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Conclusion Une méthodologie variée pour un objet de recherche peu étudié

Section 1 Les rôles assignés aux acteurs de la GRH

1.1 Les rôles assignés par les manuels

1.1.1 D EFINITIONS ET PREOCCUPATIONS SOUS JACENTES

Indirectement, tous les thèmes évoqués dans les manuels de GRH ont un lien avec les effectifs. Nous choisissons de nous concentrer sur les thématiques les plus saillantes, celles qui nous paraissent retranscrire le mieux la manière dont la GRH aborde la question des évolutions des effectifs. Cinq sont abordées : les notions d’emplois, de métiers et de compétences, utiles pour décrire le travail ; la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et plus

généralement le staffing ; le recrutement, la formation et la gestion de carrière ; la rémunération et la gestion de la masse salariale et le climat social en entreprise. Ces thèmes sont abordés en définissant des concepts et en présentant des outils. L’analyse de ces éléments50 nous permet

de ressortir deux préoccupations principales : la GRH considère généralement l’effectif comme un investissement (1.1.1.1) ; la GRH permet de décrire le travail plus finement qu’une donnée chiffrée (1.1.1.2).

1.1.1.1 L’effectif considéré comme un investissement

Le propre de la GRH est de considérer les ressources humaines comme la ressource de l’organisation « qui l’habite et la fait vivre » (Le Gall 2011, p. 3). La discipline s’est développée en parallèle de la « reconnaissance du facteur humain dans l’entreprise » (Le Gall 2011, p. 10). Ainsi, les auteurs des manuels positionnent la GRH comme une discipline de gestion, mais insistent sur le fait qu’elle gère une ressource singulière par rapport aux ressources financières : « il n’est pas pertinent de réduire la « gestion » aux aspects financiers. Gérer les ressources

humaines ne consiste pas seulement à aborder cet aspect important et à ne voir dans la gestion des personnes qu’un profit à court terme ou quelques chiffres. La gestion des ressources humaines, c’est beaucoup plus. » (Thévenet et al. 2015, p. 5). À ce titre, la discipline se

distingue clairement de l’approche financière : « dans les comptes, les frais de personnel sont

des charges, c’est-à-dire des consommations propres à une annuité comptable. Le système a l’avantage de la facilité, de la clarté et de la simplicité. Cependant, il n’est pas tout à fait juste. Les coûts du personnel représentent aussi un investissement, et les compétences, des ressources disponibles pour l’avenir » (Thévenet et al. 2015, p. 21). Cette divergence de vision se traduit

dans la manière d’aborder l’effectif, mais également dans l’horizon envisagé par les outils et les préconisations. Quatre thèmes permettent d’illustrer particulièrement la représentation de l’effectif comme un investissement : le recrutement (a), la formation des salariés (b), la gestion de carrière (c) et la gestion de la masse salariale (d).

a) Le recrutement

Le recrutement est un sujet incontournable des manuels de GRH. Le traitement de ce thème illustre l’importance de renouveler les effectifs, voire de les accroitre. En effet, les ouvrages présentent des outils ou des attitudes visant à attirer les meilleurs candidats, les conserver et les

développer afin de profiter du meilleur capital humain. Sekiou et al. (2001) définissent le recrutement comme « un ensemble d’actions entreprises par l’organisation pour attirer des

candidats qui possèdent les compétences nécessaires pour occuper dans l’immédiat ou dans l’avenir un poste vacant » (p. 227). De leur côté, Martory et Crozet (2008) le présentent comme

un « compromis entre le souhaitable et le possible ». Dans tous les ouvrages, les auteurs détaillent les enjeux importants du recrutement et les conditions pour réussir un recrutement : une connaissance précise du poste et des compétences attendues, une procédure claire et juste et la préparation à l’intégration du salarié. Les ouvrages présentent les aspects administratifs du recrutement, mais surtout, fournissent différentes grilles pour permettre aux décideurs de déceler le candidat qui répond au poste convoité. Le fait de consacrer plusieurs chapitres à cette question montre bien l’importance que la gestion des ressources humaines souhaite mettre dans l’adéquation entre les besoins de l’organisation et la compétence acquise.

b) La formation des salariés

Considérée comme « un moyen de produire de la compétence » (Lethielleux 2012, p. 55), le traitement de la formation dans les ouvrages s’inscrit pleinement dans une logique d’investissement : « il s’agit d’appliquer une logique d’investissement aux ressources

immatérielles (ou intellectuelles) de l’entreprise » (Lethielleux 2012, p. 55)51. L’organisation

doit améliorer la formation des salariés dans le but d’en tirer des bénéfices ultérieurs. Bien que les manuels abordent l’existence de coûts de formation, ils présentent ces coûts comme bénéfiques pour le capital humain et donc la performance de l’organisation.

c) La gestion de carrière

La gestion de carrière désigne « un ensemble d’activités entreprises par une personne pour

introduire, orienter et suivre son cheminement professionnel, en dedans ou en dehors de l’organisation, de façon à lui permettre de développer pleinement ses aptitudes, habiletés et compétences » (Sekiou et al. 2001, p. 367). Cette thématique est liée à celle de la gestion des

« talents » pour lequel Thévenet et al. (2015) consacre un chapitre. Il s’agit de mettre en place des processus particuliers pour attirer, garder ou développer des compétences rares. Ici encore, la ressource humaine est clairement considérée comme un investissement. Pourtant, il est intéressant de noter que ces processus ne concernent pas l’ensemble des salariés. La GRH

51 Un « investissement » est un terme financier, signifiant un « engagement de capitaux dans le but d’en tirer des

segmente le traitement de ces ressources. Les processus comme le recrutement de « talents », les plans spécifiques de formation ou la gestion de carrière concernent surtout les emplois les plus stratégiques. Ainsi, une partie de l’effectif semble plutôt exclue de ces processus. Cela amène à nuancer la représentation d’un effectif global considéré par la GRH comme un investissement.

d) La rémunération et la gestion de la masse salariale

Martory et Crozet (2008)52 ouvrent leur chapitre sur la rémunération et la masse salariale

comme suit : « la rémunération est à la fois un coût pour l’organisation, qui constitue souvent

son principal poste de dépenses, et le revenu des apporteurs de travail.». Bien les ouvrages

évoquent la rémunération comme une charge, les auteurs insistent sur le fait qu’il s’agisse d’un outil de productivité par le biais de la motivation (Lethielleux 2012, p. 84 ; Thévenet et al. 2015, p. 211). Le système de rémunération mis en place doit être articulé avec les contraintes financières, en cohérence avec le marché externe, être juste et incitatif en interne. Pour cela, les ouvrages distinguent différentes formes de rémunération sur lesquelles l’organisation peut s’appuyer. Les coûts engendrés par les charges du personnel, englobées par le terme financier « masse salariale », ne sont jamais éloignés des impacts positifs de ces coûts sur l’implication et la productivité des salariés. Ainsi, ces charges sont plutôt appréhendées comme des investissements, certes couteux, mais améliorant la rentabilité de l’organisation. La comparaison avec la manière d’aborder l’effectif en contrôle de gestion est à mettre en parallèle de ces éléments.

La préoccupation première des ouvrages de GRH est donc d’appréhender l’effectif comme un investissement. Par ailleurs, la lecture des ouvrages fait apparaître une deuxième

préoccupation de la GRH qui se positionne entre une description précise du travail et des données chiffrées d’ensemble.

1.1.1.2 L’effectif, entre travail singulier et donnée standard

À la différence du contrôle de gestion pour lequel la norme est souvent considérée comme une donnée standard, « gérer les ressources humaines de l’entreprise, c’est […] comprendre

qu’elles sont a priori singulières et virtuelles » (Le Gall 2007, p. 37). Par conséquent, une

52 Il est important de noter que Martory est l’auteur des ouvrages de référence sur le contrôle de gestion social

(Martory 2009; 2010), ce qui explique également cette approche par le couple coût-valeur comme nous le montrons dans la partie 3.2.2

politique RH est contingente à l’entreprise. « C’est d’ailleurs une des grandes préoccupations

de l’enseignement des ressources humaines » (Thévenet et al. 2015, p. 104). Ainsi, les ouvrages

fournissent une catégorisation des actes de travail, permettant une certaine généralisation des situations, mais laissant une place pour leur singularité. Ce positionnement se traduit dans un vocabulaire spécifique et des outils fournis dans les manuels.

a) Les notions d’emplois, de métiers et de compétences

Les définitions de notions donnent un premier aperçu de la finesse d’analyse adoptée en GRH. Une entreprise engage un salarié afin qu’il fournisse un travail, au sens d’ « effort,

application pour réaliser un ouvrage » (Peretti 2011). Gérer le travail, en quantité et en qualité,

est une des missions de la GRH. « La description du travail, des compétences, des postes ou

des emplois constitue la base de la discipline, comme la comptabilité est celle de la finance »

(Thévenet et al. 2015, p. 33). Ainsi, la discipline a développé plusieurs concepts qui permettent de décrire ou de catégoriser les formes de travail. À ce titre, les termes emplois, postes et compétences sont distingués. En premier lieu, un emploi désigne « l’ensemble des fonctions qui

lui [le salarié] sont confiées, en partage ou à titre exclusif » (Peretti 2013, p. 164). Quant au

poste, il se définit par l’emploi et sa localisation. Il est plus localisé et décrit en termes d’activités. Enfin, la compétence renvoie à un « ensemble de savoir-faire opérationnels

validés » (Peretti 2013, p. 164). Ces distinctions ont l’intérêt de fournir d’autres façons de

décrire les effectifs que la notion chiffrée d’Équivalent Temps Plein (ETP). La GRH fournit ainsi un vocabulaire pour distinguer les formes de travail et lui permettre de remplir plusieurs missions : « évaluer le travail », « gérer les compétences », « développer la formation », « rémunérer le travail », etc. (Thévenet et al. 2015). Pour remplir ces missions, les acteurs de la GRH ont besoin de notions globalisantes (la gestion des compétences par exemple), mais également de définitions qui se rattachent à une approche de terrain (le poste de travail de X par exemple). Ces définitions mettent en évidence le niveau d’intervention sur lequel les

acteurs de la GRH sont attendus : un niveau relativement vaste allant de la gestion des masses à l’analyse du travail singulier.

Par ailleurs, des outils spécifiques sont proposés pour spécifier le travail des salariés. Par exemple, l’analyse des emplois se définit comme « une procédure qui utilise une méthode

appropriée pour la collecte systématique de faits précis concernant un emploi étudié à une période donnée, permettant ainsi de tracer le profil de cet emploi avec toutes ses composantes, soit sa description et sa spécification » (Sekiou et al. 2001, p. 99). Elle fournit « une

information détaillée sur un emploi précis qu’on veut décrire » (Sekiou et al. 2001, p. 100).

Certains ouvrages détaillent les techniques utilisées : observation du travail, questionnaire aux salariés, entrevues, etc. Selon Sekiou et al. (2001), aucune technique n’est suffisante lorsqu’elle est utilisée seule, et aucune ne peut convenir à tous les emplois. Les auteurs informent ainsi des limites d’une standardisation des procédures trop poussée, insistant sur l’aspect singulier de chaque emploi.

b) Quelques repères chiffrés

Pour autant, les ouvrages de GRH ne négligent pas les données chiffrées. Elles sont utilisées à deux niveaux : la définition précise du volume d’effectifs ; et la question des coûts financiers des processus RH.

Concernant le premier point, il s’agit de définir avec précision le contenu des données agrégées qui sont régulièrement utilisées : ETP moyen ; ETP à date ; heures théoriques ; etc. Le traitement par les manuels, déjà présentés dans notre premier chapitre, révèle une approche technique et juridique de ces éléments. Les notions ne sont pas questionnées en tant que données susceptibles d’intégrer des jeux d’acteurs, mais simplement comme des définitions juridiques à connaitre pour remplir des formalités administratives comme le bilan social, la déclaration URSSAF, etc. Cette approche renvoie nécessairement à des rôles d’exécution notamment au niveau administratif ou juridique.

Les ouvrages de GRH abordent les questions financières au travers de quelques thèmes53. Le plus logique concerne le traitement de la rémunération, objet financier par excellence. Bien que des éléments financiers soient évoqués au niveau de la rémunération individuelle, peu d’ouvrages font référence explicitement au pilotage de la masse salariale globale. À titre d’exemple, dans le chapitre « Rémunérer le travail » de Thévenet et al. (2015, p. 199), un encadré d’une page et demi y est consacré sur les vingt-cinq pages du chapitre. Les manuels confèrent plutôt aux acteurs de la GRH la charge de déployer un système de rémunération pour maintenir et développer les ressources, mais la compétence du pilotage de la masse salariale globale semble laisser à d’autres acteurs.

Par ailleurs, les chapitres qui traitent de la formation se clôturent régulièrement par un questionnement sur l’évaluation de la formation, notamment en termes de coût. Les acteurs RH

53 Nous mettons dans le cas présent de côté les quelques références au contrôle de gestion sociale puisqu’il fait

sont invités à prendre en compte les aspects financiers, sans pour autant que la maîtrise des coûts soit prioritaire. Enfin, tous les processus RH sont évalués en termes d’intérêts par rapport au temps consacré. C’est particulièrement le cas pour des processus qui paraissent lourds à mettre en place, comme la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences par exemple. Lorsque les acteurs négligent l’esprit de la démarche, les entreprises peuvent rapidement s’engager dans des processus très lourds et inefficaces. Les ouvrages invitent les acteurs à éviter ce risque, présent dans différents processus de gestion.

Thévenet et al. 2015 illustrent finalement bien ce paradoxe : « la direction des ressources

humaines doit à la fois prendre en compte les contraintes économiques de l’entreprise […] et les caractéristiques inhérentes à la nature humaine que l’organisation considère comme des contraintes. En effet, la nature humaine peut se caractériser notamment par l’aléatoire, l’incertitude, le non-maitrisable, l’unicité et la complexité. Il est donc impossible de réduire les hommes à une case que ce soit dans un bilan ou dans un projet de développement, comme la recherche de performance de l’entreprise l’exigerait. En revanche, il est possible d’essayer de réguler et de maîtriser les coûts et gains humains si on garde à l’esprit que ces chiffres ne représentent que la partie visible et maîtrisable de l’action et de la performance humaine » (p.

99).

En somme, la manière d’aborder différentes thèmes liés aux effectifs dans les ouvrages de GRH fournit un premier cadre concernant les rôles assignés aux acteurs de la GRH. En effet, une partie de l’effectif étant considéré comme un investissement, ils auraient pour mission de développer ces ressources. Par ailleurs, la façon de définir et de traiter les effectifs, à l’aide de notions spécifiques comme l’emploi ou la compétence, mais rapporté à peu de données chiffrées, semble exclure les acteurs du pilotage global des effectifs. En effet, les ouvrages peinent à évoquer explicitement la notion de coût. Cette tendance provient de la difficulté à formaliser et à valoriser les profits engendrés par la fonction RH (Thévenet et al. 2015, p. 99). Ainsi, les acteurs de la GRH doivent faire face à des « tensions et contradictions » (Cadin et al. 2012, p. 77) parce qu’ils sont parfois confrontés à des objectifs que semblent divergents. « Les

politiques de GRH sont assaillies d’injonctions contradictoires : maintenir la paix sociale vs faire des économies, prévoir les évolutions nécessaires à moyen terme vs développer l’adaptabilité à court terme, développer les compétences des salariés vs limiter les coûts… »

Ce premier cadrage concernant les rôles assignés aux acteurs provient de l’analyse des définitions et des préoccupations des ouvrages. Désormais, revenons sur les rôles explicitement abordés concernant le pilotage des effectifs.

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