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Nouvelles conditions de la traduction Biblique

CHAPITRE IV CONTEXTE LINGUISTIQUE ET INSTITUTIONNEL

2 CONTEXTE INSTITUTIONNEL

2.3 Nouvelles conditions de la traduction Biblique

L’intérêt de ce point est de définir les identités et rôles de tous ceux qui interviennent dans la traduction de la Bible en dioula au Burkina Faso, avec pour objectif la détermination des influences éventuelles jouées par ces facteurs sur le produit fini.

Nous nous intéressons ici à la version du Layidukura publiée en 1997 par l’Alliance Biblique du Burkina Faso qui apparaît comme l’initiateur des traductions, donc très déterminant dans le choix des stratégies de traduction selon la théorie du skopos. Il convient donc d’y jeter un coup d’œil afin de déterminer ses objectifs.

2.3.1 L’Alliance Biblique au Burkina Faso

L’Alliance Biblique est une association inter-confessionnelle qui regroupe les églises protestantes et l’église catholique. D’abord sous la dépendance de l’Alliance Biblique du Togo, l’Alliance Biblique du Burkina Faso créée en 1982 a pour objectif la diffusion des Saintes Écritures. Elle a pour activités principales la traduction de la Bible en entier ou en parties. Ainsi, elle a déjà permis la publication de traductions bibliques en mooré, gulmancema, dioula, bobo-mandarè, san, dagara, birifor et lobiri (huit langues au total). Elle envisage de lancer la traduction de la Bible en fulfuldé.

L’Alliance Biblique diffuse environ 20 000 Bibles par an à des prix réduits «afin de permettre aux hommes et femmes de notre pays d’entrer en contact avec la parole de Dieu et que leur vie en soit transformée» (Message du 30 avril 2002 du directeur de l’Alliance Biblique à l’occasion de la 7ème édition des journées bibliques).

Les projets de traduction sont entrepris par l’Alliance Biblique pour satisfaire à la demande des populations locutrices des langues concernées. Pour ce faire, il faut que la langue concernée ait plus de 70 000 locuteurs, ce qui est le cas pour le dioula.

Autrement la langue est dite minoritaire et c’est la Société Internationale de Linguistique (SIL) qui s’en occupe (entretien du 10 août 2001 avec Paul Marie Ilboudo, directeur de l’Alliance Bible du Burkina).

Le soutien financier proviendrait de l’entraide mondiale de l’Alliance Biblique Universelle (grâce à qui des Bibles sont vendues à prix réduit), de la vente des saintes écritures et de la contribution ponctuelle et régulière des églises et des fidèles. Pour motiver l’aide demandée aux fidèles, le directeur dans son même message du 30 avril avance que «la traduction coûte très cher, au point que le soutien des églises et des fidèles est indispensable si nous ne voulons pas que les projets de traduction s’arrêtent». «Or», ajoute-il, «qui d’entre nous ne voudrait pas que Dieu lui parle dans sa propre langue ? »

L’exégète Elie Sanon (entretien du 12 juillet 2001 à 11h), Paul Marie Ilboudo, (entretien du 10 août 2001) et Monseigneur Lucas Kalfa Sanon, évêque de Banfora, responsabilisé pour suivre les traductions bibliques en dioula alors qu’il était prêtre du diocèse de Bobo (entretien du 18 juin 2004), ont chacun confirmé que les traductions sont financées par les églises et l’Alliance Biblique Universelle, en ajoutant que chacun a un pourcentage à payer, pourcentage que le directeur de l’Alliance n’a pas voulu dévoiler. Les traductions seraient subventionnées par l’Alliance Biblique à plus de la moitié des frais et les églises se repartiraient les autres frais. Monseigneur Lucas Kalfa Sanon a pour sa part affirmé que les Églises protestantes contribuaient plus largement au financement que l’Église catholique (même entretien).

Pour résumer les raisons avancées dans le message du directeur de l’Alliance Biblique pour justifier le financement de son institution, on peut noter le souci de voir la parole de Dieu dans les langues locales pour permettre à la population qui est en majorité ‘analphabète’ d’accéder à son contenu, la volonté de l’Alliance Biblique Universelle d’aider les pays pauvres à se procurer la parole de Dieu et le souci de mettre en exécution l’envoi de Dieu qui est d’aller dans le monde entier et d’annoncer la parole de Dieu à tous les peuples (Marc 16 : 15). L’une des cibles de ces traductions bibliques clairement exprimées par le directeur de l’Alliance Biblique est la population ‘analphabète’. On se demande alors comment cette population pourra lire d’elle-même ces Bibles, si ‘analphabète signifie bien ‘ne pouvoir ni lire, ni écrire’. Pour encourager les églises et les particuliers à contribuer généreusement, le directeur lors du même message, avance le fait que chacun aimerait entendre la parole de Dieu dans sa langue, ce qui constitue donc un objectif avoué de ces traductions.

La compréhension des objectifs de l’initiateur et du bailleur de fond est très déterminante dans la compréhension des stratégies de traduction selon la théorie du skopos. Les procédures proprement dites, de même que les acteurs de la traduction peuvent aussi apporter des éclaircissements.

2.3.2 Acteurs et Procédures de traduction

La traduction est réalisée par une équipe composée de traducteurs, réviseurs, conseillers et superviseurs qui se répartissent le travail.

Les traducteurs de la Bible au Burkina Faso sont des chrétiens catholiques et protestants à qui on ne demande ni une connaissance particulière de la Bible, ni des compétences particulières en traduction. Pour le cas du dioula, ce sont des hommes et femmes choisis au sein de la communauté religieuse, sur la base de leur connaissance du dioula et souvent de leur engagement dans l’église. Bien évidemment, il faut de plus savoir lire et écrire. On trouve parmi eux des catéchistes de l’église catholiques, des pasteurs et d’autres membres des Églises protestantes, sans niveau d’instruction particulier : le pasteur Sanon Pascal a le niveau CEPE (Certificat d’études primaires et élémentaires), de même que les catéchiste Jean Go et Maurice Sanon.

Parmi les conseillers, on compte l’exégète du groupe, Sanon Elie, titulaire d’une maîtrise en lettres et d’un diplôme d’études bibliques, qui est de l’église protestante.

Il y a en outre une conseillère américaine à la tête de l’équipe qui aurait un doctorat en linguistique et un diplôme en études bibliques, mais n’est pas locutrice native du dioula.

Avant les sessions proprement dites de traduction, les conseillers et superviseurs élaborent un document d’aide aux traducteurs. Ce document donne des enseigne-ments doctrinaux et des explications théologiques sur certains passages jugés importants, dont la compréhension n’est pas évidente. Il est un guide du sens des passages (entretien du 10 juillet 2001 avec Elie Sanon).

Chaque traducteur reçoit une partie à traduire. Ils ne traduisent pas tous les mêmes passages. Ils utilisent comme version de base la version du français courant, mais peuvent ensuite recourir à d’autres versions françaises de la Bible, telles que la TOB, la version Louis Segond Révisée encore appelée ‘la Colombe’, etc. pour des éclaircissements sur certains points qui leur paraîtraient obscurs. Après la traduction, la version produite est soumise à la correction d’un exégète et ensuite à un groupe de lecteurs et réviseurs qui jugent de la forme. Les membres de ce groupe ont un niveau d’instruction assez élevé. Le groupe que nous avons rencontré (séance de travail du 04 août 2001) était constitué d’un inspecteur et d’autres enseignants du primaire, qui maîtrisent bien le français et le dioula.

Ensuite, la version corrigée est remise aux conseillers de l’Alliance Biblique qui apportent les dernières corrections et jugent de l’acceptabilité de la version.

Quelle utilisation concrète est faite des versions ainsi produites ? Qui les utilisent ? Le prochain sous-paragraphe tentera de répondre à ces questions.

2.3.3 Audience et utilisation faite de la traduction

Cette partie a fait l’objet d’entretiens auprès de l’Alliance Biblique du Burkina, étant donné que c’est l’institution agréée pour la publication des Bibles.

La population burkinabèe étant en majorité analphabète, acheter une Bible sans pouvoir la lire paraît insensé. Les Bibles sont achetées essentiellement par des organismes internationaux qui veulent mener un programme d’évangélisation. Il arrive cependant que des individus en achètent pour leur utilisation personnelle. La tendance générale pour les catholiques est que c’est surtout pendant la messe, les

prières et les enseignements qu’une grande partie de l’audience est touchée. Il n’y a pas tellement de pratiques de lecture individuelle de la Bible. Quant aux protestants, leur tradition de prêche les encourage à la lire plus souvent. Très fréquemment pendant les offices, les pasteurs renvoient à des passages à lire avec eux, ce qui oblige tous ceux qui savent lire, à venir aux cultes avec le texte. On peut déduire de ces remarques que ces traductions écrites fonctionnent en fait plus à l’oral qu’à l’écrit, parce que non seulement les catholiques sont plus nombreux que les protestants (16,6% de catholiques contre 3,1% de protestants selon l’INSD, 2000c : 54), mais il faut compter seulement avec les protestants qui savent lire.

Des agents de l’Alliance Biblique de Ouagadougou interrogés dans le cadre de la présente thèse (15 septembre 2001) ont affirmé que les Bibles ne s’achetaient pas bien. Le fait que la population de manière générale ne se sente pas concernée par ces traductions peut s’expliquer par des raisons culturelles et sociales et être un indice de la non adaptation de la version produite à ses besoins. La subvention permet de vendre les Bibles à un prix réduit, ce qui les rend relativement abordables. Et si malgré tout, le Layidukura ne s’achète pas, il faut peut être rechercher le problème à un autre niveau. La tradition orale toujours dominante peut être un facteur à considérer, car les populations n’ont pas une culture de lecture développée.

L’utilisation concrète qui est faite des traductions de passages bibliques semble se résumer aux points suivants :

- Lecture et commentaires à la messe par les prêtres et pasteurs - Lecture personnelle des fidèles protestants pendant les cultes

- Utilisation comme livre de lecture pendant les cours d’alphabétisation par les volontaires communautaires lors des séances d’alphabétisation

- Lecture lors des prières et des enseignements par les animateurs ou autres catéchistes

- Lecture personnelle (assez limitée)

Cette partie consacrée aux contextes culturel et institutionnel a tenté de passer en revue les facteurs extratextuels généraux de notre analyse. Elle n’a pas la prétention d’être exhaustive, mais espère avoir fourni des éléments permettant de situer les analyses qui vont suivre dans la partie suivante.

TROISIÈME PARTIE