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CHAPITRE III CONTEXTE POLITIQUE, SOCIOCULTUREL ET RELIGIEUX DU BURKINA FASO : DU TEMPS DE

3 LE CONTEXTE RELIGIEUX

3.1 Religions et croyances traditionnelles

Si la religion est la reconnaissance par l’homme d’un pouvoir ou d’un principe supérieur duquel dépend sa destinée et à qui obéissance et respect sont dus, on peut dire sans crainte de se tromper que toutes les sociétés traditionnelles africaines étaient très religieuses.

Plus basées sur les obligations communautaires que sur les droits individuels, ces sociétés étaient fondées sur la religion qui était comme un ciment qui leur donnait solidité, stabilité et cohésion. La religion africaine traditionnelle était non seulement omniprésente dans la société entre les hommes, mais de plus, elle reliait les hommes aux puissances invisibles et les aidait à établir de justes relations avec les puissances extrahumaines. La structure idéologique de la société traditionnelle africaine accorde une place importante au surnaturel, aux sentiments populaires et religieux, à la piété, mais aussi à la compréhension de la nature de l’univers, des êtres humains et de leur place dans le monde, ainsi que celle de la nature de Dieu qui a des noms différents selon les régions (Opuku, 1987 : 550). Il faut préciser que les Africains croient en un seul Dieu avec de nombreux intermédiaires.

Les religions et croyances traditionnelles se résumaient essentiellement aux conceptions de la société concernant la personne humaine, les forces invisibles de la nature (Dieu, les esprits, les déités) et les rapports entre l’homme et ces êtres invisibles, conceptions très variables d’une société à l’autre, même si elles présentent des points communs comme nous allons le voir.

Thomas et Luneau (1981) ont fait une étude sur les religions africaines en général, où ils présentent les conceptions de plusieurs sociétés africaines (Yoruba, Fang, Dogon, Kikuyu, Ewe, Mossi et Ashanti) sur la personne humaine. Ainsi, ils affirment que les Yoruba (groupe ethnique du Nigéria) lui attribuent les composantes suivantes :

• la composante matérielle périssable qui est le corps fait d’argile. Après la mort, il y a l’ombre qui va avec le corps et ne meurt qu’après l’inhumation, et ensuite le distributeur de nourriture

• la composante non matérielle périssable qui est constituée de l’esprit, distingué de l’intelligence et de la réflexion

• la partie non matérielle et non périssable constituée du cœur comme siège de la personne et du souffle vital qui abandonne le corps dès que disparaît la respiration et rejoint l’être suprême à qui il appartient

• et enfin, ‘le seigneur de la tête’, qui se réincarne dans le nouveau-né.

Pour les Fang du Gabon, outre la partie périssable, il existe sept types d’âmes, tandis que les Dogons du Mali en distinguent huit, dont quatre femelles et quatre mâles.

Pour les Kikuyu du Kenya, il existe deux types d’âmes : une liée à l’individu et l’autre à la famille. Les Ewe du Ghana et du Togo en reconnaîtraient aussi deux : une

qui va au ciel après la mort et l’autre qui va sous la terre. Les Mossis du Burkina Faso considèrent que l’âme a deux composantes (femelle et mâle) et que la mort serait le résultat de la séparation des deux composantes. Les Ashantis, quant à eux reconnaissent sept types d’âmes, liés aux jours de la semaine.

Les Goin du Burkina considèrent qu’une personne est composée d’un corps et d’une énergie vitale ancestrale qui détermine à la fois son destin et sa personnalité (Dacher, 1992 : 13). Selon la conception bambara, la personne humaine est très complexe (Dieterlen 1951). Elle a une composante physique (le corps) et plusieurs composantes spirituelles qui sont l’âme (ni), le double (dya), le tere, le wanzo et le nyama, sur lesquels nous reviendrons dans la présentation des religions bambara.

Ces conceptions de la personne humaine sont très variées, mais présentent pour la plupart un point commun clairement exprimé ou déductible: l’existence d’une âme dans la personne humaine, qui se réincarne. L’être humain est composé de substance matérielle (le corps) qui se désintègre après la mort et de substance immatérielle (l’âme) qui survit après la mort. On croit que la vie continue après la mort et qu’il existe à côté de la communauté des vivants, une communauté des morts, et celle de ceux qui vont naître (Opuku 1987), mais ces deux communautés sont souvent confondues

Quant à la conception africaine générale de Dieu, Opuku (1987 : 549) affirme qu’il (Dieu) avait plusieurs noms selon les sociétés. Considéré comme un esprit qui n’a pas d’image, il est perçu comme le créateur du monde. Tout lui est attribué en tant que source de tout pouvoir. Tout en étant différent des êtres humains, Dieu intervient aussi dans la vie des humains en défendant l’ordre moral (ibid. 550). La hiérarchie des esprits est la suivante : au sommet se trouve Dieu et en dessous, les esprits des ancêtres toujours traités avec crainte et respect, ainsi que les déités dont on croyait qu’elles avaient le pouvoir de récompenser ou de châtier les êtres humains. En plus de ces déités, il y avait d’autres esprits mystiques, reconnus pour leur capacité d’aider les êtres humains ou de leur nuire, comme les agents de la sorcellerie, de la magie et de l’envoûtement (idem).

Les religions traditionnelles du Burkina avaient à peu près les mêmes conceptions de Dieu. Ainsi, dans la société bobo, Sanon (1970) a également démontré qu’il est considéré comme le créateur du monde et la source de tout pouvoir. Il a aussi fait cas de la même hiérarchie que Opuku (1987). Dieu est présent (parce que souvent nommé) mais comme lointain par rapport aux ancêtres et aux esprits. On l’invoque pour les salutations, les bénédictions et les proverbes. On croit qu’il voit tout. Il est présent et tout lui appartient. On le croit souvent en haut au ciel. C’est d’ailleurs le même mot qui sert à dire ‘ciel’ et ‘Dieu’ dans les langues bobos (Wuro) et senoufo (Cl).

En dioula de même, le fait d’évoquer les choses d’en haut est assez significatif. On se réfère ainsi à Dieu ou à ses anges. Il est très craint ; en témoignent les autres phénomènes de la nature, tels que le tonnerre, la foudre qui lui sont souvent assimilés.

Les Bambara reconnaissent aussi un Dieu unique «Ngala», même s’ils se réfèrent à d’autres divinités propres à l’ethnie, Pemba et Faro. De même dans la religion du Do, chez les Bobo, tout en reconnaissant l’unicité de Dieu, une place très importante est accordée à Do (Dieu des Bobo), dont la puissance est souvent comparée à celle de Dieu (universel). Ces deux religions, toutes de l’ouest13 du Burkina, seront présentées dans la section suivante, pour donner une idée des pratiques religieuses de cette région.

La religion désigne souvent la foi en un être supérieur et omnipotent, mais souvent aussi l’ensemble des actes rituels liés à la conception d’un domaine sacré, distinct du profane. L’initiation et les rites funéraires présentés plus haut dans le contexte socioculturel s’inscrivent dans la logique de ces religions et ne seront pas re-présentés ici pour éviter une redite.

3.1.1 La religion du Do14

Les Bobo croient fermement en leur ancêtre et fondateur de l’ethnie qui est l’esprit Do, si bien qu’ils en ont fait une religion. L’esprit Do est à la base de toute la vie de l’ethnie et donc source de toutes les coutumes. Il faut être Bobo ou appartenir à une communauté villageoise précise pour pouvoir accéder à Do. Il a plusieurs noms :

‘Fâgâmâ’ : chef ou roi, ‘Sâtâmâ’, Do tout puissant, ‘Sâtâmâ dâkélé’, Do qui pose dans le monde (Do créateur) (Sanon, 1970 : 180). On dira même qu’il est Dieu (Wuro), pour signifier son rôle tout puissant de médiateur entre Dieu et l’ethnie bobo.

On ne dira jamais par contre que Dieu (Wuro) est Do, car Dieu (bien défini) est pour tous les hommes, tandis que Do est Wuro pour les Bobo.

Dieu ne se manifeste que par des signes qu’il faut déchiffrer et il faut recourir à des personnages attitrés pour les interpréter. Ces médiateurs sont des hommes, mais ils sont ressentis comme plus qu’humains, parce que dotés d’un sens du divin. Ce sont des ancêtres fondateurs de l’ethnie dont Do est le chef et le roi. Dans toutes les communautés villageoises, il est le seul et l’unique roi. Les autres chefs sont les anciens, les vieux, les aînés.

On distingue plusieurs symboles du Do et ceux ci sont tirés du quotidien du paysan bobo :

- Le rônier, arbre de vie des Bobo. Sa tige représente le Do de la maison

- Le néré : il joue pour la mère de famille le rôle que joue le rônier pour le père.

- Il y a ensuite une petite herbe de brousse appelée ‘sisálò,’ qui est appelée le Do de la brousse.

- Dans la constitution du support où reposera l’esprit Do, tous les éléments précités sont utilisés ensemble et liés avec des lanières de cuir de la peau d’un animal. Cette peau très résistante sert de ficelle pour lier les lamelles de fer et

13 La religion bambara initialement du Mali se retrouve aussi à l’ouest du Burkina, pour des raisons historiques présentées dans l’histoire politique du Burkina.

14 Cette présentation de la religion Do est tirée de Sanon (1970).

les rhombes qu’on fait vrombir pour annoncer l’approche du Do. Les masques sont appelés fils du Do parce qu’ils sont considérés comme étant des ancêtres revenant parmi les vivants.

Lors des célébrations religieuses, l’un des responsables porte le support du Do sur l’épaule. Ceux qui font vrombir les rhombes le précèdent de même que deux hommes qui utilisent des sifflets.

Le Do intervient en différentes circonstances de la vie villageoise comme source d’inspiration et d’animation de toutes les activités essentielles à la vie et la survie de l’ethnie. Ainsi, on lui présente tous les enfants des deux sexes entre trois et sept ans, afin qu’il les agrée lors de l’initiation. Lors des décès et des funérailles, il intervient et les masques qui viennent aux funérailles rappellent constamment sa présence. Les initiés ont leur langage propre et sont censés parler la langue du Do.

En plus de ces occasions où l’esprit Do est présent, il existe de grandes célébrations annuelles qui lui sont consacrées et que nous ne présenterons pas en détail, parce que moins pertinentes pour notre étude dont l’objectif, rappelons-le, est de donner une idée des éléments culturels de l’ouest qui auraient pu influencer les traductions de textes bibliques.

Nous analysons à présent dans la même perspective, la religion bambara présente au Mali, en Côte d’Ivoire et à l’ouest du Burkina chez les Sénoufo (regroupant les Goins, Turka, Siamou etc.).

3.1.2 La religion Bambara15

La religion bambara est basée sur un mythe très complexe de la création de l’homme, indispensable à sa compréhension (Dieterlen 1951). Le monde terrestre fut créé par Pemba, tourbillon au départ et transformé en graine d’acacia et ensuite en arbre (le Balanza) qui, plus tard, périt pour laisser une sorte de madrier rectangulaire en bois appelé Pembele. Seul sur terre et las de cette solitude, Pemba décida de se faire une compagne. Il pétrit un amas de terre avec sa salive et lui incorpora une âme souffle (ni), lui donna une forme et lui affecta un double immatériel (dya), qu’il confia à Faro, maître du ciel et des eaux, gardien des dya. Cette forme pétrie avec l’amas de terre se transforma au bout de quatre jours en femme appelée ‘Musokoroni kundye’, qui devint plus tard sa femme, matrice des futurs êtres, dépositrice des connaissances et animatrice des pensées de Pemba. Elle donna naissance aux êtres vivants, plantes, animaux, tous pourvus de ni et de dya qui reconnurent Pemba comme leur créateur et l’assimilaient ainsi à Dieu (Ngala). Celui-ci, pour affirmer sa puissance, se transforma encore en arbre (le Balanza) sous lequel venaient se réfugier les êtres humains nés de Faro, qui, reconnaissant sa puissance, le priaient et recevaient les directives de la vie. Tous les détails de cette cosmogonie bambara risquent de nous éloigner de notre objectif visant la localisation des problèmes de traduction.

15 La présentation de cette religion est basée sur Dieterelen (1951).

Les différentes composantes de l’homme ont déjà été présentées plus haut, mais il n’est pas superflu de les rappeler afin de mieux situer le débat sur leurs relations avec les divinités. L’homme est composé de parties spirituelles (ni ou âme, dya ou double, tere, nyama et wanzo) et d’un corps dont les fonctions sont associées à celles des divinités. C’est ainsi que la divinité Faro, qu’on croit être dans l’eau, et qui se manifeste par la pluie, le tonnerre, le grain, la grêle, l’arc en ciel et la foudre, se trouve être responsable du ni (âme) et du dya (double). Il détient le principe de vie dans l’eau et il est l’élément fécondant. On croit qu’il est unique sur terre et a le don d’ubiquité. Dans le corps, il siège dans le sang. Faro dispose de la vie et de la nature de l’enfant. Il détermine son destin dès sa conception. C’est à l’accouchement que l’enfant reçoit les principes vitaux spirituels qui sont le ni (âme) et le dya (double) qu’il hérite d’un défunt de la famille. Il s’agit donc là du phénomène de réincarnation, rapportée aussi par Dacher (1992 : 13) sur la société goin vivant au sud-ouest du Burkina.

Dans la religion bambara, le ni (âme) est visible. Il est le souffle, la respiration, le battement des artères. Le dya est l’ombre de la personne sur le sol ou sur l’eau.

Quant au tere, autre composante spirituelle de l’homme, il est le caractère de l’homme, sa force, sa conscience et la partie de son être qui le rend «sensible aux contingences» (Dieterlen, 1951 : 61). Le tere est l’élément de la personne qui subit les conséquences de l’impureté. En cas de rupture d’un interdit, le tere, perturbé, peut se détacher de son support normal et devenir nyama. C’est au moment de la mort que le tere est complètement libéré et le nyama qui en sort peut être une force active, qui, dans certains cas peut s’attaquer à celui qui a causé la mort.

Le tere et partant le nyama sont confiés à Pemba qui est représenté chez les chefs religieux par une image appelée Pembele, représentant l’univers et souvent assimilé à Dieu « Ngala » (Dieterlen, 1951 : 36) comme pour reconnaître son rôle de créateur de l’univers. Pemba est perçu comme le promoteur de la force nyama qui anime les êtres. Après un décès, le chef de famille confie le nyama au pembele, autel consacré à Pemba qui le conserve jusqu’à la prochaine naissance dans la famille.

Le wanzo, la dernière composante spirituelle de l’homme, est une force néfaste que tout enfant reçoit à la naissance. Il est constitué par l’impureté de Musokoroni et dû à la malédiction dont elle fut l’objet lors de sa trahison de Pemba, qui, à l’origine était son mari. Le wanzo siège dans le prépuce et le clitoris et représente chez l’individu le désordre. Il est alors nécessaire de s’en débarrasser par la circoncision et l’excision et aussi par des rites qui terminent la retraite16 des opérés lors des initiations. Le wanzo ne disparaît pas. Il s’écoule d’abord dans la terre avec le sang de l’objet mutilé, mais le reste de la force s’échappe avec la fumée du feu par dessus lequel sautent les enfants (trois à quatre fois suivant leur sexe) avant de rentrer dans leur demeure après avoir abandonné leurs vieux vêtements pour en revêtir des nouveaux, symbole de leur

16 En effet, lors des cérémonies d’initiation, les candidats doivent se retirer en brousse pour des rituels, et la durée de cette retraite dépend des sociétés, mais prend en général au moins une semaine.

nouvel état. Le wanzo est ensuite capté par les masques de la société des incirconcis appelée Ndomo. Là, il servira à consolider les énergies collectives des sociétés enfantines dont il est le fondement.

Ces deux religions, sans être les seules présentes à l’ouest du Burkina, sont assez représentatives des pratiques religieuses de cette région, cible du Layidukura.

Cette présentation du contexte religieux se poursuit par les religions importées qui ont sans doute influencé les anciennes conceptions, établissant ainsi un nouveau contexte devant également être pris en compte.