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La remise en cause des hypothèses de rationalité par la théorie des conventions

Conclusion Des outils chiffrés vecteurs d’une coordination entre acteurs, malgré leurs carences techniques

Section 1 La remise en cause des hypothèses de rationalité par la théorie des conventions

Le cadre théorique des conventions s’inscrit dans un mouvement plus global en théorie des organisations. Il s’agit de remettre en cause la rationalité classique des individus et de s’intéresser à la coordination entre acteurs. Cette section permet d’ancrer la théorie des conventions dans cet ensemble afin de comprendre les fondements de la théorie utilisé. Après avoir présenté les assises théoriques de la remise en cause de la rationalité (1.1), nous exposons en quoi la théorie des conventions s’y inscrit et quels sont ses spécificités pour étudier la coordination entre acteurs (1.2).

1.1 Les fondements théoriques de la remise en cause de la rationalité

Au milieu des années 70, une remise en cause importante des postulats de la théorie économique classique prend forme. Les travaux de Simon et March (1991), publiés en 1958 dans leur première version, sont précurseurs dans le domaine. Les auteurs révèlent le concept de rationalité limitée et intègrent l’incertitude et le rôle des acteurs dans l’analyse des situations.

En effet, alors que la théorie traditionnelle considère que les individus possèdent l’ensemble des informations pour prendre les meilleures décisions et agissent donc de manière rationnelle, Simon et March (1991) insistent sur la place de l’inattendu. Pour eux,

« la plupart des prises de décisions humaines, individuelles ou organisationnelles, se

rapportent à la découverte et à la sélection de choix satisfaisants ; ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’elle se rapporte à la découverte et à la sélection de choix optimaux » (Simon

et March 1991, p. 138). Dans cette conception, les hypothèses de rationalité et d’équilibre, chères à la théorie néoclassique, ne sont plus à même de décrire correctement la vie des organisations (Thévenot 1989). De nombreuses approches cherchent alors à éclairer la manière dont les acteurs agissent. Crozier et Friedberg (1977) s’intéressent à la manière dont les actions collectives se construisent à partir des comportements des individus. Les auteurs souhaitent sortir de l’antagonisme entre l’approche totalement déterministe et le modèle individuel qui se base uniquement sur les choix des acteurs. La notion de « système d’action concret » s’intègre tout à fait à cette logique. Il s’agit d’un « ensemble humain structuré qui coordonne les actions

structure, c’est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux. » (Crozier et Friedberg 1977, p. 246). L’intérêt de

cette « analyse stratégique » est d’analyser les régularités des comportements et la manière dont les acteurs construisent des règles. L’organisation est considéré comme un construit social qui permet de résoudre le problème de coordination des acteurs. Elle n’est en aucun cas un phénomène naturel et ne peut être régie par des lois universelles.

Les apports des précurseurs que sont Simon et March ainsi que Crozier et Friedberg offrent d’importantes perspectives de recherche, particulièrement en sciences de gestion. La coordination entre acteurs devient un problème central de l’organisation et par la même occasion un objet de recherche abordé par de nombreux courants théoriques. Ce fondement est l’assise des courants que Amblard et al. (2004) nomment « les nouvelles approches

sociologiques des organisations ». Bessy et Favereau (2003) témoignent de cette convergence :

« depuis le milieu des années 70, à peu près toutes les composantes de la théorie économique

remettent la question des institutions au centre de l'analyse, selon des modalités certes différentes - qui n'en rendent que plus frappante la convergence, après un siècle d'indifférence »

(p. 3).

1.2 La théorie des conventions comme prolongement de ses fondements

La théorie des conventions s’inscrit dans les fondements théoriques présentés précédemment (1.2.1). Pour autant, elle conserve des spécificités par rapport aux théories qui s’appuient sur ces mêmes fondements (1.2.2).

1.2.1U

NE THEORIE OPPOSEE A LA RATIONALITE CLASSIQUE

Depuis ses prémisses, la théorie des conventions s’est inscrite en opposition avec la pensée classique. En effet, le modèle néoclassique considère la coordination comme le résultat de choix d’individus rationnels avec « une intentionnalité optimisatrice identique » (Eymard-Duvernay

et al. 1989, p. 142). Or, les auteurs conventionnalistes soutiennent que la rationalité des

acteurs ne permet pas une coordination efficace (Orléan 1994). Koumakhov (2006)

considère d’ailleurs Simon comme un précurseur de l’approche conventionnaliste en ayant évoqué les problèmes de rationalité et de coordination des acteurs. La carence de l’approche

classique amène les auteurs à expliquer par d’autres manières l’action collective. Ils aboutissent ainsi à la notion de convention : « pour combler cette lacune (à savoir l’impossibilité de

calculer une solution optimale), l’entreprise établit des conventions déterminant la manière dont sont coordonnées les informations et les activités de production, dont sont récompensées les contributions de ses membres, et dont sont prises les décisions de gestion » (Orléan 1994,

p. 36). Finalement, la notion de marché est jugée trop floue, elle est donc remplacée par le terme « convention régissant les échanges » qui permettrait de mieux cerner les spécificités de chaque marché (Gomez 2006).

La théorie des conventions partage également, avec les autres théories qui découlent de la remise en cause de la rationalité, le besoin de se positionner entre un holisme déterministe et l’individualisme (Gomez 1994). Dans l’introduction de la revue fédérant le courant conventionnaliste, les auteurs l’affirment clairement : « la convention doit être appréhendée à

la fois comme le résultat d’actions individuelles et comme un cadre contraignant les sujets »

(Eymard-Duvernay et al. 1989). Une place est donc donnée à l’incertitude et aux rôles des personnes. Boltanski (2006) revient sur l’importance de ce choix : « insister sur l’incertitude

dans laquelle sont plongés les acteurs, à des degrés divers selon les situations, était une condition pour redonner un sens plein au concept d’action car, dans un schéma théorique où tout l’accent est mis sur la détermination par les structures et sur les contraintes dispositionnelles, la notion même d’action tend à s’évanouir » (p. 11).

1.2.2L

ES SPECIFICITES DU COURANT CONVENTIONNALISTE

Malgré ce rattachement à des fondements théoriques communs, les conventionnalistes ont des intérêts propres. Ils s’intéressent à la construction des accords entre acteurs par le biais

de conventions. Dans ce courant, « l’entreprise est présentée comme un lieu de tensions

naturelles entre des logiques contradictoires que les individus s’attachent à réduire au moyen de normes de conduites » (Amblard 2004, p. 9). Bien qu’ils s’intéressent aux comportements

qui découlent des conventions, les auteurs conventionnalistes se focalisent plus sur la légitimité des pratiques que leur efficience83. Ainsi, il n’y a pas de « bonnes » ou de « mauvaises » conventions, mais seulement des conventions auxquelles les acteurs se conforment afin de donner du sens à leur action (Gomez 2006). Les acteurs se conforment car ils sont convaincus que les autres acteurs y adhérent également, dans un processus mimétique. En cela, la

convention est un « système d’attentes réciproques » (Salais et Storper 1993, p. 31), elle n’existe que parce qu’elle est partagée entre un nombre important d’adopteurs.

Pour autant, les acteurs ne sont pas emprisonnés dans une convention84. La nécessité de

donner une place aux acteurs est ici réaffirmée. D’abord, la convention peut être interprétée par les acteurs. Lorsqu’une convention est peu complexe, autrement dit qu’elle énonce un principe simple sans préciser tous les détails de son application, l’acteur possède des marges de manœuvre pour agir. De plus, les acteurs peuvent influencer une convention et la faire évoluer. En effet, la convention oriente les comportements des individus, mais les individus ont également un rôle dans l’évolution de la convention. La précision avec laquelle une convention est décrite selon le cadre de Gomez (1994 ; 2000 ; 2006) permet d’identifier ces évolutions. Ce caractère opératoire de la théorie en est d’ailleurs un atout important. Enfin, un acteur peut refuser le comportement dicté par la convention, « quitte à subir momentanément la

réprobation du groupe » (Orléan 2004, p. 12). En somme, la relation entre les comportements

réels des acteurs et les conduites préconisées par la convention est particulièrement intéressante à analyser et la théorie conventionnaliste offre un cadre pour l’étudier.

Synthèse de la section 1

Cette section inscrit le cadre conventionnaliste choisi dans une continuité d’approches investis en sciences de gestion qui remettent en cause le modèle classique de prise de décision rationnelle. Ainsi, la coordination entre acteurs devient centrale dans la pensée en sciences de gestion. La théorie des conventions l’étudie par le prisme de la notion de convention qui correspond à un système d’attente réciproque des acteurs. Ces derniers maintiennent des marges de manœuvre bien que le rôle de la norme collective ait également son importance. Partant de ces fondements communs, le courant conventionnaliste a fait l’objet de différentes variantes.

Section 2 - Des théories conventionnalistes à l’appareil

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