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CHAPITRE III CONTEXTE POLITIQUE, SOCIOCULTUREL ET RELIGIEUX DU BURKINA FASO : DU TEMPS DE

3 LE CONTEXTE RELIGIEUX

3.2 Religions importées

3.2.2 Le Christianisme .1 Historique

Les missionnaires ont joué un rôle actif dans l’invasion subie par les peuples africains en général et burkinabè en particulier. C’est en 1867 (avant même la création officielle de la colonie de Haute Volta intervenue en 1895) que Monseigneur Charles Lavigérie, nommé archevêque d’Alger, proposa l’ouverture d’une mission dans le désert du Sahara (Prost 1939, Sandwide 1999), donc un siècle après l’arrivée de l’islam. Sa proposition fut acceptée en 1868 et il avait en charge la responsabilité d’établir une mission catholique dans le désert du Sahara pour, selon ses propres termes, «répandre les vraies lumières d’une civilisation dont l’évangile est la source et la loi, les porter au-delà du désert avec des flottes terrestres qui le traversent,

jusqu’au centre de ce continent encore plongé dans la barbarie, relier ainsi l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale à la vie des peuples chrétiens» (Prost, 1939 : 5, citant Lavigerie ). Il créa la même année ce qui est devenu la Société des Missionnaires d’Afrique ou Société des Pères Blancs (Sandwidé 1999).

En 1871, après la création de la Société des Pères Blancs, une crise interne politique en France se solda par un changement de régime. Il y avait une rivalité entre les grandes puissances européennes installées sur les côtes de l’Afrique noire. La France comptait rehausser sa grandeur nationale et ce fut une belle opportunité pour les missionnaires qui voulaient profiter de la pénétration des colonies européennes pour évangéliser les régions mal connues. La société des Pères Blancs n’avait pas de frontières de nationalité, alors que la France n’entendait pas voir ses possessions coloniales passer entre les mains de ses ennemis et rivaux sous le manteau missionnaire (Sandwide, 1999). Des discussions entre la France et le Saint Siège sur les conditions de financement et d’établissement des missionnaires se sont soldées par le choix d’un religieux français comme vicaire du Sahara. Les missionnaires qui avaient certains objectifs en commun avec les colons, entrèrent dans le jeu des pouvoirs publics français et montrèrent leur désir de collaborer. En effet, si l’administration coloniale était surtout motivée par la conquête politique, elle visait aussi à faire rayonner la civilisation française par la langue et la culture et ce deuxième objectif figurait aussi dans l’agenda des missionnaires, comme l’indique d’ailleurs la déclaration de Monseigneur Charles Lavigerie sus-cité par Prost (1939 : 5).

Autant les missionnaires que les colons avaient pour objectif de ‘civiliser’ et les premières traductions de la Bible ont eu lieu dans ce contexte qui se trouve bien résumé par Bediako (1992 : 225) en ces termes :

It is important to understand the image of Africa in the corporate European mind during

‘The Great Century’ of the christian missionary advance […] What struck them, undoubtedly, was the darkness of the continent, its lack of religion and sound morals, its ignorance, its general pitiful condition….Evangelisation was seen as liberation from a state of absolute awfulness and the picture of unredeemed Africa was often painted in colors as gruesome as possible, the better to encourage missionary zeal at home.

La bonne nouvelle de la Bible, traduite dans les langues locales par des missionnaires étrangers qui ignoraient encore beaucoup d’aspects de la culture et des ‘genres’ ou

‘types de textes’ de la société locale, fut certainement influencée par cette idéologie.

Le message de la Bible était considéré comme le libérateur de l’Afrique et des Africains sauvages et superstitieux, et Bediako (1992 :226) de remarquer encore :

Africans were not only savage and uncivilized, they were also in the very depths of ignorant superstition…The missionary enterprise thus became part of a much wider benevolent movement in Africa: to elevate the people of Africa to assume their place among civilized and christian nations.

L’Afrique avait besoin d’être délivrée à travers les instructions religieuses :

In his programme for the ‘delivrance of Africa’, Sir Thomas Fowell included the impartation of ‘moral and religious instruction’ … The gospel itself was the great civilizer of the barbarous men (idem).

Il fallait donc apporter la religion et la «civilisation» occidentale. On peut être tenté de se demander alors, comme Sanon (1970), si changer de religion correspond à changer de culture.

Les Pères Blancs étaient divisés entre un sentiment patriotique et leur mission évangélisatrice. Les rapports entre l’Église catholique et l’État français prirent fin en 1905 (Sandwide, 1999 : 96), l’État français ayant auparavant décidé de se retirer du financement des missions. Les deux camps poursuivirent leur expansion.

Les missionnaires d’Afrique sont arrivés au Burkina le 22 janvier 1900 à Koupela (ibid. 103). Les postes de Ouagadougou créés en 1901 (ibid., 116) et de Bobo en 1927 (ibid., 122) allaient être les deux principales bases où les missionnaires Pères Blancs se sont établis pour ensuite s’étendre sur l’ensemble du territoire burkinabè.

Toutes ces missions furent créées quand la Haute Volta était sous le contrôle de la France.

Pour ce qui est des églises protestantes, leur multiplicité ne permet pas de présenter une histoire unique les concernant. Les missions protestantes sont arrivées au Burkina et se sont installées sur trois zones différentes pour éviter la concurrence entre elles, divisant ainsi le Burkina en trois zones missionnaires. La mission des Assemblées de Dieu fut la première à s’implanter en 1920 (Tapsoba, 1990), celle de l’Alliance Chrétienne à l’ouest en 1923 et celle de la SIM (Serving In Mission) à l’est en 1930.

Tapsoba, (1990 : 3) explique que c’est par le canal de missionnaires américains que l’Église des Assemblées de Dieu s’est implantée au Burkina Faso. Le groupe d’Américains aurait quitté les États-unis d’Amérique en 1920 par bateau et serait arrivé à Dakar, capitale à l’époque de l’Afrique occidentale française. Le groupe arriva à Ouagadougou en 1921. Dans la même année déjà, les missionnaires des Assemblées de Dieu songèrent à étendre la mission dans le reste du pays, mais c’est seulement en 1972 que l’Église protestante a commencé à se développer.

De nos jours, les chrétiens ont connu le développement le plus spectaculaire en trente ans. De 3.8% en 1960, ils sont passés à 20.7% en 1991 et sont principalement basés dans les villes (Editions Jeune Afrique, 1998 : 39). Tout comme pour l’islam, on trouve les adeptes du christianisme dans toutes les classes sociales et presque toutes les ethnies du Burkina. On les retrouve plus dans les provinces du Kadiogo, du Kouritenga et du Boulkiemdé (idem).

3.2.2.2 Rapports entre l’islam et le christianisme

L’islam ayant précédé le christianisme, les missionnaires ont dû compter avec cette religion dans la lutte pour la conversion des âmes.

Les musulmans entendaient relever le défi de la culture occidentale transmise à travers les écoles par l’intermédiaire des missionnaires. C’est dans cet esprit que furent créés les medersas pour lutter contre le christianisme, synonyme de la religion du colonisateur.

Dans ce combat d’expansion, plusieurs facteurs favorisaient l’islam (Deniel et Audoin 1978) :

• Il existe une meilleure compatibilité entre les religions traditionnelles et l’islam, qui se remarque par exemple dans le respect de la polygamie et une plus grande tolérance des pratiques coutumières des musulmans.

• La facilité de conversion : on n’a pas besoin de catéchèse par exemple, comme c’est le cas pour le catholicisme.

• En outre, à l’époque, l’islam se dissociait de la domination politique, ce qui ne fut pas le cas pour le christianisme surtout catholique.

Dans les régions mossi, il y avait moins de musulmans, ce qui stimula les missionnaires à y engager une implantation rapide du christianisme (Prost, 1939).

Malgré tout, les musulmans devenaient chaque année plus nombreux et plus actifs et cela inquiétait les missionnaires (Audoin et Deniel, 1978).

Les écoles coraniques se multipliaient avec l’aval de l’administration coloniale qui considérait l’islam comme «le seul pouvoir d’unification de l’Afrique occidentale»

(Audoin et Deniel, 1978 : 23). Il était donc plus facile d’administrer ces groupes islamiques déjà bien organisés que les populations restées dans la tradition. Il y avait une lutte entre les adeptes de l’islam et les chefs traditionnels qui craignaient de voir échapper leur autorité, parce que les adeptes de l’islam n’avaient plus peur des

«anciens dieux» qui étaient pourtant la force des chefs traditionnels (Sandwide, 1999 : 40). L’administration coloniale a servi de tampon entre ces deux groupes qui s’affrontaient. Ainsi Sandwide peut-il affirmer «qu’il faudra la paix française pour que le prosélytisme musulman parvienne à se développer » (idem).

L’administration coloniale a donc favorisé l’expansion de l’islam et les Pères Blancs avaient alors d’énormes difficultés à se faire des adeptes au sein des populations fortement islamisées. Un bloc s’était formé contre l’ennemi commun : les missionnaires. Même au sein des adeptes du christianisme, il y avait un malaise dont les causes peuvent se trouver à plusieurs niveaux, mais essentiellement dans les approches de l’évangélisation, dont celles liées à la langue et au ‘genre’, sur lesquelles nous reviendrons dans la présentation de la situation linguistique.

L’administration coloniale était fortement liée à l’œuvre des missionnaires, dont l’une des principales activités était l’enseignement dans les écoles, dans le souci d’attirer plus d’adeptes. Les premiers lieux de formation secondaire du pays étaient les séminaires. Le premier collège du pays fut d’ailleurs le petit séminaire de Pabré créé

en 1925 (Archidiocèse de Ouagadougou, 1999 : 35). L'église catholique a sensiblement contribué à la formation des cadres du Burkina, d'où cette assimilation persistante entre école moderne, colonisation et christianisme. Doli (2001 : 5) dit à ce sujet que le petit séminaire de Pabré et le grand séminaire de Koumi étaient les

‘viviers’ de cadres pour le gouvernement voltaïque qui y puisait son élite politico-administrative. Les premiers missionnaires et les premiers chrétiens ont donc été des agents du développement. Avant 1969, l’Église catholique avait plus d’écoles que l’état burkinabé et formait près de 50% des élèves scolarisés dans le pays (Archidiocèse de Ouagadougou, 1999 : 35).

Il en a résulté un nombre plus élevé de personnes instruites et de cadres au sein des chrétiens, comparativement aux musulmans, comme l’illustre bien Audoin et Deniel (1978 : 103) :

L’activité sociale éducative de l’Eglise et sa contribution au développement sont assez largement reconnues. Les directives de ses évêques vont dans le sens de l’intérêt de l’État, le cardinal conseille de participer à la vie politique, des prières sont faites chaque dimanche pour le pays. Ses écoles préparent l’enfant à la vie aussi bien que les établissements publiques, et elles lui donnent en plus une formation morale. Il en résulte pour les chrétiens un surcroît d’influence –ils sont partout dans la fonction publique et dans le gouvernement – influence que les musulmans leur envient : « tu ne verras pas un Amadou dans un bureau » assure l’un d’eux, propos excessif mais révélateur.

De même, au sein des populations alphabétisées, on trouve plus de chrétiens que de musulmans, les premiers ayant toujours l’avantage de profiter des campagnes d’alphabétisation organisées par les églises.

3.2.2.3 Rapports entre le christianisme et les religions traditionnelles L’avènement du christianisme ne se fit pas sans heurts. Un certain malaise était perceptible au sein de la population, les missionnaires étant souvent assimilés aux colons. Les populations se souvenaient encore des mauvais traitements infligés par ces derniers et du caractère asservissant de la colonisation. À côté de ces facteurs, il faut noter que l’adhésion au christianisme était plus contraignante pour les Africains, pour les raisons largement développées plus haut à savoir la question matrimoniale et la conception selon laquelle les religions traditionnelles sont «barbares» et doivent être remplacées par des religions plus civilisées. Tout ou presque a été imposé aux Africains, du point de vue de la culture, de la langue et de son fonctionnement. Cette entreprise fut menée dans un contexte général de force. Le malaise des populations traditionnelles, très bien illustré par un poème22 de Sanon (1970 : 21), s’inscrit dans cette logique.

22 « Comment ont–ils pu vaincre sans avoir raison » Vaincre sans avoir raison !

Etre vaincu en ayant raison ! Vaincu dans son droit par des vainqueurs sans droit ! Voilà le secret du colonisateur,

Sans entrer dans tous les détails des causes de ce malaise, nous nous attarderons au chapitre suivant sur celles qui touchent aux problèmes de la communication, c'est-à-dire celles liées à la langue et à la traduction dans les langues africaines.

Et voilà la souffrance du colonisé ;

S’ils ont eu raison contre nous : c’est que nous étions faibles, Serait- ce de notre faute, notre péché, notre honte ?

Nos ancêtres s’étaient–ils trompés ? Leur victoire, l’échec pour nos ancêtres, N’est-ce pas le fruit de la force ?

La vérité a-t-elle quelque chose à y voir ?

La cause qui triomphe, triomphe -t- elle par la force ou la vérité ?

La cause qui perd, perd-elle par la victoire ou par l’erreur ? Ont-ils triomphé parce que la vérité était de leur côté ?

Avons-nous peur par faiblesse ou parce que la vérité nous a quittés ?

Ils nous bafouent, et il faut les accueillir ! C’était la fin d’un monde qui vieilli, s’en allait, Et c’était l’aube d’un autre monde qui s’annonçait, Ce monde nouveau allait naître de deux mondes vieillis, Et de celui du colonisateur et de celui du colonisé.

Pourquoi ?

Pourquoi le Dieu de tous venait-il par eux, avec eux ? Le messie de Dieu, s’il est de Dieu doit venir de Dieu : Est ce ainsi que tu devais venir, Jésus de Nazareth ?

Venir non de causes célestes,

Mais de causes terrestres, terreuses, véreuses, compromis ! Quelles tares à la naissance de ton Eglise en terre africaine !

Et pourquoi si tard ?

Pourquoi près de deux mille ans d’attente, d’absence ? Etre là, sur terre, deux mille ans durant sans être nommé Pour nous, par nous !’