• Aucun résultat trouvé

Vers une réduction des divergences dans l’approche disciplinaire ?

Conclusion Une méthodologie variée pour un objet de recherche peu étudié

Section 3 Vers une réduction des divergences ?

3.1 Vers une réduction des divergences dans l’approche disciplinaire ?

Dès 1999, Naro écrivait : « avec le développement de formes organisationnelles complexes

et dynamiques, la problématique des liens entre contrôle et GRH se pose avec acuité révélant ainsi de nouvelles perspectives de recherche » (p. 527). Au regard de ce qu’on cherche à piloter,

les préoccupations de la GRH ou celles du contrôle peuvent être trop restreintes. En effet, alors que la GRH permet une analyse un peu plus fine du travail, la démarche demeure difficile à mettre en place lorsqu’on gère des masses importantes. À l’inverse, le contrôle est très efficace pour piloter globalement, mais révèle ses limites pour prendre en compte la spécificité. Le

manque de dimension chiffrée en GRH et de dimension humaine en contrôle a poussé des auteurs à proposer un nouvel équilibre par le prisme de deux tentatives de nouvelles disciplines : la comptabilité des ressources humaines (3.1.1) et le contrôle de gestion sociale

(3.1.2).

Ces deux tentatives de conciliation sont liées. D’après Martory (1999), les questionnements sont similaires : « les hommes dans les organisations modernes étant à

l'évidence plus que de simples facteurs de production, comment les intégrer de façon pertinente dans les systèmes d'informations comptables (au sens large) et, partant, dans les prises de décision ? » (p. 166).

3.1.1L

ES TENTATIVES DE LA COMPTABILITE DES RESSOURCES HUMAINES

L’article fondateur de Schultz (1961) appréhende les dépenses de ressources humaines comme de véritables investissements en capital humain, à l’opposé d’une vision dans laquelle elles ne sont que des charges. Dès le début des années 1970, des auteurs se lancent dans le développement d’une méthode de comptabilité des ressources humaines (Flamholtz 1978, 1999 ; Marquès 1975). Elle vise trois objectifs principaux (Capron 2012) : chiffrer le coût et la valeur des individus comme ressources de l’organisation ; proposer un cadre d’aide à la prise de décision et des moyens pour évaluer les politiques de gestions de ressources humaines ; encourager les dirigeants à reconsidérer les ressources humaines comme une ressource précieuse pouvant prendre ou perdre de la valeur suivant la gestion qu’on met en place. Cependant, les différentes tentatives pour intégrer le capital humain dans les états financiers se heurtent à plusieurs problématiques techniques essentiellement dues à l’impossibilité d’évaluer précisément un élément vivant. Certes, les auteurs proposent des solutions techniques pour dépasser ces obstacles (méthode du coût historique, du coût de remplacement et du coût d’opportunité), mais la méthode n’a pas de concrétisations pratiques. Selon Martory (1999), ce n’était pas forcément l’ambition des auteurs de ce courant. En effet,Capron (2009, p. 349) se demande si « l’intérêt des études et des discussions que la comptabilité des ressources

humaines suscite ne réside pas plus dans les prises de conscience de la nécessité d’une modification des comportements que dans les outils conceptuels et les instruments d’évaluation qu’elle est susceptible de produire ». En effet, les réflexions lancées par la comptabilité des

ressources humaines seront en partie reprises par le contrôle de gestion sociale qui a vocation à être plus opérationnel.

3.1.2L

ES AVANCEES DU CONTROLE DE GESTION SOCIALE

Les tentatives de la comptabilité des ressources humaines n’ont pas aboutie en pratique, mais ont ancré des questionnements importants. Cela est d’autant plus le cas que le monde de l’entreprise connait des évolutions qui alimentent ces questionnements. En effet, le rôle des ressources humaines dans la réussite des entreprises devient un sujet de plus en plus mis en avant. De plus, le développement du mix production entraine un accroissement des charges indirectes que les méthodes classiques de contrôle appréhendent de manière trop simpliste. Les charges du personnel sont particulièrement touchées par ce développement. Ces évolutions rendent nécessaires de nouveaux outils de pilotage de la performance, centrés sur les ressources

humaines. Le contrôle de gestion sociale s’inscrit dans ce contexte, en répondant à un besoin de rééquilibrage entre des outils de contrôle peu adaptés aux ressources humaines et la GRH qui peine à chiffrer le coût et la valeur des effectifs.

Les ouvrages de Martory (2009 ; 2010) demeurent les ouvrages de référence, mais la discipline se développe un peu partout, notamment dans les plaquettes des formations de gestion. Pour Martory (2009), le contrôle de gestion social réunit la « nécessité » et le « hasard ». Selon lui, la nécessité correspond aux éléments arithmétiques et règlementaires des évolutions de la masse salariale. Ils sont modélisables objectivement. À l’inverse, le hasard renvoie aux jeux d’acteurs, aux aléas du comportement et à tous les éléments qui ne sont pas modélisables. Martory parle de la « dialectique du hasard et de la nécessité […], ce qui la rend

parfois difficile, mais toujours passionnante » (p. 10). Cette dialectique renvoie aux deux

disciplines dont le contrôle de gestion sociale est issu : le contrôle de gestion qui demeure le parent de la discipline (3.2.2.1) et la gestion des ressources humaines à qui il emprunte quelques notions (3.2.2.2). Ce mélange aborde la question des effectifs avec quelques spécificités (3.2.2.3).

3.1.2.1 Une variante du contrôle de gestion

« Le contrôle de gestion sociale est le fils légitime du contrôle de gestion économique et

de la gestion sociale » disait déjà Martory en 1999 (p. 174). La lecture des ouvrages est très

claire sur ce point : le contrôle de gestion sociale n’est bien qu’une variante du contrôle de gestion. La quatrième de couverture de l’ouvrage de Collin (2015), consacré au contrôle de gestion sociale, commence par : « Les frais de personnel représentent la moitié des dépenses

de structure d’une entreprise. Il est donc impératif de contrôler et piloter la masse salariale ainsi que les effectifs associés, dans un objectif de pérennité économique de l’entreprise ».

Partant du principe qu’on ne peut pas prendre de bonnes décisions sans bonnes informations, les promoteurs du contrôle de gestion sociale balaient tous les domaines du contrôle en se focalisant sur les ressources humaines. Il propose donc des outils quantitatifs (et quelques-uns qualitatifs) pour piloter le volume d’emplois, la structure des emplois, la rémunération, etc.

La vision « charge », mis en avant dans le contrôle de gestion classique, est reprise. Il s’agit en fait de considérer les ressources humaines comme une charge stratégique qu’il faut absolument piloter intelligemment. Les outils de suivi de la masse salariale sont ainsi des instruments privilégiés du contrôle de gestion sociale. L’objectif est bien l’optimisation économique de la masse salariale. En s’appuyant sur des outils de contrôle de gestion classique,

l’horizon appréhendé demeure celui du court-terme. En effet, les évolutions des effectifs et de la masse salariale sont prévues sur un an, parfois moins, ce qui rentre en confrontation avec le temps de la GRH (formation, mobilité, évolution des compétences, etc.). À quelques reprises, les manuels dépassent cette approche et appréhendent les effectifs comme un investissement sur lequel il faudrait miser pour que l’organisation soit performante.

Le contrôle de gestion sociale tente également de concilier l’approche agrégée, propre au contrôle et une analyse plus fine qui s’appuie sur des notions de GRH. L’exemple du pilotage de la masse salariale permet d’illustrer. Martory (2009) décompose la thématique en plusieurs chapitres, abordant d’abord les systèmes de rémunération sous un angle purement financier, puis en distinguant les différents types de rémunération et leurs impacts sur la motivation, ce qui renvoie à des éléments de GRH. Cet exemple est révélateur de la manière dont le contrôle de gestion sociale emprunte l’approche contrôle en y ajoutant quelques enjeux RH.

3.1.2.2 La mise en valeur des ressources humaines

La difficulté à mettre en valeur les apports de la fonction RH est au cœur de la réflexion du contrôle de gestion sociale. À défaut de quantifier l’inquantifiable, le contrôle de gestion sociale cherche à chiffrer les ressources humaines afin qu’elles soient mieux prises en compte dans les décisions stratégiques. En toile de fond, les auteurs défendent que les aspects sociaux sont des facteurs de performance primordiale des organisations. Cela se traduit par une recherche de quantification de tous les processus RH (recrutement, formation, etc.), mais également par le fait de considérer certaines de ces dépenses comme des investissements.

À ce titre, le recrutement est clairement considéré comme un investissement. S’il demeure souvent difficile de quantifier la valeur produite par un recrutement, le contrôle de gestion sociale cherche à préciser l’ensemble des dépenses et à y lier les intérêts, en abordant des notions de GRH (compétences, motivation, etc.). Ainsi, les charges sont liées à leur utilité économique, ce qui permet de les expliquer, voire de le justifier plus facilement. La formation y est abordée de la même manière. Martory (2009) parle d’ailleurs de « gérer et contrôler la

formation comme un investissement » (p. 258). De plus, le traitement de l’absentéisme dans

l’ouvrage de Collin (2015) est également révélateur. D’abord présenté comme « une charge

supplémentaire pour l’entreprise » (p. 37), il est ensuite décrit techniquement, puis quelques

lignes sont consacrées aux causes (conditions de travail – 4 lignes-, organisation du travail -4 lignes-). Enfin, les indicateurs de mesure sont présentés.

Les manuels évoquent très clairement les limites d’une approche simpliste concernant la question des effectifs. Par exemple, Martory (2009, p. 170) rappelle qu’il « est évidemment

impossible de déterminer une relation simple entre un niveau « de production » des collaborateurs en position fonctionnelle et leur temps de travail. Comment par exemple, mesurer la « production » des services financiers ou du personnel ? » L’auteur rejette ici les

possibilités de ratios agrégés. Il intègre un peu plus loin la difficulté à chiffrer le travail : « Si

donc l’on admet que le travail est d’autant plus absorbant que le temps qu’on peut lui consacrer est plus grand (et c’est particulièrement vrai des travaux dits de bureau), on conviendra alors qu’il ne saurait y avoir que peu, sinon pas, de rapport entre la somme de travail à fournir et les effectifs du personnel chargé de l’exécuter » (Martory 2009, p. 178), interrogeant ainsi la

pertinence des ouvrages de contrôle quand ils abordent le chiffrage de l’effectif.

3.1.2.3 Vers une nouvelle répartition des fonctions ?

Finalement, les apports du contrôle de gestion sociale posent la question suivante : est-ce que le contrôle de gestion sociale propose une nouvelle répartition entre les fonctions contrôle de gestion et GRH ? La réponse est contrastée.

D’après les manuels, il semble que la réponse soit négative. En effet, bien que le contrôle de gestion sociale intègre des enjeux RH à des outils de contrôle, le contrôle de gestion demeure la fonction de pilotage des effectifs et la GRH celle de l’exécution. À ce titre, Collin (2015) décrit les missions de la GRH : « s’assurer du respect des lois et règlementations du travail

(administration du personnel et paie) ; favoriser le dialogue au sein de l’entreprise (relations sociales) ; proposer l’adéquation besoins / ressources (recrutement, mobilité interne) ; développer les collaborateurs de l’entreprise (formation, gestion des carrières) » (p. 103).

Toutefois, le contrôle de gestion sociale tente de chercher une conciliation. Pour cela, il propose un objet commun de réflexion - le pilotage des effectifs et de la masse salariale -. Martory (2009) décrit bien la manière dont la masse salariale constitue une préoccupation commune pour les responsables de la fonction personnel et les financiers et contrôleurs de gestion (p. 9). Plus globalement, le contrôle de gestion sociale insiste sur une coordination entre les différentes fonctions. Martory (2009, p. 173) parle de « réflexion tripartite » entre « les

responsables d’exploitation qui connaissent les modes de régulation de la production face aux variations en personnel, les spécialistes en ressources humaines qui maîtrisent les choix et les coûts des alternatives d’emploi, les contrôleurs de gestion qui ont l’habitude de construire et de suivre des budgets flexibles ». L’ouvrage d’Alcouffe et al. (2013) abonde dans ce sens.

« Malgré des préoccupations traditionnellement différentes dans leur manière de concevoir

l’organisation, les contrôleurs de gestion « spécialistes du chiffre » et les responsables des ressources humaines sont amenés à trouver des points de rencontre de plus en plus fréquents »

(p. 110). Les auteurs avancent un « rapprochement des deux fonctions » (p. 110). En effet, alors que la GRH serait de plus en plus financiarisée, le contrôle de gestion intègrerait mieux la « dimension humaine et sociale » (p. 110). La construction et l’utilisation des outils de gestion sont d’ailleurs identifiées comme des espaces d’échanges entre les deux fonctions : « Les

processus et les outils sont donc souvent co-développés par les deux fonctions, qu’il s’agisse des budgets ou des tableaux de bord sociaux pour ce qui relève du pilotage centralisé des ressources humaines » (Alcouffe et al. 2013, p. 116). Le contrôle de gestion sociale

symboliserait la prise en compte des deux fonctions de manière plus coordonnée. L’évolution des effectifs et des compétences est d’ailleurs citée comme exemple de ce « couple DRH-DAF » (p. 118).

Pour autant, un paradoxe suscite. Bien que les discours semblent insister sur le « capital

humain » comme « l’actif le plus important »61, il n’en demeure pas moins qu’il n’est évoqué qu’en termes de charges (Le Louarn et Daoust 2007). Dans l’état actuel des manuels universitaires, cet état n’est pas encore dépassé. L’étude exploratoire nous a permis de confronter cet état aux discours des acteurs.

Outline

Documents relatifs