isolés » (Balladon 2005 : 82), ce qui est communément appelé « rote learning » en Afrique du Sud, soit l’apprentissage par répétition71. Cela impliquait également une évaluation tournée vers des contenus à restituer plutôt que leur exploitation autonome par l’élève et leur transférabilité à une contextualisation donnée. Les matières apprises passent donc d’une focalisation sur les notes, la réussite orientée autour d’un format d’examen spécifique, à une évaluation continue, orientée vers la démonstration de l’appropriation par une exploitation des connaissances tout au long de la vie. Cette réforme est accompagnée dans l’éducation par l’Outcome Based Education, ou « l’éducation basée sur les résultats » (désormais OBE72), qui allait également avoir un impact sur les pratiques scolaires, à travers le Curriculum 2005 par la suite.

SAQA précise que pour la situation sud-africaine actuelle, les disparités étaient telles que la réforme devait avant tout avoir lieu au niveau du système scolaire et d’évaluation avant de toucher les curricula ensuite, tout en reconnaissant le besoin de travailler en profondeur aux pratiques pédagogiques et d’enseignement par la suite. C’est à cet effet que le Curriculum 2005 est intervenu (cf. annexe 12, p. 51). Les principes de l’OBE concernent l’intégration, la centration sur l’apprenant et la notion de progression, dans une approche que Balladon qualifie de constructiviste (2005). En théorie, cette approche entend donc prendre l’élève en compte ainsi que son parcours de vie, dans le sens où l’élève dispose dans son répertoire de certaines compétences et expériences acquises, qui vont pouvoir servir de support à de nouvelles appropriations. On peut donc supposer que le répertoire pluriel de l’élève, en tant que « pluralité des ressources linguistiques, des représentations, des contextes, des stratégies et compétences, qui se distribuent et évoluent dans l’espace et dans le temps 73» (Castellotti, Moore 2005 : 109) va ou pourrait constituer une ressource en classe. Dans la classe de langue, Balladon met en avant le fait qu’apprendre une langue étrangère participe à la construction d’une identité « culturellement compétente » dans la langue donnée (2005 : 101) qui, selon moi, et pour aller plus loin, va contribuer à renégocier l’identité de la personne à plusieurs niveaux, dans le sens du processus d’accommodation de Piaget ainsi que dans le sens de la « récursivité de la cognition » de Le Moigne (1995 : 74).

Cela me semble aller dans le sens du développement d’une compétence plurilingue tel qu’on le développe au chapitre 3.3.3. Le « pour quoi faire ? » de l’appropriation d’une langue étrangère, et du français en particulier ici, pourrait donc notamment résider dans l’hypothèse que la construction de soi bénéficie, ou

71 Apprentissage par répétition ou par cœur. Le « rote learning » est nommé comme tel dans de nombreux pays anglophones

72

L’OBE serait d’inspiration américaine selon Kamwangamalu (2008 : 7) et notamment tiré des travaux de Spady.

73 Ou en tant « qu’ensemble de ressources incluant différentes formes de pluralités constitutives configurées de façon

est parfois facilitée, par l’étude de la construction d’un autre représenté comme lointain (en tant qu’objectif) et la manière dont cet autre type de rapport l’altérité contribue à renégocier le sien (en tant que processus réflexif), ce que l’on explorera au chapitre 5. Pour l’heure, l’intérêt le plus mis en avant dans l’approche OBE pour l’enseignement des langues étrangères, dont le français, est de permettre une part active de l’élève dans son appropriation, à travers l’expression de soi, l’échange, la mise en situation et la créativité (Balladon 2005 : 102). Le travail en groupe est notamment mis en avant comme une nouveauté à mettre en place dans les pratiques existantes à cet effet. Perçue de manière assez mitigée par les enseignants74, notamment en raison de la difficulté de sa mise en place devant la variété des situations scolaires existant dans le pays, elle est tout de même présentée comme une réforme qui devrait bénéficier de révisions avec le temps.

Travaillées depuis 1994, ces réformes prennent place graduellement75. Lors de ma dernière visite de recherche en Afrique du Sud en 2006, la mise en place du Curriculum 2005 avait été retardée et les niveaux du NQF pour l’éducation secondaire supérieure (par matières) étaient en cours d’envoi aux écoles et aux enseignants. Le Curriculum 2005 est ensuite devenu effectif76, sous la forme révisée du

Revised National Curriculum Statement, pour la promotion passant le National Senior Certificate en

200877 (équivalent du baccalauréat et ancien Matric) et les niveaux NQF pour l’éducation supérieure sont entrés en vigueur à la rentrée universitaire de janvier 200978. La réforme du système éducatif est donc en cours et ses premiers effets devraient être sensibles dans les années à venir, on en développera différents aspects tout au long de la thèse. à partir des témoignages de certains élèves et des observables de certains enseignants, on reviendra sur le fait que, tout comme la démocratie n’est pas un concept atteint par le statut politique, la réforme éducative ne fait bien sûr pas non plus partie des pratiques par sa simple planification. Dans ce cadre, on peut alors s’interroger sur les mesures prises au sujet des langues.

74 Voir notamment les entretiens de Nina en 2005 (annexe 32, p. 244), en 2006 (annexe 39, p. 366), et celui d’Annie (annexe

42, p. 415).

75 Cf. Balladon (2005 : 34-70) concernant le détail de ce processus.

76 Plusieurs mesures font évoluer la structure des curricula, notamment le fait que les matières du lycée sont désormais toutes

proposées au même niveau à l’examen (niveau « Higher Grade ») alors qu’auparavant, pour une même matière, les exigences variaient selon trois niveaux, dans l’ordre décroissant : « higher Grade », « standard Grade » ou « lower Grade ». Cette mesure a été prise dans une volonté de rehausser et d’homogénéiser les niveaux de compétences, ce qui s’applique également aux langues. Le National Senior Certificate est évalué selon des notes qui proviennent à 25% d’une « évaluation interne » (travaux pendant l’année évalués par l’école) et à 75% d’une « évaluation externe » (examens nationaux). Cf. le National Senior

Certificate 2005, Chapitre 3, p. 13-15.

77 Les étudiants en Grade 10 au 1er janvier 2006 suivent le programme du NCS. Ce programme est effectif pour le Grade 11 en

janvier 2007 et pour le Grade 12 en janvier 2008 (début de l’année scolaire), date à laquelle le NCS est en place à tous les niveaux du lycée et devient la base commune à l’admission dans l’éducation supérieure et de la réussite du fin de cycle secondaire.

78 Le caractère récent voire actuel de la visibilité de ces mises en place contextualise une de mes difficultés à pouvoir disposer

d’une vision un tant soi peu globale du processus de réforme éducative en une période de recherche limitée au travail de thèse. Devant la multiplicité des textes de lois et d’aménagement éducatifs et linguistiques entre la situation de gouvernement intérimaire, la préparation des réformes et leur mise en place, j’ai choisi de ne faire part ici de ces sources que de manière succincte malgré mes lectures tout au long de ce processus.