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Le choix de l’approche française des conventions

Conclusion Des outils chiffrés vecteurs d’une coordination entre acteurs, malgré leurs carences techniques

Section 2 Des théories conventionnalistes à l’appareil d’investigation précis

2.3 Le choix de l’approche française des conventions

L’ancrage de la théorie des conventions dans l’évolution de la pensée en organisation a été abordé dans la première section. Les fondements de Simon et March, de Crozier et Friedberg ont posé les assises d’un courant. Pour autant, ce dernier s’est tellement décomposé qu’on peut désormais parler « des théories sur les conventions » (Mercier 2000, p. 198). Le terme de

« convention » ne renvoie d’ailleurs pas forcément à la même définition pour tous les auteurs qui s’en réclament (Reynaud et Richebé 2007). Cette hétérogénéité entraine régulièrement des confusions qu’il s’agit ici d’éviter, en les présentant et en explicitant clairement le cadre pour lequel nous optons : l’approche française des conventions (2.3.1) inspirée des travaux de Gomez (2.3.2).

2.3.1L

E CHOIX DE L

APPROCHE FRANÇAISE DES CONVENTIONS

Deux approches des conventions sont à distinguer : l’approche l’américaine et l’approche française.

2.3.1.1 L’approche américaine

L’approche américaine découle de la théorie des jeux et entraine des développements mathématiques sophistiqués (Gomez 1994). Elle s’intéresse à la genèse des conventions. Proche de la théorie micro-économique standard, cette approche tente de formaliser les prises de décisions des agents. David Lewis (1969), qui s’inscrit dans cette approche cherche à étudier la naissance des conventions en les définissant comme des classes de comportements standards. Des analyses mathématiques sophistiquées sont fondées sur des hypothèses de comportements rationnels. Peu d’observations de pratiques sociales sont effectuées (Gomez 1994). Même si Lewis admet certains aspects de la rationalité limitée, il considère que les acteurs ont les informations nécessaires pour prendre les décisions les plus rationnels. Deux critiques ont été développées sur l’approche lewisienne. Tout d’abord, elle étudie simplement les « bonnes » conventions (Batifoulier et al. 2002), c’est-à-dire celles qui permettent un accord stable entre les acteurs. Or, explorer les problèmes de coordination peut permettre de révéler les conditions d’un accord stable.

2.3.1.2 L’approche française

L’approche française de la théorie des conventions relie l’économie et la sociologie

(Eymard-Duvernay 2006) et s’intéresse à l’utilisation des conventions au moment

d’effectuer un choix. Ses défenseurs rejettent clairement l’hypothèse de rationalité et

Elle émerge au début des années 1980, d’abord en économie et en sociologie, pour s’étendre ensuite à la gestion dans les années 90. La chronologie des publications de référence donne une vision intéressante de l’évolution du courant : la revue économique de mars 1989, pilotée par Eymard-Duvernay, Orléan, Salais, Thévenot et Dupuy est souvent considérée comme le lancement du courant ; l’ouvrage de 2006 (Eymard-Duvernay 2006) fait le point, quinze années plus tard, sur les nombreuses avancées du courant ; celui d’Amblard (2003) se concentre sur les développements conventionnalistes en sciences de gestion. Bien que cette approche puisse sembler cantonnée à la sphère francophone, les écrits de Gomez et Jones (2000) l’ont inscrit « définitivement » dans une dimension internationale (Husser 2009, p. 76).

2.3.2L

A NOTION DE CONVENTION SELON

G

OMEZ

La manière d’aborder la convention chez Gomez (1994 ; 2000 ; 2003 ; 2006 ; 2015) présente de nombreux intérêts qui nous amènent à nous inscrire dans l’approche de cet auteur.

2.3.2.1 Une perspective inscrite dans le mouvement sociologique

Tout d’abord, l’auteur s’inscrit clairement dans le mouvement que nous avons décrit dans la première section de ce chapitre. Ainsi, l’angle qu’il adopte possède des assises fortes concernant la coordination des acteurs. Dans sa préface de l’ouvrage d’Amblard (2003), Gomez rappelle d’ailleurs l’ancrage des courants conventionnalistes en sciences sociales, en opposition avec « l’aridité désolante d’un modèle néo-classique qui commençait déjà, à devenir exclusif » (Gomez 2003, p. 5).

2.3.2.2 L’ancrage gestionnaire

L’ancrage gestionnaire des travaux de Gomez participe également à notre rapprochement. Les premières recherches conventionnalistes de l’auteur (1994 ; 2000) sont consacrées à la notion de qualité. Il s’intéresse à la construction et à l’évolution d’un niveau minimum de qualité pour les clients. Rejetant la définition technique de la qualité et abandonnant ainsi la théorie classique car elle néglige la nature sociale de la construction, l’auteur appréhende la qualité comme la résultante d’un accord entre deux parties. Il distingue ainsi deux conventions : la « convention de qualification » est le résultat d’un consensus entre le client et le fournisseur et fournit ce qu’on est en droit d’attendre de chacun d’eux ; et la « convention d’effort » qui établit le niveau d’effort communément admis pour chaque salarié participant à la production.

Cet ancrage gestionnaire permet d’illustrer le cadre théorique conventionnaliste par un objet qui demeure assez complexe pour être intéressant. Cela demeure un fait relativement rare dans le champ des conventions. En effet, de nombreux auteurs s’appuient sur des exemples simples : le sens de circulation des routes en France et en Angleterre (Amblard 2003), l’heure de départ du travail (Montmorillon 1999), l’interdiction de fumer dans les lieux publics (Amblard 2003), etc.

De plus, la construction du niveau de qualité chez l’auteur partage un postulat commun avec la construction du volume d’emplois dans notre recherche. En effet, Gomez considère le niveau de qualité comme une « construction sociale » (1994, p. 137), remettant en cause la définition technique qui l’appréhende comme une « contractualisation entre des attentes d’un

client et un produit » (Gomez 1994, p. 37). Dans notre cas, comme nous l’avons montré dans

le chapitre 1, le chiffrage des effectifs n’est plus seulement une détermination des besoins, mais la résultante de la coordination d’acteurs variés.

2.3.2.3 La précision de la notion de convention

Face à l’hétérogénéité de l’utilisation de la notion de convention, aggravée par l’utilisation commune du terme, Gomez a toujours insisté sur la précision du terme employé (1994 ; 2006). La définition complète est fournie en 1994 : « une convention est une structure de coordination

des comportements offrant une procédure de résolution récurrente de problèmes, en délivrant une information, plus ou moins complexe sur les comportements mimétiques, de telle manière que l’interprétation de cette information par les adopteurs ne remette pas en cause la procédure collective » (Gomez 1994, p. 108). L’auteur y joint sept conditions que le chercheur doit vérifier

pour pouvoir parler de convention. Elles sont explicitées dans le paragraphe 2.4.1.

Bien que ces conditions de vérification d’une convention soient précises, un flou demeure concernant le niveau auquel une convention se met en place. Pour Amblard (2007), « le courant

conventionnaliste nous enseigne que chaque convention s’exerce au sein d’une zone d’influence qui lui est propre » (p. 105). Taskin et Gomez (2015) parlent d’une « forme de régulation sociale située, à la fois dans le temps […] et dans l’espace (une portée plus ou moins locale de la régulation et des règles produites) » (p. 122). Gomez et Jones (2000) insistent sur la

difficulté, voire l’impossibilité de décrire complètement une convention. Dans son chapitre consacré à la méthodologie, Gomez (2003) décrit cette difficulté à trouver la « bonne échelle

d’analyse » (p. 258) d’une convention. L’auteur se demande même si le chercheur doit

258). Il préconise aux chercheurs conventionnalistes d’assumer leur échelle d’observation et de réfléchir à l’articulation entre la parole des acteurs, le modèle théorique et le système de rationalisation commun, autrement dit, le principe commun accepté par les acteurs. Pour notre part, notre niveau d’observation s’effectuera au niveau des acteurs d’une organisation. Autrement dit, nous tentons de localiser les conventions présentes dans les outils de gestion, et d’observer la manière dont elles permettent la coordination entre les acteurs de l’organisation observée. Le champ d’application des conventions est celui de chaque organisation que nous allons étudier.

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