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L’apport des économies de la grandeur de Boltanski et Thévenot

Conclusion Des outils chiffrés vecteurs d’une coordination entre acteurs, malgré leurs carences techniques

Section 3 Des prolongements du cadre conventionnaliste pour penser l’évolution des conventions

3.2 L’apport des économies de la grandeur de Boltanski et Thévenot

L’apport des économies de la grandeur de Boltanski et Thévenot (1991) est apparu à la suite d’une première analyse conventionnaliste de notre matériau. En effet, alors que la

convention avait été identifiée, il nous a semblé que la perspective de Gomez n’était pas suffisante pour expliquer la genèse de la convention en présence. Après avoir rappelé

brièvement la perspective de Boltanski et Thévenot (3.2.1), nous focalisons notre intérêt sur les trois figures de l’accord chez ces auteurs (3.2.2).

3.2.1L

A PRESENTATION DU MODELE DE

B

OLTANSKI ET

T

HEVENOT

Le courant de Boltanski et Thévenot (1991) a été « largement mobilisé » par les conventionnalistes (Montmorillon 2012, p. 313). Nachi (2006, p. 24) témoigne de liens tellement marqués qu’on ne sait plus si ce sont les conventionnalistes qui empruntent la pensée de Boltanski ou si ce sont les recherches de Boltanski qui s’appuient sur les travaux conventionnalistes. Il est clair que les rapports sont étroits, à commencer par l’objet même de l’analyse. Dans « De la justification : les économies de la grandeur », Boltanski et Thévenot

(1991) tentent d’analyser les « modalités par lesquelles les acteurs trouvent des moyens de

coopérer, malgré des intérêts divergents » (Amblard et al. 2005, p. 91), « en particulier dans les situations de travail » (Nachi 2006, p. 27). Les entreprises occupent dans ce programme une

place centrale dans ce programme car elles constituent des lieux privilégiés d’observation et sont constamment soumises « à des tensions entre des logiques qui ne peuvent être réduites à

un principe unique » (Boltanski et Thévenot, p. 163).

3.2.1.1 La justification des accords

L’objet est commun avec les conventionnalistes, pour autant, les deux auteurs apportent un approfondissement concernant les conditions de production des coordinations (accords et compromis) entre mondes. Ils parlent d’une « théorie de l’accord et du désaccord » (Boltanski et Thévenot 1991, p. 163). Selon les auteurs, les individus agissent en s’appuyant sur des ressources pour se justifier. En situation de disputes, ces ressources sont des « répertoires de

justification » qui renvoient à des répertoires communs. Autrement dit, les économies de la

grandeur cherchent à classifier les arguments sur lesquels les individus s’appuient en situation de disputes, critique, controverses, etc. Il est important de comprendre que pour Boltanski et Thévenot, se justifier ne signifie pas trouver des raisons a posteriori, mais bien donner du sens à ses actions. Ses justifications peuvent être regroupées autour de « cités », qui correspondent à des « logiques de justification basée sur une conception du bien commun » (Juhem 1994). Boltanski et Thévenot (1991) se basent sur des ouvrages classiques de philosophie politique pour identifier six cités distinctes89, chacune permettant de justifier son action « au nom de » « principes supérieurs commun ». Lorsque ces cités sont outillées, c’est-à-dire lorsque des objets relèvent d’une cité, on peut parler de « mondes ». Dans chacun de ces mondes, les situations, les personnes et les objets sont évalués, considérés comme grands ou petits. Ce processus de classement est nommé « grandeur ».

3.2.1.2 De la coexistence de plusieurs mondes

La complexité de la société provient de la coexistence de plusieurs mondes. En effet, les personnes ne sont pas attachées à un seul monde, mais naviguent entre plusieurs. Des désaccords peuvent apparaître lorsque les personnes doivent agir collectivement, mais appartiennent à des mondes différents. Les auteurs parlent de « situations critiques ». Elles sont

le cœur de l’analyse de Boltanski et Thévenot car « toute situation donne nécessairement lieu

à des rencontres entre mondes » (Amblard et al. 2005, p. 83). Le cadre proposé par les auteurs

permet d’« identifier les mondes en présence pour rendre possible la gestion des coordinations

nécessaires » (Amblard et al. 2005, p. 83). L’identification des mondes est une phase nécessaire

pour construire des accords, trouver des solutions ou résoudre les inévitables conflits entre mondes. Ces accords passent par une série d’ « épreuves » qui correspondent à des « moments au cours desquels les personnes font preuve de leurs compétences soit pour agir,

soit pour désigner, qualifier, juger ou justifier quelque chose ou quelqu’un : un être » (Nachi

2006, p. 57).

3.2.1.3 De l’intérêt pour les objets

À l’instar de la sociologie de la traduction (Callon et Latour 1981), les travaux de Boltanski et Thévenot mettent les objets et les dispositifs au cœur de leur analyse. Ils s’intéressent à la mobilisation des objets dans les épreuves qui participent aux justifications des actions des personnes. De la même manière que les personnes, les objets peuvent appartenir à différents mondes. Par ailleurs, un objet peut faire appel à un monde suivant la situation. Autrement dit, dans une situation donnée, un objet peut se rattacher à un monde, puis à un autre dans une autre situation. Les auteurs parlent de « situations composites » (Boltanski et Thévenot 1991, p.267). Le modèle de Boltanski et Thévenot (1991) est riche. Les auteurs développent de nombreux nouveaux concepts. Pour notre part, la question des figures de l’accord nous parait la plus éclairante pour notre sujet. Alors que le cadre de Gomez nous permet de décrire précisément la convention en place, le recours aux figures de l’accord est utile pour dévoiler la genèse d’un accord.

3.2.2L’

APPORT DES TROIS FIGURES DE L

ACCORD

L’approche de Boltanski et Thévenot a l’intérêt d’accorder une attention particulière aux moments de « basculement » (Nachi 2006, p. 89), et plus globalement aux résolutions possibles des situations critiques. Dans le modèle, il existe trois formes d’accord possibles :

3.2.2.1 La clarification

La clarification correspond à une lecture par un monde d’une situation marquée a priori par un autre monde. Ainsi, il s’agit d’un accord qui ne nécessite pas de construction entre les individus. Les sujets et les objets se retrouvent dans un monde commun et la situation de tension, désormais « clarifié » disparait. Dans cet accord, une seule forme de justification est mobilisée à l’inverse des deux autres formes d’accord.

3.2.2.2 L’arrangement

L’« arrangement » correspond à la seconde figure de l’accord. Elle consiste à « s’arranger

entre soi (c’est-à-dire localement) pour arrêter le différend sans l’épuiser, sans vider la querelle » (Boltanski et Thévenot 1991, p. 163). Les individus ne remontent pas à un principe

de justice et se coordonnent au niveau « local, contingent et circonstanciel » (Nachi 2006, p. 180). Autrement dit, les individus ne s’engagent pas dans une discussion entre les principes supérieurs, mais bricolent une solution locale. Cet arrangement est « une transaction au

bénéfice des présents » (Boltanski et Thévenot 1991, p. 48) dans une « logique du moindre mal ». Il peut être remis en cause rapidement car l’arrangement ne peut se justifier

publiquement.

3.2.2.3 Le compromis

Dans une société où différents mondes cohabitent, la figure du compromis a une « place

centrale dans la justification des différents ordres de grandeurs » (Nachi 2004, p. 138). Pour

les auteurs, le compromis permet de résoudre un conflit de grandeur en mobilisant des arguments des plusieurs cités, « se situant à l’intersection de différentes modalités de

justification » (Nachi 2004, p. 139). Ainsi, un bien commun, qui ne correspond spécifiquement

à aucun des deux mondes peut permettre de construire un accord. Pour cela, les parties doivent renoncer à certains de leurs principes pour dépasser la dispute. Ce sont ces concessions réciproques qui permettent le compromis (Nachi 2006, p. 176). On parle d’ « agencements

composites des choses » (p. 177).

Ce compromis peut nécessiter des acteurs et des objets particuliers. Dans le premier cas, les acteurs intermédiaires entre les deux mondes doivent être « légitimes dans les deux mondes

d’origine » (Amblard et al. 2005, p. 99). Pour les objets, les auteurs parlent d’« objets équivoques » qui relèvent, selon le regard qu’on leur porte, de plusieurs mondes.

Synthèse de la partie 3.2

En définitive, la pensée de Boltanski et Thévenot (1991) permet d’enrichir l’analyse de l’avènement de modes de coordination. Les figures de l’accord fournissent des équilibres potentiels de résolution des situations critiques. Plusieurs situations de ce type sont présentes dans le matériau de nos cas.

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