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L ES CONDITIONS DE VALIDATION D ’ UNE CONVENTION

Conclusion Des outils chiffrés vecteurs d’une coordination entre acteurs, malgré leurs carences techniques

Section 2 Des théories conventionnalistes à l’appareil d’investigation précis

2.4 L’appareillage d’analyse des conventions

2.4.1 L ES CONDITIONS DE VALIDATION D ’ UNE CONVENTION

À première vue, la notion de convention peut sembler être un terme ambigu. En effet, affirmer que les acteurs se coordonnent par le biais de normes est un lieu commun qui pourrait être appliqué à nombre de situations organisationnelles. Husser (2009) rapporte d’ailleurs, en évoquant explicitement la théorie des conventions, qu’ « une théorie ne peut représenter un

permettant une opérationnalisation des concepts » (p. 3). À ce titre, le concept de convention

renvoie à des conditions très précises listées dans la littérature. Gomez (1994 ; 2006) insiste sur ces sept conditions de vérification d’une convention. Prenons le temps de montrer en quoi la situation d’évolution des effectifs remplit ces sept conditions : l’incertitude radicale (2.4.1.1), la régularité (2.4.1.2) et les cinq conditions de Lewis (1969) (2.4.1.3).

2.4.1.1 L’incertitude radicale

a) Le principe de la condition d’incertitude radicale

L’environnement économique est indissociable de la notion d’incertitude (Salais et Storper 1993; Moureau et Rivaud-Danset 2003). Cette dernière correspond à une situation dans laquelle « l’avenir est radicalement impossible à connaître pour l’agent » (Gomez 1994, p. 89). Elle se distingue de la notion de « risque » qui renvoie à un futur probabilisable (Knight 1921). La notion d’incertitude questionne les modèles classiques de prise de décision.

En contexte incertain, les acteurs ne peuvent pas se limiter à des calculs rationnels pour décider. En cela, la prise en compte de la notion de rationalité limitée a modifié profondément l’analyse économique. March et Simon (1991) décrivent en détail la manière dont la rationalité des acteurs est limitée. Trois fondements sont ainsi développés. Premièrement, les données de la situation à laquelle l’acteur doit faire face, ne sont pas toutes disponibles. Deuxièmement, les conséquences de chaque choix ne sont pas précisément connues par les acteurs. Autrement dit, les acteurs ont une connaissance limitée des implications de leur décision. Enfin, les acteurs ont des capacités limitées et doivent donc classer et sélectionner les choix les plus satisfaisants. En somme, ils n’ont pas les capacités d’évaluer tous les choix, comme le présente la théorie classique. Ils prennent parmi ceux qui sont à leur disposition.

Malgré l’incertitude et la rationalité limitée des acteurs, ces derniers doivent agir. Ils s’appuient donc sur des processus d’ « absorption de l’incertitude » (March et Simon 1991, p. 62). Ces derniers peuvent prendre des formes variées : « schémas d’exécution » (p. 139), normes, « foyers d’attention » (p. 149), conventions, etc.

b) Dans le contexte de pilotage des effectifs

Identifier concrètement l’incertitude demeure une tâche difficile. Husser (2009) affirme que « si une situation de gestion, par ses ambiguïtés, crée de l’incertitude, aucun élément

théorique ne donne d’information précise à propos de l’émergence de cette incertitude » (p. 8).

Pour autant, plusieurs éléments permettent de confirmer que la condition d’incertitude radicale est validée dans le cas d’évolutions des effectifs dans une entreprise de service. Tout d’abord, en tenant compte de l’instabilité de nombreux marchés, il n’est pas déraisonnable de considérer les prévisions de vente comme incertaines. Dans le cadre de nos deux études de cas par exemple, le marché est régi par des appels d’offres. La demande demeure dépendante de marchés qui s’étalent sur des horizons relativement courts. Les organisations sont dépendantes des choix stratégiques de leurs clients. De plus, la correspondance entre le volume d’activité et l’effectif nécessite des techniques qui comportent des limites, particulièrement pour les métiers dans lequel le modèle taylorien n’est pas appliqué. En effet, comme nous l’avons vu dans le chapitre sur les outils de gestion85, les techniques de correspondance s’appuient sur des simplifications. Les acteurs construisent des repères sur ces estimations, bien qu’elles soient régulièrement en décalage avec les données réelles. L’exemple de l’estimation du nombre de salariés pour un nouveau chantier est illustratif. La prévision de l’activité et les techniques de correspondance ne peuvent pas intégrer les évolutions et la profondeur de l’activité réelle. Le futur peut être imaginé, mais il n’est jamais connu avant que son temps soit venu.

2.4.1.2 La régularité des décisions

a) Le principe de la condition de régularité

La régularité du comportement est une condition de l’existence d’une convention (Orléan 2004). Lorsqu’on parle de convention, on s’intéresse à des phénomènes répétitifs. En effet, une convention règle de manière identique, ou presque, des problèmes de coordination qui se ressemblent. En cela, elle se substitue au calcul individuel, en simplifiant « l’économie de

l’information » (Gomez 1994, p. 103).

Ainsi, l’adhésion des acteurs à une convention nécessite que la situation de choix se réitère. La « circularité d’une convention » évoquée par Pichault et Nizet (2013, p. 31) traduit cette idée : les comportements individuels répétés influencent la convention et la convention influence en retour les décisions des acteurs.

b) Dans le contexte du pilotage des effectifs

Le pilotage des effectifs renvoie à des phénomènes répétitifs. La question de l’ajustement se pose de manière quasi-permanente bien que certains moments soient plus formalisés. Plusieurs exemples sont déjà ressortis de l’étude exploratoire86 : le chiffrage de l’effectif

prévisionnel se déroule chaque année durant la construction budgétaire ; un ajustement s’effectue à la moitié de l’année ; des points précis sur le suivi des unités opérationnelles ont lieu à intervalle régulier ; les demandes de recrutement sont continues ; la décision de remplacer ou non un salarié à la suite de son départ sont des décisions habituelles dans les organisations ; etc. La régularité de la décision semble être une des caractéristiques importantes du pilotage des effectifs.

2.4.1.3 Les cinq conditions de Lewis

a) Le principe des cinq conditions lewisiennes

Les décisions de pilotage des effectifs semblent réunir les deux premières conditions de vérification d’une convention. Il est désormais nécessaire de revenir sur les cinq conditions de Lewis (1969) qui concernent le lien entre les acteurs et la convention. Ces conditions sont régulièrement reprises par tous les auteurs qui utilisent la théorie des conventions :

1. Chacun se conforme à la convention.

2. Chacun anticipe que tout le monde s’y conforme.

3. Chacun préfère une conformité générale à moins que générale. 4. Il existe au moins une autre régularité alternative.

5. Ces quatre premières conditions sont « common knowledge ».

Les trois premières conditions sont relativement claires. Nous ne pouvons parler de convention que si cette institution est admise par un grand nombre d’acteurs. Chaque adopteur n’a pas besoin de connaître le comportement des autres, il agit en prévoyant que chacun aura un comportement similaire. Par ailleurs, la convention n’a de force que si elle est suivie globalement. Ainsi, pour qu’elle soit légitime, il faut que les individus s’y conforment. Dans le cas contraire, la convention est remise en cause par un élément endogène, ce qui peut expliquer son évolution87.

86 Voir le paragraphe 3.3.1.1 du troisième chapitre.

La quatrième condition constitue un élément riche du concept de convention. En effet, l’existence d’une convention ne se justifie que lorsqu’on peut identifier une autre convention qui aurait pu être à l’œuvre. Cette dernière est alors nommée « régularité alternative » (Gomez 1994, p. 95). Cette condition est particulièrement riche car elle nous invite à réfléchir sur les raisons de l’instauration d’une convention plutôt qu’une autre. Ainsi, la théorie des conventions analyse les rapports de force qui peuvent s’opérer entre deux conventions, et les conditions qui permettent l’ancrage d’une convention par rapport à une autre, cet état n’étant jamais définitif. Enfin, la nature de la convention doit être « common knowledge ». Cela signifie que le comportement d’un acteur dépend du comportement présupposé des autres acteurs. L’exemple d’un couple perdu dans un grand magasin est régulièrement avancé pour expliciter la notion (Dupuy 1989). Le lieu de rencontre dépend de l’endroit auquel chaque individu pense instinctivement, mais également du lieu où chacun pense que l’autre ira. À ce titre, la communication directe ou indirecte entre les acteurs est un élément primordial pour que la convention soit en place.

b) Dans le contexte de pilotage des effectifs

Discuter ces conditions dans le cadre de notre objet de recherche relève plutôt de l’analyse du matériau empirique. Ainsi, nous nous y attèlerons dans les chapitres de discussion des résultats.

Après avoir vérifié les deux premières conditions et présenté les cinq autres de Lewis (1969), nous pouvons admettre que le pilotage des effectifs dans le cadre d’une entreprise de service relève potentiellement d’un système conventionnaliste. Notre approche abductive engendre nécessairement un paradoxe entre la présentation claire du cadre théorique et la description des données empiriques qui n’est pas encore effectuées. Dans notre cas et comme nous l’avons déjà évoqué, le recueil des données ne s’est pas effectué avec pour objectif de valider ces conditions, mais avec différents cadres théoriques à l’esprit. L’analyse des données a permis d’ancrer notre recherche dans le courant conventionnaliste, notamment parce que nous avons identifié les éléments qui ressortent des sept conditions admises par la littérature.

Désormais il s’agit de présenter avec plus d’ampleur le cadre théorique des conventions. Des repères précis pour décrire des conventions sont d’abord présentés (2.2.2). Puis, la question des évolutions des conventions est abordée (2.2.3). La maitrise de ces éléments est fondamentale pour traiter le matériau recueilli.

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