• Aucun résultat trouvé

2 Approche de terrain et production d’observables

M- O-T Mot épelé ou avec rupture

2.3.3 Le rapport à l’altérité

« L’autre n’est pas seulement la contrepartie du même, mais appartient à la constitution intime de son sens » (Ricœur 1990 : 380).

J’étais marquée, lors de ma première visite en Afrique du Sud, par les écarts existant entre les vies des différentes communautés en Afrique du Sud, mais surtout par un refus de l’autre plus ou moins marqué que je pensais observer de toute part et qui était en conflit direct avec ma conception du rapport à l’autre, construite sur une représentation de différence légitime et nécessaire. Cette rencontre avec une altérité forte n’était pas une première rencontre avec l’altérité mais elle était importante dans son apparente intransigeance et une certaine séparation des rapports sociaux entre différents groupes, avant de se complexifier. Cela allait, comme on l’a vu, influer sur la faisabilité pratique et théorique de la recherche. Cette notion d’altérité a également constitué une clé d’interprétationdes représentations des langues dans le système scolaire. On va donc définir les notions d’identité et d’altérité à partir de Ricœur, dont la définition permet d’articuler identités collectives et individuelles, avant de développer ces notions dans le cadre du projet de vie et d’aborder les représentations de l’identité/ altérité.

La notion d’identité comporte deux dynamiques68 selon Ricœur, puisque la notion de « mêmeté » implique le cadre d’une comparaison (1990 : 12-13). L’identité-idem (permanence dans le temps) serait donc ce qui relève de la « mêmeté » et l’identité-ipse (changeant, variable) celle qui relève de l’ipséité, les deux fonctionnant dans une dialectique complémentaire : la dialectique du soi et de l’autre que soi.

La mise en relation de l’identité-idem et de l’altérité fait que cette dernière est alors définie par opposition au « même » : l’altérité est dans ce cas ce qui est « autre », « contraire », « distinct », « divers » (Ibidem). Mais cette mise en relation de l’identité-ipse et de l’altérité implique également que l’altérité est constitutive de l’ipséité : « l’ipséité du soi-même69 implique l’altérité à un degré si intime que l’un ne se laisse pas penser sans l’autre » (Ibid. 14). Dans un premier temps, identité et altérité sont donc liées.

Le lieu de la confrontation de ces deux composantes du concept d’identité est l’identité personnelle. Celle-ci ne peut « s’articuler que dans la dimension temporelle de l’existence humaine » (Ibid. 138) et c’est cette implication temporelle qui met en avant la problématique de la différence entre la « mêmeté » et l’ipséité : « c’est avec la question de la permanence dans le temps que la confrontation entre nos deux versions de l’identité fait pour la première fois véritablement problème (Ibid. 140). L’identité personnelle tourne donc autour de la quête d’un « invariant relationnel » afin de se constituer une permanence dans le temps (mêmeté) tandis que l’autre entre dans la composition du même par identifications acquises, rattachées à la disposition (ipséité) :

« Pour une grande part « l’identité d’une personne, d’une communauté est faite de ces identifications-à des valeurs, des normes, des idéaux, des modèles, des héros dans laquelle la personne, la communauté se reconnaissent. Le se reconnaître-dans contribue à se reconnaître-à [...]. On en peut donc penser jusqu’au bout l’idem de la personne sans l’ipse » (Ibid. 146-7).

L’identité pour soi dépend donc de la relation à l’autre (identité pour, par et avec l’autre) puisque cet « autre » intervient dans la construction du « même ». L’idem et l’ipse sont étroitement liés et leur différence70 se marque entre la mêmeté du caractère et le maintien de soi-même dans la promesse (Ibid. 150). La médiation des deux se trouve dans la temporalité car ce sont deux modes de permanence : la persévération du caractère (idem) et le maintien de soi dans la promesse (ipse). Ainsi, la manière dont les

68 La troisième, l’identité narrative, n’est pas développée ici.

69 Le « soi-même » étant pour Ricœur une expression à effet de renforcement du « soi ». « Renforcer c’est encore marquer une

identité » (1990 : 13).

70 On marque ici la différence entre les deux pour les expliciter, mais l’ipse n’est pas toujours distinguable de l’idem : le

caractère comme « ensemble des dispositions durables à quoi on reconnaît une personne » (Ricœur 1990 : 146), représente la limite où on peut ne pas discerner ipse et idem, le caractère comme « quoi » du « qui » (Idem 147). C’est une disposition acquise donc temporelle, à laquelle s’attache l’habitude (contractée et déjà acquise), qui donne une histoire au caractère. Cette histoire se sédimente, intégrant et abolissant l’innovation qui la précédée : c’est cette sédimentation qui confère au caractère la sorte de permanence dans le temps soit recouvrement de l’ipse par l’idem. L’ipse s’annonce ici comme idem, même si cela reste deux problématiques différentes pour Ricœur.

témoins de cette recherche vont définir leurs langues et celles de l’autre vont donner à voir certains positionnements identitaires. Quelles vont être les langues qui semblent participer à la construction d’une identité pour soi ? À quelles représentations vont-elles être associées ? Dans quels objectifs ?

Cette définition de l’identité/ altérité par Ricœur, qui permet de distinguer l’idem et l’ipse, me semble correspondre à la manière dont Camilleri (1986 [1980] : 331) définit l’identité en tant que dynamique « dialectique » fonctionnant par « identification » et par « différentiation » (Ibidem) ou « identisation » (Tap 1986 [1980] : 12) entre soi et l’autre. Au-delà du fait que « les sociétés ne traitent pas également les deux volets du processus » identitaire (Camilleri Idem 332), comme cela est illustré tout au long de ce travail, cette dynamique n’est pas le seul mode de fonctionnement de l’identité. Celle-ci peut également avoir tendance à se « rétracter » (Camilleri Id. 331) en refusant, consciemment ou non, d’admettre l’apport de l’autre dans l’identité de soi. C’est ce que Camilleri qualifie d’« identités pauvres, défensives, régressives, tendant vers l’identité mécanique » (Ibidem), que l’on peut parfois observer dans le positionnement de certains témoins71 et qui est en opposition avec le fonctionnement de l’identité dialectique.

Le caractère dialectique de l’identité ainsi définie articule les notions d’identité individuelle et collective, en ce que la part active de l’altérité dans la construction de l’identité individuelle fonctionne par identification et identisation à un autre social : « l’identification se fait surtout par affiliation à des groupes sociaux ou extra-sociaux […]. Les rôles sont ce que les groupes attendent que les individus fassent et donc, soient », ce qui implique pour Camilleri l’inscription dans une « culture de référence » donnée (Idem 332) quand il y a identification et donc émergence d’une identité collective. C’est la manière différenciée dont l’affiliation à ces groupes a lieu à l’initiative de l’individu qui construirait l’identité individuelle. L’individu « dispose (à des degrés divers selon les contextes sociologiques) d’un jeu de sous-identités collectives, et son identité individuelle proviendrait surtout de la manière dont il les ordonne, les investit et les désinvestit » (Ibidem). Camilleri fait l’hypothèse que ces manipulations sont bien souvent collectives, les identités collectives évoluant et mettant en avant certains traits variables selon les objectifs du groupe à défendre socialement. Il me semble qu’en Afrique du Sud, dans la contextualisation du projet de « vivre ensemble » constitué par l’objectif démocratique, ces identités individuelles et collectives, et la manière dont l’autre est construit en relation à la propre identité de soi

71 Comme Antjie qui refuse de partager une identité francophone commune avec les locuteurs noirs d’Afrique du Sud par

exemple, ou encore certains auditeurs de V. Mbuli qui, se considérant anglophones de tradition (par rapprochement à la Grande Bretagne), dévalorisent l’anglais d’autres locuteurs sud-africains en se sentant plus légitimes. « La production de l’identité est intimement liée à la production du rapport social » pour Camilleri (1986[1980] : 339) et la substantialisation de l’identité participe pour elle d’une « tentative d’immobilisation de ce rapport en faveur de celui à qui il profite ». (Ibidem). La fonction « ontologique » de l’identité prévaut alors en tant «que « poser l’être comme une certaine configuration de sens » (Idem 342), de manière défensive et/ ou offensive, et perd sa fonction instrumentale (dans le sens d’adaptation à l’environnement) qui la rend dynamique et dialogique.

que l’on projette, évoluent. On peut tenter d’en analyser l’évolution à partir des discours et représentations sur les langues et sur les autres.

Les représentations des langues et de leurs locuteurs sont en effet souvent, dans les observables construits, liées au projet de vie exprimés par les témoins : se situent-ils en Afrique du Sud ? Ailleurs ? Comment ? Pour quoi faire ? La projection de soi dans le futur implique certaines langues plus que d’autres et touche à la manière dont les témoins s’identifient, en relation à un autre72. Cette manière d’affecter l’autre (et que l’autre a de nous affecter) participe au projet de la « vie bonne73 » selon Ricœur, dans une primauté de l’éthique sur la morale et de la visée sur la norme : « bien vivre avec et pour autrui dans des institutions justes ne se conçoit pas sans l’affection du projet de bien vivre par la sollicitude à la fois exercée et reçue » (Op. Cit. 381). Cette dimension téléologique (dans son sens moderne) m’intéresse dans la perspective d’étudier, à travers les représentations des langues, la manière dont les témoins s’investissent dans le projet démocratique sud-africain (et avec quelles langues ?). En effet, la faisabilité de ce projet d’« unité dans la diversité » dépend, selon moi, en partie de la manière dont les identités et les catégorisations de l’autre vont être affectées ou non par la transition du pays. Un des objectifs de l’instauration de la démocratie semble être de tendre vers une construction d’un rapport à l’autre qui puisse être « positif » par opposition à la manière dont il s’est historiquement construit, puis figé pendant l’apartheid.

Considérer l’autre autrement « implique que l’Autre ne se réduise pas, comme on le tient trop facilement pour acquis, à l’altérité d’un Autrui » et passe donc par une prise en compte de la polysémie de l’altérité (Ricœur 1990 : 368), qui entend notamment en français :

« Deux termes pour désigner celui qui n’est pas soi : « autrui » (le prochain) qui suppose une communauté et/ ou une proximité sociale, en raison de la participation partagée à une même totalité (qui peut aller du groupe à l’humanité), et « autre » (l’alter) qui suppose une différence et/ ou une distance sociale découlant d’appartenances (territoriales, généalogiques, génériques, etc.) distinctes. Les implications de ces deux termes conduisent à des problématisations différenciées de la relation entre ce qui est soi et ce qui ne l’est pas » (Jodelet 2005 : 29).

Ne voir que l’altérité comme « autrui » reviendrait à ne le percevoir qu’à travers sa différence dans une forme qui reste proche de soi. Ne voir que l’altérité comme « autre » reviendrait à le considérer sans sa

72 Ricœur (1990) désigne « l’autre » au singulier tout comme Jodelet (2005) et Klinkenberg (2001, avec une majuscule) ;

Castellotti (2009) insiste sur la dérive possible à envisager l’autre comme unique et homogène. Etant d’accord avec cette dernière position, et compte-tenu du fait que j’ai lu cet article tardivement, « les autres que soi » sont parfois désignés au singulier ou au pluriel dans ce travail mais toujours dans la conception du fait que l’altérité prend des formes plurielles et variables selon les individus et les groupes.

73 « La « vie bonne » est, pour chacun, la nébuleuse d’idéaux et de rêves d’accomplissement au regard de laquelle une vie est

part d’ipse et d’en faire une altérité radicale (rejet de l’autre74). L’intérêt d’une meilleure conscientisation des liens entre altérité et ipséité permet d’interdire au soi d’occuper la place du fondement et donc d’envisager l’autre comme légitime dans sa différence75. Cette relation de l’altérité jointe à l’ipséité « s’atteste seulement dans des expériences disparates, selon une diversité de foyers d’altérité » (Ricœur 1990 : 368). On pourrait alors en conclure que l’expérience d’une diversité de foyers d’altérité, à travers la confrontation à la pluralité des langues/ cultures par exemple, invite à la décentration. Or, l’histoire de l’Afrique du Sud est un exemple flagrant du fait que cela ne suffit pas. La (re)construction des identités dans l’Afrique du Sud démocratique pose question, compte tenu de la manière dont le rapport à l’altérité a été envisagé jusqu’ici : on tente de passer d’un rapport historiquement tourné vers le rejet de l’autre à la considération d’un autre légitime dans la différence, voire nécessairement différent. Comment passer de l’un à l’autre ?

Si cette question ambitieuse dépasse largement les hypothèses que l’on peut formuler dans le cadre de ce travail, on peut toutefois bénéficier d’une explicitation historicisée sur la manière dont le rapport à l’autre s’est construit de manière si particulière dans ce pays (chapitre 3). Cela permet de contextualiser certaines pratiques et représentations des langues, notamment celles que les élèves et étudiants pensent utiliser dans leur vie d’adulte (à partir du chapitre 4). L’ipse, en tant qu’ « être avec, pour » la partie de l’identité individuelle, qui se construit dans l’interaction avec l’autre en fonction « d’avenirs envisagés » (Robillard 2007b : 96), permet ici de poser la question de l’inscription des Sud-Africains dans la projection commune d’un avenir en Afrique du Sud. Cela correspond à la dynamique identitaire développée par Camilleri à propos des rôles identitaires conditionnés par la culture de référence dans laquelle les individus s’inscrivent : tant que les Sud-Africains ne se considèrent pas dans un projet commun, on peut supposer que la construction du rapport à l’autre peut continuer à se faire par distinction de l’autre

74

Que j’utilise ici comme une notion englobant le prochain et l’alter, selon la définition de Jodelet qui la reprend par ailleurs pour englober « l’autrui » et « l’alter » (Jodelet 2005 : 34). Les deux sont explicitement dissociés si le propos traite de leur distinction.

75

C’est dans un travail incessant d’interprétation de l’action et de soi-même que se poursuit la recherche d’adéquation entre ce qui nous parait le meilleur pour l’ensemble de notre vie et les choix préférentiels qui gouvernent nos pratiques (Ricœur 1990 : 210), dans une sorte de cercle herméneutique entre visée de la « vie bonne » et « les décisions les plus marquantes de notre existence ». Cependant, la réflexivité n’est pas à prendre en compte seule car cela pourrait être compris comme un repli sur soi. La sollicitude (comme « estime de l’autre pour moi-même », Ibidem 226) intervient également pour créer une dimension de dialogue, dans le sens du « l’un l’autre » d’Aristote, « qui rend l’amitié mutuelle » : « A l’Estime de soi entendue comme moment réflexif du souhait de « vie bonne », la sollicitude ajoute essentiellement celle du manque qui fait que nous avons besoin d’amis ; par choix en retour de la sollicitude sur l’estime de soi, le soi s’aperçoit lui-même comme un autre parmi les

autres » (Ibid. 225). Ces pratiques, ici à travers l’amitié comme « un lieu où le soi et l’autre partagent à égalité un même

souhait de vivre-ensemble » (Ibid.), conjuguent réversibilité des rôles et insubstitualité des personnes. Ces idées sont placées sous celle de la similitude de toutes les formes initialement inégales du lien entre soi-même et l’autre : « La similitude est le fruit de l’échange entre estime de soi et sollicitude pour autrui. Cet échange autorise à dire que je ne puis m’estimer moi-même sans estimer autrui comme moi-même ? Comme moi-même signifie : toi aussi tu es capable de commencer quelque chose dans le monde, d’agir pour des raisons, de hiérarchiser tes préférences, d’estime les buts de ton action et, ce faisant, t’estimer toi-même comme je m’estime moi-toi-même. » (Ibid. : 226).

principalement, voire par « rétractation » identitaire (Camilleri Op. Cit.) et ne pas constituer de dynamique dialogique.

Au vu de ces considérations sur l’altérité, on peut alors poser la question de la manière d’exprimer cette rencontre des rapports à l’altérité avec lesquels travailler dans le cadre de cette recherche. Comment faire pour soi, pour la recherche, pour sa lisibilité à l’autre ? Autrement dit, comment prendre en compte ces rapports à l’altérité en tant que chercheur, comment la travailler dans la production et l’analyse des observables et comment faire que cette recherche située soit réinterprétable ? Il est utile dans ce dernier point de développer tout d’abord pourquoi de telles questions se posent. Ayant émergé en interaction, elles situent l’importance de la contextualisation de cette recherche. On verra ensuite comment la prise en compte de l’altérité se formalise épistémologiquement et implique une certaine posture de l’apprentie-chercheure, avant de resituer le cadre de cette recherche dans le format de la thèse de doctorat.

Les représentations de l’altérité incluent ici la situation du chercheur, des observables et du lecteur, dans une sorte de triangulation, dans laquelle le chercheur est impliqué deux fois : par son positionnement de départ (qui évolue), puis son implication dans la production des observables. Pour le cas de l’Afrique du Sud, ma position de départ a été celle de la perception d’une sorte de « forte altérité », puis d’un travail conjoint de production des observables avec les témoins. Il apparaît nécessaire d’expliciter ces différentes situations pour produire une recherche qui soit lisible et réinterprétable. Cette réflexion sur la situation des acteurs de la recherche a émergé en réponse aux écarts entre mes premiers travaux et les lectures qui pouvaient en être faites.

Les représentations qu’on applique de l’extérieur à l’Afrique du Sud peuvent sembler bien différentes des réalités locales. En France, par exemple, nous parviennent des images pleines de promesse d’une société multiculturelle telle que cela est valorisé dans l’imaginaire collectif en France : les nombreuses publicités pour visiter le pays avancent toujours l’image d’une personne zulu ou ndebele souriante, arborant des vêtements et marques physiques traditionnelles76 visuelles et colorées. En Afrique du Sud, cette coexistence des différents groupes culturels n’est pas forcement harmonieuse, les accès aménagés à la culture et au contact de l’autre prennent souvent la forme de parcs ou de lieux touristiques représentant des aspects culturels figés, comme PheZulu77 dans le KwaZulu-Natal. Bien que très artificiels, ces

76

Le chapeau zulu de perles de verres de la femme mariée, les peintures « tribales » du visage, les maisons décorées des motifs géométriques ndebele, l’apparat guerrier zulu, etc.

77 Sorte de théâtre à ciel ouvert dans la Valley of the Thousand Hills, prisée pour sa beauté et connue pour être un des berceaux

des pratiques culturelles zulu. Ce lieu à vocation lucrative et touristique permet cependant à un groupe d’acteurs locuteurs de zulu de partager leur langue, certaines danses et de créer une fenêtre sur des pratiques sociales zulu (le mariage, les fonctions du Sangoma - le médecin traditionnel, etc.) qui sont généralement inaccessibles à l’autre (et ont été dévalorisées pendant

espaces sont souvent les seuls lieux de découverte de la culture de l’autre, sauf peut-être pour les personnes vivant dans des fermes, où les enfants grandissent au contact de plusieurs cultures78. Dans les écoles, la mixité est souvent faible directement en raison de l’argument financier. Elle apparaît peu à peu dans le privé, mais la diversité culturelle y est délaissée au profit de l’unité dans l’atmosphère traditionnellement britannique prisée de ces écoles. Elle est quasiment absente du public où la population scolaire d’une école est bien souvent regroupée selon le critère de la langue commune. Les zones spatiales de contacts, linguistiques et culturels, restent donc encore assez rares dans une Afrique du Sud marquée par la séparation géographique, sociale et « raciale » de l’apartheid79.

Or, on m’a demandé au début de mes recherches pourquoi je n’allais pas à la rencontre de témoins locuteurs de zulu ou de xhosa par exemple. Cette question est tout à fait légitime puisqu’il est surprenant de ne pas envisager d’aller à la rencontre de tels témoins dans le cadre de ma problématique, ne serait-ce que pour approcher les représentations de différents locuteurs en Afrique du sud. On est par ailleurs désormais dans une situation de démocratie, a priori donc, dans une situation où chacun est libre. Mais cette question m’a désarmée au départ tant il m’était difficile d’exprimer la complexité des raisons pour lesquelles cela ne m’était justement pas possible.

Il me semble a posteriori que cette question qui m’était posée était élaborée selon une représentation du