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Les outils chiffrés comme vecteur de la coordination entre acteurs

entreprises de service

Section 2 De l’insuffisance des outils à leur utilisation systématique : des pistes d’explication du paradoxe

2.3 Les outils chiffrés comme vecteur de la coordination entre acteurs

Nous avons vu dans le premier chapitre que la financiarisation de l’économie et des stratégies des entreprises ont entrainé un développement important des recherches critiques concernant les outils de gestion. Porteurs d’une « financiarisation excessive » (Martinet 2009, p. 140), les outils sont considérés comme des objets limités. Ils orientent les acteurs vers le court-terme, sont facilement falsifiables et ne prennent pas en compte toutes les dimensions. La première section de ce chapitre a permis de rappeler, pour le cas des outils de chiffrage des effectifs, à quel point cette analyse était justifiée. Pour autant, l’utilisation constante de ces outils invite à une réflexion renouvelée. En s’appuyant sur la perspective de l’instrumentation

de gestion, une nouvelle voie s’ouvre. Dépassant l’analyse purement technique des outils, cette perspective invite à s’intéresser à la relation entre les acteurs qui entourent l’utilisation de l’outil. Bien que les recherches des années 90 proposent une analyse conflictuelle de ces

relations, plusieurs éléments nous poussent à nous tourner vers une analyse plus coopérative. Tout d’abord, la financiarisation et l’évolution de la prise en compte des

ressources humaines dans la performance ont entrainé un rapprochement entre la fonction contrôle et la fonction RH (Alcouffe et al. 2013). Par ailleurs, notre étude exploratoire a révélé qu’au-delà de positions inscrites dans les manuels qui semblent opposées, les acteurs tendent vers la coopération.

Dans un débat théorique entre deux « univers » (Chiapello et Gilbert 2013, p. 58), l’un critique les outils considérés comme empreints ou responsables de déséquilibre entre acteurs, et l’autre tourné vers la coordination, nous nous tournons vers le second en nous intéressant à la manière dont les outils facilitent l’action collective. Dans notre cas, l’outil est appréhendé comme une manière de dépasser les tensions entre les fonctions de l’organisation.

2.3.1L

A CONSTRUCTION ET L

UTILISATION DES OUTILS

Nombre d’auteurs ont montré la manière dont la construction et/ou l’utilisation des outils de gestion permettaient de structurer les interactions entre les acteurs (Moisdon 1997). La caractéristique de « discutabilité », effective dans les contextes complexes, fait référence à la « fonction de médiation des activités collectives » des outils de gestion (ibid., p. 117), permettant à la fois aux utilisateurs de construire des points de vue distincts (et parfois divergents) et de rechercher des compromis. En affirmant les logiques conflictuelles dans l’organisation, les outils seraient essentiellement liés à une régulation sociale des organisations (Boussard 2001). Ainsi, « débattre des instruments peut être une manière de structurer un

espace d’échanges à court terme, de négociations et d’accords, tout en laissant en touche les enjeux qui sont les plus problématiques » (Lascoumes et Le Galès 2004, p. 26). Les outils

permettent aux acteurs « d’explorer les relations qui les unissent, de mettre à l’épreuve la

pertinence de leurs savoirs, de partager l’interprétation des situations qui les engagent »

(Grimand 2006, p.22). Finalement, « il ne reste à l’outil qu’un statut modeste celui d’aider les acteurs à coordonner leurs actions à développer une intelligibilité mutuelle » (ibid., p. 26).

2.3.2L

E CAS DES OUTILS COMPTABLES ET FINANCIERS

Cette vision de l’outil comme vecteur de coordination a été développé dans le cadre des outils chiffrés. Burchell et al. (1980) avait déjà identifié le rôle de dialogue et d’apprentissage de la comptabilité. Cette perspective s’est traduite par des recherches concernant un large éventail d’outils. Pezet (1998) parle du « rôle d’ingénierie de l’accord » (p. 80) des instruments de gestion en l’appliquant aux outils de décision d’investissement. Les rôles des budgets ont également été abondamment étudiés par la littérature. Au-delà de leur intérêt de planification qui a été largement critiqué, les budgets auraient un rôle « interactive »80 puisqu’ils fournissent

un processus de dialogue et d’apprentissage dans le cadre d’un changement stratégique (Abernethy et Brownell 1999). Dépassant les seuls rôles économiques qu’on leur confère, les budgets remplissent des « rôles humains » qui en justifie leur permanence (Gignon-Marconnet 2003, p. 70). Ils offrent un « cadre institutionnalisé » pour gérer les oppositions de l’organisation (Löning et Nguyen Tan Hon 2011, p. 11) par le biais d’un langage et d’objectifs communs. Ce rôle est, une nouvelle fois identifié dans la typologie proposée par Sponem et Lambert (2010)

Plus généralement, le langage comptable a confirmé sa capacité à faire discuter. « Avec un

langage commun, les informations comptables peuvent être utilisées comme une base pour encadrer les discussions entre managers »81 (Hall 2010, p. 306). Chenhall et al. (2013) montrent que les données comptables permettent des « productive frictions » qui permettent aux acteurs de dépasser des conflits entre des logiques opposées. La notion de convention est y d’ailleurs évoquée, insistant sur la manière dont les pratiques comptables étaient des terrains propices aux compromis.

2.3.3D

ES RECHERCHES METTANT EN AVANT LA CONTINGENCE

Des chercheurs ont donc tenté de mettre en lumière des facteurs de contingence, permettant de cerner dans quelles conditions les outils favorisaient les dominations et dans lesquelles ils pouvaient permettre aux acteurs de se coordonner. Selon Thomas (2003), le contrôle de gestion peut être un outil de régulation conjointe ou au contraire, imposer des injonctions fortes suivant le degré d’incertitude de l’environnement. Ainsi, dans un système complexe, « le contrôle de

80 Le terme est repris à Simons (1990).

81 Notre traduction de l’anglais : “as a common language, accounting information can be used as an anchor to

gestion ne se donne plus pour objectif le contrôle de la conformité des comportements par rapport à une norme établie par la régulation de contrôle, mais plutôt la construction de ces espaces de négociation, espaces qui permettront l'émergence d'une régulation conjointe efficace » (ibid., p. 176). Gignon-Marconnet (2003) va plus loin en montrant qu’une gestion

budgétaire très contraignante ne convient pas à des environnements incertains. Dans le cadre d’un changement organisationnel, le rôle du contrôle de gestion dépend du mode de mise en place du changement : si le changement est prescrit, le contrôle permettrait de conformer les comportements ; lorsqu’il est construit, le contrôle deviendrait plutôt un lieu d’échanges et de négociation, intéressant pour stimuler, accompagner et encadrer les nouvelles idées (Touchais et Herriau 2009). Ragaigne et al. (2014) analysent ces deux rôles en invoquant les dimensions de contrainte et d’habilitation d’une enquête de satisfaction et d’un outil de rémunération des compétences. La dimension de contrainte s’inscrit clairement dans l’optique de Foucault alors que la dimension habilitante s’appuie plutôt sur les travaux de Hatchuel dans laquelle la prescription a des effets positifs en termes d’apprentissage pour celui qui la subit. L’article révèle des cas d’outils qui évoluent d’une dimension à une autre.

Conclusion - Des outils chiffrés vecteurs d’une coordination

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