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L E CHIFFRAGE DE L ’ EFFECTIF PREVISIONNEL , UNE DEMARCHE TECHNIQUE

entreprises de service

F IGURE 6 C HIFFRER LES EFFECTIFS SELON B ASSETT (1973)

1.1.2 L E CHIFFRAGE DE L ’ EFFECTIF PREVISIONNEL , UNE DEMARCHE TECHNIQUE

La recherche est extrêmement abondante sur la question du dimensionnement du volume d’emplois. Ernst et al. (2004), Van den Bergh et al. (2013) et De Bruecker et al. (2015) montrent clairement le dynamisme de ces recherches. Ernst et al. (2004) recensent d’ailleurs plus de 700 articles sur la thématique. Ce dynamisme est expliqué par les enjeux économiques importants d’une optimisation des effectifs : « le développement de la recherche peut être motivé par des

considérations économiques. Pour beaucoup d’entreprises, les coûts de la main d’œuvre sont le principal composant du coût direct. Réduire ces coûts par seulement quelques pourcents en mettant en place un nouveau modèle de planification du personnel peut s’avérer très bénéfique »67 (Van den Bergh et al. 2013, p. 367). Ce courant, inscrit en recherche opérationnelle, propose des modèles qui permettent une optimisation sous contrainte, l’optimisation se traduisant, dans la grande majorité des cas, par la minimisation des effectifs. Toutes ces études visent à trouver le « bon effectif » (1.1.2.1) dans des contextes pour lesquels les contraintes sont sans cesse différentes (1.1.2.2). Enfin, nous montrons que seuls les aspects techniques sont pris en compte (1.1.2.3), ce qui limite l’analyse du chiffrage.

1.1.2.1 La recherche du « right-sizing »

Dans l’ensemble de ces modèles, il y a l’idée de « bonnes solutions » (Lapegue 2014, p. 168), de “right-sizing” (Johnson 2009), d’être “optimally staffed ” (Walker 1980, p. 112). Héritage de la recherche opérationnelle, cette vision entraine une course à l’intégration de toutes les nouvelles contraintes qui peuvent exister dans les organisations. Pour les auteurs, il faut intégrer tous les paramètres afin de pouvoir prendre la bonne décision. L’avancée des capacités de calculs des outils informatiques permet de mettre en place des modèles qui prennent en compte des données de plus en plus complexes (Lapegue 2014, p. 17). Intégrant de fait l’hypothèse de la rationalité, les auteurs affirment que si les acteurs ont les « bonnes

67 Notre traduction de l’anglais : “the increase in research attention could be motived by economic considerations.

For many companies, labor cost is the major direct cost component. Cutting this cost by only a few percent by implementing a new personnel schedule could therefore prove very beneficial”.

informations » et les « bons modèles », ils prendront les « bonnes décisions ». Selon eux, il existe un volume optimal d’effectifs.

Pourtant, ce projet doit s’adapter à la variété des situations. Pour cela, une littérature abondante s’est attelée à cette adaptation en intégrant des contraintes spécifiques.

1.1.2.2 La prise en compte de différentes contraintes des secteurs

La variété des recherches a permis de proposer des modèles dans tous les secteurs, et intégrant un maximum de contraintes. À ce jeu, ce sont les hôpitaux qui sont les organisations les plus étudiées (Bard et Purnomo 2005; Beddoe et Petrovic 2006 ; Beliën et Demeulemeester 2008; Burke et al. 2008; Valouxis et al. 2012). En effet, l’urgence et les variations constantes de l’activité, ainsi que les problématiques de constructions d’équipes d’infirmières, rendent la planification très spécifique. De la même manière, les centres d’appel ont fait l’objet d’un intérêt important (Atlason et al. 2008 ; Nait-Abdallah 2008 ; Castillo et al. 2009 ; Avramidis et

al. 2010 ; Hojati 2010 ; Ingolfsson et al. 2010 ; Robbins et Harrison 2010) puisque la demande

fluctue également énormément et que les tâches à effectuer ne sont pas connues à l’avance (Ernst et al. 2004). Par ailleurs, le secteur de l’aviation porte des spécificités en termes de construction d’équipes et de respect des horaires (Chu 2007 ; Lučić et Teodorović 2007 ; Maenhout et Vanhoucke 2010). Finalement, la recherche couvre de nombreux secteurs : le transport (Chen et al. 2010 ; De Matta et Peters 2009), les services d’urgence (Erdoğan et al. 2010), la vente au détail (Pastor et Olivella 2008) ; l’industrie (Azmat et al. 2004) ; et le domaine militaire (Safaei et al. 2011).

Toutes ces recherches se distinguent surtout par le type de contraintes qu’elles intègrent aux modèles (Ernst et al. 2004 ; Van den Bergh et al. 2013). Les exemples sont nombreux : les différentes courbes de prévision de la demande ; les différentes contraintes juridiques ; les différentes façons de décomposer le travail ; les différentes structures organisationnelles ; la satisfaction des salariés ; etc. Dans tous les cas, le principe demeure similaire : il s’agit de prévoir un volume d’activité et de définir la correspondance avec les effectifs. La complexité des modèles varie entre une grande facilité (lorsque la main d’œuvre est essentiellement directe) et plus de complexité (lorsqu’il existe des fortes contraintes, des emplois très variés, etc.).

Plus récemment, des auteurs commencent à intégrer dans les modèles la notion de compétence, définie comme « the ability to perform certain tasks well » (De Bruecker et al. 2015, p. 1). Dans « Workforce planning incorporating skills: state of the art », De Bruecker et

al. (2015) réinvestissent tous les travaux qui ont incorporé la compétence. Bien que cette

tentative a le mérite d’intégrer des notions plus qualitatives telles que les niveaux de compétences, la polyvalence des salariés, les courbes d’apprentissage sur un emploi, et même les compétences collectives, il n’en demeure pas moins que ces modèles sont basés sur des simplifications (De Bruecker et al. 2015, p. 15) et négligent complètement la place des acteurs.

1.1.2.3 Le cantonnement aux aspects techniques

Dès 1980, Walker décrit précisément toutes les méthodes pour planifier les effectifs. Il distingue les méthodes permettant d’analyser l’effectif actuel et celles qui permettent des projections. Bien que la planification des effectifs soit parfois présentée comme un « art

imprécis » (Walker 1980, p. 110), notamment dans des contextes mouvants, les modèles se

cantonnent à des aspects techniques. En effet, ils proposent des méthodes pour prévoir les évolutions de certaines données (départ en retraite, promotion, turnover, etc.), mais sont beaucoup plus succincts sur les politiques volontaires d’évolution des effectifs. Le facteur d’évolution volontaire le plus souvent incorporé au modèle est la productivité, symbolisée par un ratio peu explicité. Finalement, la prévision des effectifs demeure scindée en trois composants :

1. La correspondance entre un volume d’activité et un volume d’emplois qui s’appuie encore largement sur le minutage de tâches ;

2. Des mouvements prévisibles d’effectif (retraite, turnover, promotion, etc.) appréhendés plus précisément par les modèles, notamment grâce à des outils informatiques ;

3. Des évolutions dues à des politiques volontaires d’évolutions des effectifs qui semblent peu être prises en compte par les modèles de gestion de production, autrement que par une amélioration globale de la productivité.

Walker (1980) présente bien le paradoxe : « Des analyses mathématiques et des bases

de données peuvent être utiles, mais finalement, la détermination de "comment devrons-nous être staffé" est une décision humaine »68 (p. 135). Or, les modèles ne possèdent pas cette

dimension humaine. La recherche en gestion de production n’appréhende pas cette problématique bien qu’elle conçoit que « les modèles ne prévoient pas, ce sont les hommes qui

68 Notre traduction de l’anglais : “mathematical analysis and massive data may be useful, but ultimately, the

le font »69 (Walker 1980, p. 145). Malgré les évolutions techniques des recherches plus récentes,

cette principale limite ne semble pas disparaître. En effet, ce manque de dimension humaine semble accentué par les méthodologies employées. Kohl et Karisch (2004) déplorent le manque de liens entre ces modèles et les situations vécues en entreprise. D’ailleurs, malgré le nombre important d’articles, l’étude de Kohl et Karisch (2004) est l’une des seules à porter sur un cas réel, c’est-à-dire à analyser un modèle mis en place dans une entreprise d’aviation. Les auteurs rappellent les problèmes posés par le côté systématique des modèles théoriques ainsi que la difficulté à mesurer certains critères (la satisfaction des salariés par exemple), ce qui complexifie la comparaison entre modèles. Ce manque de rapport au réel est également critiqué par De Bruecker et al. (2015) : « La recherche technique concernant la planification de la main

d’œuvre se concentre sur les modèles mathématiques et négligent les implications réelles des simplifications dont les modèles ont besoin pour fonctionner »70.

Ces premiers éléments amènent à interroger la pertinence de ces modèles. La partie suivante est consacrée à l’ensemble des limites qu’on peut leur attribuer.

1.2 Les insuffisances des modèles de chiffrage des effectifs dans le

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