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2 Approche de terrain et production d’observables

M- O-T Mot épelé ou avec rupture

2.3.1 Une approche située et contextualisée

« Il n’est pas rare que le contexte qualifié ou non soit présenté comme un ensemble plus ou moins statique de conditions, voire de conditionnements, qui vont influer sur l’événement qui s’y inscrit. Postulat qu’il y a lieu de remettre en cause ou de fortement nuancer, ainsi que nombre de débats en cours le soulignent à l’envi » (Coste 2005 : 7). Ce que Coste commente concernant la didactique du français s’impose aussi pour la définition que je souhaite expliciter du « contexte » sud-africain de mes recherches, qui n’est pas entendu ici comme un ensemble de conditions figées. Cette recherche en effet prend son sens dans les conditions dans lesquelles elle a été élaborée, soit à un moment précis de l’histoire de l’Afrique du Sud, en ayant démarré dix ans exactement après l’élection de Nelson Mandela à la tête du premier régime démocratique.

Dans le chapitre 1, il a semblé important de situer précisément cette recherche dans le contexte sud-africain, qu’il faut désormais définir. Selon Porquier et Py (2004), situer le contexte de ce que l’on cherche à identifier et caractériser implique un certain repérage dans un système (ou des systèmes) de relations en termes de lieux, d’espaces, d’appartenances, de cadre historique et d’événements. Situer et contextualiser c’est identifier et construire les éléments d’un cadre dans lequel certaines notions prennent le sens qu’on leur donne. Bien que la notion de contexte soit commune à différentes approches, on examinera tout d’abord les définitions qu’en proposent les sciences du langage, avant de la définir plus précisément pour le domaine de l’appropriation des langues. Définir le contexte de cette recherche va permettre de mieux situer les représentations sociales analysées ainsi à travers leurs conditions de production et leur interprétation.

En sciences du langage, on peut distinguer deux types d’acceptions pour la notion de contexte qui sont linguistique (ou « co-texte ») et situationnelle (situation). Bien que je relève certains traits sociolinguistiques co-textuels de prononciation (notamment dans les émissions de radios, cf. annexe 25 p.

145 et chapitre 4), je m’intéresse ici particulièrement à la situation contextuelle de la production des observables avec lesquels ils sont en lien. Le contexte prend donc ici en compte les productions linguistiques et les situations extralinguistiques dans lesquelles elles sont produites, au sein de l’école et dans la sphère sociale plus large, dans une analyse qui prend en compte des éléments comme les participants à l’interaction, le moment et le lieu mais également certains éléments que Porquier et Py qualifient de « plus étendus et plus diffus » (2004 : 47), d’ordre social ou idéologique par exemple63. L’objectif d’intégrer ces deux pôles de définition du contexte dans l’analyse permet d’une part de situer les propos dans une situation sociale historicisée et, d’autre part, d’expliciter certaines relations entre ces deux pôles. Ainsi, en Afrique du Sud, qualifier une personne d’ « Afrikaans » ou d’ « Afrikaner » n’aura pas les mêmes implications sociales quand à la manière de se positionner soi et la personne désignée. Il y a fort à parier également que le rapport aux langues du pays et le choix d’apprendre certaines langues à l’école se trouvent affectés par ce positionnement. La situation de communication sera à prendre en compte, notamment dans le cadre d’un entretien que j’aurais réalisé avec un témoin, puisque mon implication n’est pas sans effet sur cette situation, mais elle nécessite également la prise en compte du contexte plus large, qui inclut l’histoire du pays.

Cette relation entre discours et contexte, ou l’extension de la notion de contexte linguistique à celle de « contexte de situation » (Porquier, Py 2004 : 48), puis de contexte social, est développée à partir des années 1960 par la sociolinguistique et l’ethnographie de la communication. L’apport de Hymes (1991 [1974]) a notamment influencé les approches communicatives, basées sur le sens et le contexte (Castellotti, Moore : 2008b), suite à l’apparition de la notion de contexte dans la méthodologie SGAV de la fin des années 1950. A travers le modèle SPEAKING, Hymes propose huit clés64 pour caractériser une situation de communication. Cependant, on ne souhaite pas ici se cantonner à la situation de communication comme contexte à analyser, en tant que « contexte-cadre » (Porquier, Py 2004 : 49). En effet, il me semble important de souligner l’importance de prendre en compte le contexte aussi dans le sens où « le terme de contexte peut dénoter une dimension socio-historique plus large que celui de situation » (Id. 50).

Je travaille donc à partir d’un contexte partiellement construit, propre aux dynamiques sociolinguistiques du pays, pour le déconstruire et le reconstruire, le détisser et le retisser, afin d’en proposer un « recadrage » (Coste 2006). Ce recadrage résulte de l’analyse de la rencontre des politiques linguistiques avec les pratiques et les représentations observables, pour offrir une contextualisation qui est le produit de la prise en compte d’une histoire et d’un « construit ensemble » dans une analyse qui considère le projet

63 Cela fait d’ailleurs écho au « scènes absentes » de Payet (Op. Cit.) qui participent toutefois à l’articulation des « différentes

échelles et plans de l’action » avec la scène observée.

démocratique sud-africain. La définition d’un certain contexte, et les critères pour le définir, ne sont donc ni stables ni figés (Porquier, Py 2004 ; Coste 2006) car on ne peut pas poser les critères pertinents du contexte a priori de l’analyse, mais plutôt par « recadrages » tout au long de la recherche. La notion de contexte est donc plutôt entendue comme « dynamique et instable » comme Castellotti et Moore le rappellent d’ailleurs en lui préférant le terme de contextualisation (2008b : note 20). Porquier et Py considèrent que le contexte « n’est pas une détermination extérieure des phénomènes langagiers, mais bien plutôt le produit (toujours instable et provisoire) de l’action collective des partenaires engagés dans les activités langagières » (2004 : 13). Je travaille donc ici à partir d’un produit qui se renégocie tout au long de la recherche, selon le « tissage » développé supra.

La notion de contexte en didactique des langues implique la prise en compte des situations de communication pour l’élucidation et la construction de sens en langue étrangère, créant alors un lien entre l’apprentissage et sa situation ainsi qu’une situation de communication potentiellement plausible dans un contexte élargi, par l’appropriation d’une compétence de communication. L’apprentissage est donc contextualisé aux « besoins » et objectifs de la situation d’appropriation, tout en s’ouvrant à des situations de communications plus larges, projetées comme dépassant l’environnement institutionnel et visant à l’interaction en langue «cible». Dans le cas où l’on cherche à développer une compétence de communication, une situation de communication en classe de langue est donc étroitement liée à une situation de communication dans un contexte plus large, tout comme, à l’inverse, la classe de langue se fait le lieu d’explicitation de situations de communications extra-scolaires introduites au sein de la classe par les élèves ou l’enseignant (Peigné 2008a).

On dépasse ainsi la distinction « contexte naturel »/ « contexte guidé » (Castellotti, Moore, 2008b : 187) en marquant un lien existant entre le contexte de la salle de classe et le contexte social, qui se construisent et s’éclairent l’un l’autre. Comme le développent Castellotti et Moore concernant les espaces privilégiés d’apprentissage dans une perspective plurilingue, le cadre didactique ne peut être considéré indépendamment des contextes dans lequel il s’insère et qu’il contribue à constituer :

« Le cadre didactique apparaît alors comme une composante d’un contexte d’appropriation, lui-même

beaucoup moins délimité dans le temps et dans l’espace et défini par des paramètres décrivant des continuums (entre dimensions micro- et macro-, objectives et subjectives, statuts des langues et des situations d’appropriation notamment). Ce contexte d’appropriation s’organise selon trois niveaux : celui de la langue, celui de la situation et celui de l’acquisition » (2004 : 9).

C’est sur ces contextes sociaux de l’appropriation, dont l’élève fait partie, qu’il va être intéressant de se pencher, puisque c’est notamment là que de nombreuses questions se posent au sujet des langues en Afrique du Sud.

Dans la situation sud-africaine, on s’intéresse à deux éléments majeurs et surtout à leur rencontre. On s’intéresse d’une part à une dynamique de type top down à travers la manière dont les politiques linguistiques sont élaborées vers leur mise en place. D’autre part, on utilise une approche de type bottom

up65 où, à travers les représentations sociales construites en interaction, un contexte différent de relations aux langues se crée, ne correspondant pas au premier. La rencontre, et l’inadéquation, entre ces deux dynamiques prennent forme à travers la liberté donnée aux établissements de mettre en œuvre les aménagements linguistiques appropriés « selon les disponibilités pratiques » de la Constitution. On développera en détail par la suite le fait que ces deux dynamiques, des politiques linguistiques jusqu’à l’école et vice-versa, ne correspondent pas et créent une nouvelle contextualisation pour les écoles « ex-model C » qui est celle de se tourner vers « d’autres langues », dont le français.

En Afrique du Sud, le contact entre les langues est relativement tabou puisqu’il renvoie directement au contact entre des personnes qui appartiennent à des groupes officiellement distincts (jusqu’à très récemment) et donc différents. Faire le choix d’une langue à apprendre n’est pas un geste anodin, c’est même un geste assez chargé qui porte l’implication d’une forme d’identification, ou de rapprochement, au groupe locuteur de la langue « cible ». Si le français est une « langue étrangère » en Afrique du Sud dans le sens de Dabène (1994 : 29), la contextualisation de son appropriation, dont on verra différents aspects tout au long de ce travail, semble en premier lieu conditionnée par la relation complexe de « distance » perçue à cette langue (cf. partie 3).

Le contexte d’appropriation hétéroglotte est souvent mis en avant comme un frein à l’appropriation du français en Afrique du Sud par certains enseignants et étudiants ; il est intéressant d’observer comment cela se manifeste et avec quels effets. Le macrocontexte est entendu de manière générale comme « l’ensemble du contexte social ou institutionnel dans lequel s’inscrit le micro-contexte » (Porquier, Py 2004 : 59). Pour une approche top down de la situation sud-africaine, on prendra en compte (chapitre 3) les politiques linguistiques et éducatives qui participent à la transition démocratique du pays, la place et le statut des langues dans l’institution scolaire, sur une échelle historicisée pour les aborder dans la situation du KwaZulu-Natal et de la spécificité des écoles et des publics « ex-model C »66. C’est donc à partir d’une prise en compte large, puis ciblée à la province concernée, que l’on considère le macrocontexte de cette étude, pour ensuite se focaliser, par une approche bottom up, sur les pratiques et les représentations

65 Alexander est en faveur, depuis le début des années 1990, d’une approche de la planification linguistique « de bas en haut »

ou « bottom up », notamment suite aux travaux de Chumbow (Heugh 1999 : 77), qui dénonce la politique linguistique gouvernementale sud-africain comme « trop du haut vers le bas » et ayant plus de chance de réussir si elle se basait sur les retours des « structures de la société civile ». Je suis d’accord avec cette position et c’est notamment pour cette raison que le présent travail exploite à la fois l’approche des politiques linguistiques vers les pratiques et représentations, avec les inadéquations que cela met en lumière, et, en retour, un travail à partir des pratiques et représentations qui mettent en avant d’autres besoins.

des langues officielles et du FLE dans le contexte de classe, de la part d’élèves et d’enseignants, puis d’étudiants. En considérant « l’apprenant comme une des entités du contexte » (Porquier, Py 2004 : 60), le cadrage choisi prend donc en compte des traits collectifs et individuels d’ordre sociolinguistique des témoins rencontrés inscrits dans un parcours d’appropriation du français, pour en analyser les pratiques et les représentations des langues. Ce cadrage permet la rencontre de deux mouvements inverses de contextualisation afin d’obtenir un certain éclairage sur la manière dont les politiques linguistiques et les représentations des langues en école « ex-model C » se rencontrent ou non sur un terrain commun de pratiques.

Il semble en effet, pour certains élèves et enseignants, que le macrocontexte hétéroglotte (Porquier, Py 2004 : 60, Rosen 2005 : 130-131) de l’apprentissage du FLE dans le pays pénalise une certaine projection, voire un certain investissement, individuel dans des situations de communication en français (cf. chapitre 5). Plusieurs dynamiques semblent concourir à cela, en premier lieu le degré de xénité perçu de cette langue.

Dans l’enseignement supérieur en revanche, le français va à la rencontre de publics plus larges et diversifiés, en termes de parcours pluriels et de types de formations. Les étudiants peuvent en démarrer l’apprentissage de manière plus libre : si les études supérieures ne sont pas accessibles à tous, elles voient tout de même une diversification significative de leurs publics depuis la démocratisation du pays, en termes de population sud-africaine mais également africaine et internationale. Au niveau des pratiques, les programmes, les supports et les thématiques d’enseignement sont en pleine restructuration ; des recherches d’étudiants du supérieur sont en cours à ce sujet, notamment à travers ceux en didactique du FLE encadrés par F. Balladon à l’université du KwaZulu-Natal et par V. Everson pour l’Université du Cap (cf. chapitre 5 et 6).

Au niveau de l’éducation secondaire, les écoles « ex-model C », cadre didactique quasi exclusif de l’enseignement du FLE, semblent tout de même encore assez peu diversifiées en termes de publics. On assiste donc au croisement d’un public d’élèves dans le secondaire dont les objectifs d’appropriation du français sont autres, et d’une promotion du français, visant une francophonie plus large et notamment africaine, qui touche plutôt le public du supérieur (cf. annexe 14, p. 58).

On prend donc en compte, dans cette situation particulière, le contexte social large de la situation didactique dans laquelle le français s’inscrit en Afrique du Sud. Cela correspond à ce que Porquier et Py qualifient, à partir de Stern, de « contexte social d’enseignement et apprentissage de langue » (2004 : 53), qui met notamment en avant les critères éducatifs, historiques, politiques, économique, linguistique et socioculturel à différents niveaux hiérarchiques comme à travers le cadre (inter)national, la région,

l’environnement familial, social et scolaire, etc. pour le qualifier. La particularité du groupe d’élèves que j’ai rencontré réside dans le fait que, à l’inverse de ce que proposent Porquier et Py (2004 : 53), une certaine configuration socioculturelle est imposée par le type d’institution que représente une école « ex-model C », qui est le plus souvent privée.

Même si les élèves représentent une diversité de configuration en termes psychosociaux individuels, l’histoire du pays fait que ces écoles regroupent majoritairement des élèves dont l’anglais est la langue de scolarisation, qui sont de position sociale aisée, de confession chrétienne67 avec un parcours international amorcé ou projeté. Cela n’ôte cependant rien à l’importance de la prise en compte individuelle des élèves, de leur parcours de vie et de leurs représentations, que l’on va ensuite considérer à partir des enquêtes et des entretiens réalisés.

La notion de contexte demande à être « reformatée » selon ce à quoi elle sert et selon ce dont on cherche à rendre compte (Porquier, Py 2004 : 108 ; Coste 2006). Cela permet de proposer des éclairages sur une situation ou un environnement donnés, qui viennent mettre en lumière certains traits encore non perçus ou étudiés. Ici, le contexte renseigne et pose des questions, traitées dans ce travail, qui jouent sur des formats ou décalages de contextes (Ibid. 109), par exemple concernant :

- la diversité des types de francophonie projetée ;

- la proximité/ distance perçue aux langues et la question de la « difficulté de l’identification au français » projetée par les enseignants, donc en lien à l’altérité ;

- la formation des enseignants, à travers les habitudes et pratiques d’enseignement du français, l’approche de l’enseignant et son rapport aux langues ;

- la finalité des apprentissages de langues dans le secondaire, qui sont peut-être avant tout considérés comme des « matières au bac » plutôt que participant à la construction d’une compétence (de communication ou autre).

Ce travail se veut donc une analyse contextualisée dans le sens où la situation de l’Afrique du Sud est étudiée pour la période 2004-2008, mais en intégrant à cette étude une partie importante sur l’histoire du pays, qui mène aux dynamiques actuelles concernant les langues. Cette étude inscrit également la contextualisation sud-africaine dans le projet démocratique du pays. Cette analyse est par ailleurs contextualisée dans le sens où on situe ce travail dans une configuration particulière : une étude française pour une thèse de doctorat au sujet des langues et du français en Afrique du Sud. Cela participe donc d’une approche consciemment située, notamment à travers la prise en compte des représentations sur les

67 Les écoles traditionnelles britanniques sont religieuses et plus particulièrement protestantes, même s’il est possible de

langues et de leur construction dans un dialogue où les identités attribuées aux protagonistes (par soi, par l’autre) fluctuent selon les regards et la situation de communication.

Tout comme la notion d’altérité sera développée (au chapitre 2.3.3), celle de représentation sociale est donc au cœur de cette recherche, comme produit de recherche observable, mais également comme condition de la production des observables, résultant de l’interaction entre l’apprentie-chercheure et différents témoins. Ces deux pôles reprennent la manière dont Jodelet (1997a [1989] : 54) considère la représentation sociale comme modalité de pensée sociale sous son aspect « constituant » (processus de construction) et son aspect « constitué » (produit). On prend donc ici en compte les représentations sociales comme élément de la construction d’une approche tout comme en tant qu’observable à analyser.