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CHAPITRE IV CONTEXTE LINGUISTIQUE ET INSTITUTIONNEL

1 SITUATION LINGUISTIQUE

1.1 La période missionnaire ou coloniale

La plupart des ethnies présentes au Burkina de nos jours, dont nous avons fait cas au chapitre précédent l’étaient aussi depuis la période précoloniale (Arhin et Ki-Zerbo, 1996). On dénombrait approximativement autant de langues, c’est-à-dire une soixantaine, qui sont toujours parlées dans toute la sous-région. Mais les différents groupes ethniques étaient installés en communauté, chacune utilisant sa langue, ce qui ne laissait pas trop entrevoir la concentration linguistique actuelle par rapport au nombre de la population. À l’époque coloniale, on parlait de cercles. Celui de Bobo en 1914 avait une population estimée à 300 000 habitants (Audoin et Deniel, 1978 : 34). Si l’on considère que les langues nationales présentes au Burkina l’étaient aussi depuis la période coloniale, on peut présumer qu’il y avait toujours la quarantaine de langues dont fait cas Kedrébéogo (1998) à l’ouest du Burkina, comme le montre d’ailleurs la carte linguistique suivante.

Au XIVième siècle déjà, étaient apparus les grands empires musulmans, essentielle-ment à l’ouest du pays, dirigés par les commerçants dioula (Audoin et Deniel, 1978 : 13), à pied d’œuvre contre l’animisme et pour la conversion à l’islam. Ainsi, depuis cette période, le dioula a commencé à s’introduire progressivement et à jouer son rôle de langue véhiculaire.

Les missionnaires qui sont arrivés dans ce contexte pour évangéliser étaient conscients des problèmes de communication auxquels il fallait faire face. Cela impliquait la résolution, non seulement du problème linguistique, mais aussi traductologique et culturel.

1.1.1 La politique linguistique coloniale et/ou missionnaire

Les Pères Blancs avaient opté pour l’alphabétisation, afin de résoudre le problème de la langue. Cela consistait en des cours dispensés d’abord en français, puis en français et en langues locales aux personnes devant servir ensuite comme catéchistes (Sandwide, 1999 : 175), ce qui n’a pas manqué d’attirer les jeunes, parce qu’à ce moment là, parler français, c’était se valoriser dans son milieu, pouvoir échanger avec les autorités de l’administration coloniale, paraître d’une certaine façon illuminé, sortir de l’ignorance et pratiquer l’exotisme linguistique (ibid., 176). Le but de cette

instruction proposée par les Pères Blancs était double : «tout d’abord, se faire comprendre en français, et ensuite comprendre les autres dans leurs langues» (idem).

La politique linguistique coloniale interdisait cependant toute autre langue à l’école que le français. Les politiques linguistiques des missionnaires catholiques et protestantes etaient contradictoires. Tandis que les derniers mettaient l’accent sur la promotion des langues locales, les premiers qui étaient très liés à l’administration coloniale ont beaucoup reproduit la politique linguistique de cette dernière : imposer la langue française dans tous les contextes formels. La politique missionnaire était quand même plus souple que celle des colons, qui, en plus, interdisait l’usage de toutes autres langues, soit en les reniant, soit en les considérant tout simplement comme du folklore. Ainsi, Chévrier (1974 : 237), citant Pierre Alexandre, peut-il écrire :

La politique coloniale française en matière d’éducation et d’administration est facile à définir : c’est celle de François 1er, de Richelieu, Robespierre et de Jules Ferry. Une seule langue est enseignée dans les écoles, admise dans les tribunaux, utilisée dans l’administration : le français, tel qu’il est défini par les gens de l’Académie et les décrets du ministre de l’instruction publique. Toutes les autres n’étaient que folklore, tutu panpan, obscurantisme, biniou et bourrée, et ferments de désintégration de la République.

Cet enseignement unique du français n’a pas fait qu’imposer la langue, mais au-delà, c’est toute la culture de l’homme «primitif» qui devait disparaître au profit de celle du «civilisé». Ainsi, les ordonnances déclaraient illégitimes les pratiques culturelles propres aux indigènes, comme le dit Gisler (1981 : 131) :

Dans cette œuvre de salubrité et de sécurité publique, l’école jouera un grand rôle. S’il est question de faire connaître, d’imposer la langue et la culture de la classe dominante, en fait, il s’agira d’instruire les masses de leur infériorité, de les dépouiller de leur parole, de les contraindre au respect du noble et du beau langage.

La politique linguistique coloniale française était donc on ne peut plus claire. Les missionnaires qui au départ dépendaient de l’État français devaient aussi appliquer cette politique dans leurs œuvres d’évangélisation, ce qu’ils firent sans problème.

Dans le souci de former les catéchistes pour les appuyer, ils sont arrivés à la conclusion (ou il leur a été suggéré) d’ouvrir des écoles préparatoires où les aspirants seraient initiés à la langue française avant d’être envoyés dans une école centrale.

Pour justifier ce choix, ils disaient :

La langue française a été choisie pour l’enseignement dans ces écoles de formation proprement dite pour plusieurs raisons : résoudre le problème de diversité linguistique et constituer une unité, d’autant plus que son usage se répandait de plus en plus grâce aux écoles du gouvernement… Pour éviter des difficultés aux jeunes gens lors du retour de

leur mission d’origine, il fallait un catéchisme unique en Français, appris et expliqué à l’école, puis traduit dans les différents dialectes (Sandwide, 1999 : 185).

Leur politique qui semblait plus souple, parce qu’admettant des traductions en langues nationales, n’était pas plus simple que la politique linguistique coloniale officielle. Le père Marcel Paternot aurait élaboré le catéchisme unique qui fut ensuite traduit en vingt sept langues (Sandwide, 1999 : 188). Les missionnaires proposaient d’abord le français et ensuite des traductions dans les langues africaines, traductions dont ils étaient encore les auteurs, même dans ces langues africaines qu’ils ne maîtrisent pourtant pas mieux que les Africains eux-mêmes. Sanon (1970 : 25), en analysant la situation linguistique créée par les colons et missionnaires, avance que

«lorsque dans nos catéchismes, le lecteur ou le chercheur rencontre des termes comme mesia, sacraman, ekaristi, ordo, dimansi» et qu’il soupçonne que l’on a contraint le catéchumène à les mémoriser, il ne s’émeut guère, parce que c’est tout à fait normal pour «toute ethnie qui accède au niveau de langage chrétien». Au phénomène de l’emprunt, il cite (idem) la revue Afrique Parole qui s’est attaquée au problème de la diversité comme «nocive à l’unité chrétienne en rappelant Babel».

Au-delà de ces arguments peut-être fondés, il affirme que cette stratégie de communication n’a pas manqué de créer des malaises aux nouveaux croyants. Aussi, peut-il dire :

Le langage est l’expression d’une altérité qu’il articule et ouvre dans le sens de la communication et de la communion. Si le langage traduit vraiment un aspect d’altérité, qui sont alors ceux qui n’ont pas le choix par rapport à ceux qui imposent le leur ?

Le colonisé tout comme le catéchumène ont dû subir cette même politique linguistique dans un contexte général visant à renier toutes les autres langues et cultures au profit du français. Le malaise occasionné par cette politique s’est accentué chez les catéchumènes pour qui, outre le problème linguistique, il y avait une défaillance de la communication en général dans lequel figure le problème de la traduction des textes de l’évangile.

1.1.2 Le problème de la traduction

Le problème de la traduction des textes de l’évangile s’est posé en plusieurs termes. Il fallait non seulement traduire le sens du message en mots, mais aussi le proclamer selon le style oral, parce qu’à ce moment-là, toute communication passait par le canal de la voix humaine et des instruments (tam-tam, flûtes, balafon) qui l’accompagnent.

Le problème de la traduction de l’évangile en langue africaine se résume comme suit (Sanon, 1970) : comment garder la chaleur et la tonalité de la communication orale à l’écrit ? Les structures de l’oralité déjà définies au chapitre précédent au sous-paragraphe 2.2.5.1 peuvent se résumer à un public réceptif, conditionné dans le temps et l’espace, dans lequel le diseur et les auditeurs se sentent partie prenante. Le texte

doit être mémorisé et proféré à portée de voix selon un rythme de diction qu’accompagnent et mettent en valeur les instruments de musique. Traduire l’évangile implique donc beaucoup de facteurs :

Traduire l’évangile dans une langue nouvelle impliquait donc comme on le voit d’être averti en linguistique et en sciences théologiques au départ et plus fondamentalement, cela supposait une connaissance des lois de l’oralité afin que même traduit, le message demeure fidèle aux structures d’un message vivant à proclamer (Sanon, 1970 : 102).

Ainsi, il ne suffisait pas de comprendre la langue, mais il fallait aussi être imprégné des lois et règles de la communauté. Or, les Africains ont souvent reçu l’évangile à la

‘manière européenne’ et le fait que cette annonce de la bonne nouvelle se soit faite dans un contexte général de colonisation a eu une influence certaine sur la réceptivité de l’audience. Mais, une expérience de proclamation de la parole décrite par Sanon (idem) démontre qu’au-delà de ce braquage des Africains contre les colons/missionnaires et leur évangile, il y avait un vrai problème de fonctionnement des textes, lié au moyen de sa proclamation. Le message n’a sans doute pas été adapté au ‘genre’ (De Vries, 2001) familier de la société réceptrice.

En proposant des solutions au malaise linguistique constaté, Sanon (1970 : 25) va plus loin en proposant que les communautés africaines prennent la parole eux-mêmes.

Il dit en effet :

D’autres ont parlé pour nous, à notre place, et continuent à le faire ; et si nous devons parler, c’est aussi devant eux, selon leur libellé, à leur manière. Il y aurait là une récupération à tenter : que les communautés africaines prennent aussi la parole ! Ainsi, nous parlerions nous-mêmes, pour traduire à nous-mêmes, devant les autres sans doute, le contenu natif et naïf de notre adhésion à la foi.

Chez les catholiques, le problème de l’utilisation des langues vernaculaires s’est posé de manière plus importante à partir du concile Vatican II en 1962, où les Africains ont revendiqué l’inculturation. Mais il faut dire que bien avant ce concile, des traductions vers les langues locales avaient déjà été entreprises pour l’évangélisation.

Ainsi, le père Alexandre à Ouagadougou traduisit l’évangile en mooré, le père Bonny en gulmacema et dans le même souci de mettre l’évangile à la disposition des fidèles, le père Dumas lança le premier essai de la grammaire goin, permettant ainsi à plusieurs jeunes de lire en goin (Sandwide, 1999 : 176).

Les difficultés linguistiques et traductologiques notées à la période coloniale se sont répercutées et se ressentent toujours pour la plupart sur la période actuelle.

1.2 La Situation linguistique actuelle