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CHAPITRE V PRÉSENTATION ET ANALYSE DU CORPUS ÉCRIT

2 ANALYSE TEXTUELLE

2.3 L’analyse pragmatique

2.3.2 Passages ‘inadaptés’

Exemple 3

1 Corinthiens 10 : 16

«An be barka la Ala ye flen dubaman mn kosn ka sr k’a mn, ale t’an jn n Krsta ye a jol bnko la wa ?»

Traduction littérale : La calebasse pour laquelle nous rendons grâce à Dieu avant de la boire, ne nous unit-elle pas au christ pour son sang versé ?

Versions françaises :

«Pensez à la coupe de la Cène pour laquelle nous remercions Dieu : lorsque nous en buvons, ne nous met-elle pas en communion avec le sang du christ ? ...» (Français Courant)

«La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion au sang du Christ ? …» (Louis Segond Révisée)

La calebasse est le récipient utilisé au Burkina pour servir la bière locale encore appelée ‘dolo’. Cette traduction de ‘coupe’ par ‘calebasse’ peut viser à produire un effet d’équivalence de sens, étant donné que la coupe est peu connue dans la culture, tout comme le vin d’ailleurs. Ce qui peut par contre paraître paradoxal, c’est que ‘le vin’ a été traduit par ‘duvn’ comme dans Mathieu 9 : 17, Mathieu 27 : 34, Marc 2 : 22, Marc 15 : 23, Luc 5 : 38, Luc 10 :34. On peut comprendre que ce terme ait été adapté aussi du français. Nous y reviendrons au sous-paragraphe suivant consacré à l’analyse de passages ayant introduit d’autres éléments culturels.

2.3.2 Passages ‘inadaptés’

Le terme ‘inadapté’ ne comporte pas ici de jugement de valeur. Il indique seulement la présence d’éléments nouveaux dans le contexte, ce que nous comparons au foreignizing, qui est d’amener l’audience vers le texte source, à l’inverse du

‘domesticating’.

Exemple 1 Mathieu 9 : 17

«O cogo kelen na, mg s te duvnkn k foroko krman na. N mg mn y’o fana k, a ka foroko bna faran duvn kgtuma na. A bna bn a ka foroko, n duven na. Mgw be duvnkn k foroko kura le kn. N’u y’a k ten, a te bn a s la »

Traduction littérale : de la même manière, personne ne met le vin frais dans un vieux récipient. Celui qui fait cela, son contenant va se déchirer au moment de la fermentation. Il perdra son récipient et son vin. C’est dans de nouveaux récipients que les gens mettent le nouveau vin.

Versions françaises

«On ne verse pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. On verse au contraire du vin nouveau dans des outres neuves et ainsi le tout se conserve bien».

(Fançais Courant)

«On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon les outres s’éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. On met au contraire le vin nouveau dans des outres neuves, et l’un et l’autre se conservent».

(TOB)

Nous avons vu au sous-paragraphe précédent que «la coupe» avait été substituée par

«la calebasse» dans le Layidukura. Pour rester dans la même logique les traducteurs auraient pu traduire le vin par la bière locale connue sous le nom de dolo, si tant est que la notion de vin est une notion importée, même si de nos jours, de plus en plus, avec l’influence de l’occident, cette boisson est connue. Quel danger y avait-il à traduire ‘vin’ par ‘dolo’ ? Si on s’en tient au raisonnement du cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles (Belgique), qui est intervenu comme conférencier dans le cadre de l'Assemblée plénière annuelle de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), du 17 au 22 octobre 200431, on comprend toute la portée de ce terme ‘vin’ et la difficulté de sa traduction. Les prêtres africains au concile Vatican II avaient revendiqué dans le cadre de l’inculturation un christianisme qui tienne compte de leur réalité culturelle et cela touchait aussi à la liturgie (Conus 1975) dont une partie est réservée à l’eucharistie, c'est-à-dire au pain et au vin (appelés espèces eucharistiques) qui deviennent respectivement le corps et le sang de Jésus. Le cardinal Danneels donc, en référence à cette inculturation de la liturgie affirme :

31 http://religions.free.fr/1250_papes/1250_papes/1258_liturgie.html.

Le problème de l'«inculturation» est un phénomène récent […]. Nous ne pouvons pas discuter ici de tous les aspects de ce problème. Mais le principe est clair. Si la liturgie relève de l'incarnation, il est indispensable qu'elle soit inculturée aux différentes cultures de l'humanité. Cela va de soi. La liturgie doit être inculturée, ou plutôt, la liturgie s'inculturera si elle est vécue dans la foi et l'amour du Christ par des gens de toutes cultures. Mais il y a des limites. La liturgie n'a pas seulement pour fonction de structurer la religiosité humaine ; elle informe des mystères chrétiens. Ces mystères se sont déroulés dans l'histoire, en un lieu et en un temps particuliers et en lien avec des rites et des symboles particuliers. La dernière Cène n'est pas un repas religieux quelconque ; c'est le repas que le Seigneur a pris avec ses disciples la veille du jour où il a souffert. Il s'ensuit que toutes les célébrations eucharistiques doivent être reconnaissables, ce qui suppose des références et des connexions formelles. Il n'y a pas de repas religieux culturel qui soit équivalent à la Cène du Christ. En ce sens, il ne sera jamais possible d'«inculturer» complètement l'Eucharistie. La liturgie n'est pas seulement une donnée qui relève de l'incarnation ; elle est aussi de l'ordre du salut. Comme telle, elle a une influence salutaire, salvifique, sur les cultures de l'humanité. Ce n'est pas n'importe quelle pratique religieuse ou «liturgie» populaire qui peut servir de «véhicule» à la liturgie chrétienne. Il y a des niveaux d'incompatibilité, et il y a des prières et des pratiques qu'il ne convient tout simplement pas d'employer dans la liturgie chrétienne.

Le «discernement» ici ne sera pas toujours facile.

Si Monseigneur Lucas Kalfa Sanon, évêque de Banfora (interview du 18 juin 2004), pense comme le cardinal Danneels que les espèces de l’eucharistie (le pain et le vin) sont très essentielles pour la liturgie, donc ne pouvant être remplacées à la légère sans décision concertée, il espère tout de même que la substitution de ‘vin’ par ‘dolo’ sera une réalité un jour, éventualité que le cardinal Goldfried ne semble pas envisager du tout.

Monseigneur Lucas Sanon dit en effet :

En fait, l’église est tout à fait d’accord pour l’inculturation, mais il y a certaines choses que Jésus a faites et on ne peut pas les changer comme ça, sans tenir compte de toute l’église. C’est par exemple, comme le Christ a pris le pain et le vin, on continue à faire cela, même si dans la logique, on devrait prendre des produits de chez nous et je crois qu’un jour, on arrivera quand même à cela.

Si la question de la substitution des espèces eucharistiques n’est pas vraiment traductologique, le choix des options dans la traduction permet de déceler ces enjeux.

Les termes liés à l’incarnation, à savoir le pain et le vin ne sauraient donc être adaptés. Le pain a été traduit par ‘buru’, emprunté de l’anglais bread. Il est vrai que le pain comme le vin sont des aliments étrangers importés et par conséquent, on peut bien comprendre qu’on s’y réfère par des emprunts. Notre propos ici est de faire remarquer le choix des traducteurs, qui a été de ne pas les adapter, comme dans les cas précédents que nous avons évoqués au point 2.4.1. D’ailleurs, ces termes ‘pain’ et

‘vin’ n’ont pas toujours été traduits par buru et duvn. Ils ont été par moment adaptés selon le contexte.

Si dans Mathieu 26 : 26-28 qui décrit le repas de la Sainte Cène et également dans bien d’autres passages, buru et duvn sont effectivement employés, les termes dumuni (nourriture) et dr ont également été utilisés dans d’autres contextes. Sur trente-deux emplois de ‘pain’ dans les évangiles de Mathieu et Marc, dumuni a été employé sept fois, comme dans Mathieu 6 : 11 (donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien) ou Mathieu 15 : 26 (il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de les jeter aux petits chiens). On aurait pu déduire que l’emploi de dumuni se justifie par le fait que dans ces passages, ‘pain’ semble être utilisé dans un sens général de nourriture, mais le verset Mathieu 7 : 9 (quel est d'entre vous l'homme auquel son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre ?) qui emploie ‘pain’ dans un contexte aussi général n’a pas répondu à cette logique.

Quant au terme ‘vin’, nous l’avons retrouvé vingt et une fois dans tout le Nouveau Testament. Layidukura l’a rendu seulement douze fois par duvn comme dans la description de la Sainte Cène mentionnée plus haut et d’autres versets comme Mathieu 9: 17, 27 : 34, Marc 2 : 22, 15 : 23, Luc 1 : 22, 7 : 33. Par contre, dans Actes 2 : 13, Romains 14 : 21, Ephésiens 5 : 18, 1 Timothée 3 : 8, Titus 2 : 3, c’est le terme dr (dolo) qui a été utilisé.

On note d’autres cas où ‘vin’ a été autrement traduit. Dans Luc 10 : 34 par exemple, la Louis Segond Révisée dit ‘il s’approcha et banda ses plaies, en y versant de l’huile et du vin’ et cette idée a été traduit dans le Layidukura par ‘a gwrla k’a ka joldaw ko, ka fura k u la( il s’approcha, lava ses plaies et y mit des médicaments). Dans ce contexte, le choix de ‘médicament’ pour traduire ‘huile et vin’ se comprend bien.

De même, dans révélation 14 : 8, le terme vin est employé dans un sens métaphorique. La Louis Segond parle du vin de la fureur de l’inconduite et le Layidukura parle de kakalaya (hypéronyme de mal utilisé pour traduire adultère, largement discuté dans l’analyse thématique).

En conclusion, l’analyse révèle que l’adaptation des termes ‘pain’ et ‘vin’ dépend du contexte. Pour la description de la Sainte Cène, toute adaptation de ces termes, substitution du pain et vin en aliment ou bière locale, serait un «délit grave», pour emprunter l’expression de Tincq qui relatait dans le journal Le monde No 18430 du 27 avril 2004 la plainte du Vatican sur ce qu’ils ont appelé «des pratiques contraires à la discipline», lorsque dans une église en Afrique, le célébrant avait remplacé le vin par la bière locale. Le document du Vatican poursuit, selon le journal toujours, que

«ces tentatives d’inculturation de la liturgie sont interdites. Seuls sont autorisés, le pain azyme pur froment et le vin de raisin pur et non corrompu, sans mélange de substances étrangères. Aucun prétexte ne peut justifier le recours à d’autres boissons, même dans les pays où le vin n’est ni produit, ni traditionnellement consommé».

Pour le cas précis de la traduction de ‘vin’, disons que l’effet exotisant n’est pas seulement au niveau de l’emploi du terme ‘duven’ en lieu et place de ‘dolo’. Il s’agit d’un ensemble d’éléments culturels difficilement transférables en dioula.

Outre ces cas assez particuliers de passages non adaptés, il existe d’autres passages pour lesquels les traducteurs ont préféré amener l’audience vers le texte source.

Exemple 2

Mathieu 26 : 65 :

« Sarakalaasebaga kuntgba dmna foo a y’a yr ka fan faran k’a f ko : ‘a ye Ala tg cn ! An mako t mg la k’a jalak tugu »

Traduction littérale :’ Le chef des prêtres s’est mis en colère au point de déchirer ses vêtements et dit : ‘il a ’gâté le nom de Dieu’ (qui peut vouloir dire aussi salir la réputation de Dieu)! Nous n’avons plus besoin de personne pour l’accuser encore.

Versions françaises

«Alors le grand- prêtre déchira ses vêtements et lui dit : Il a fait insulte à Dieu ! Nous n’avons plus besoin de témoins ! Vous venez d’entendre cette insulte faite à Dieu». (Français Courant)

«Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements et dit : «Il a blasphémé. Avons-nous encore besoin de témoins! Vous venez d’entendre le blasphème» (TOB)

Dans le Layidukura, la première partie du verset ‘le chef des prêtres s’est mis en colère au point de déchirer ses vêtements’ explique au lecteur que c’est de colère qu’il a déchiré ses vêtements, ce qui n’est pas courant dans la culture cible. Cette même expression avait pourtant été traduite différemment dans la même édition du Layidukura notamment pour la traduction de actes ‘14-14’, où on disait que le chef des prêtres avait saisi sa tête de colère, ce qui est plus vraisemblable dans le contexte dioula.

Notons au passage dans ce verset que la traduction même de ‘chef des prêtres’

demeure ambiguë. Le terme dioula qui a servi à cela n’est pas tout à fait nouveau dans la langue, mais pourrait prêter à confusion avec les prêtres sacrificateurs traditionnels. Les catholiques, lors de leurs célébrations, lui préfèrent le terme

‘sonnilasebaga’, terme concurrent qui signifie ‘celui qui transmet les offrandes’.

La notion de blasphème n’est pas très précise non plus. Elle a été rendue par ‘gâté le nom de Dieu’, littéralement traduit, mais pourrait signifier aussi salir l’image ou la réputation, ce qui ne veut pas dire grand-chose en soi. La traduction semble un peu diluée par rapport à la gravité de l’acte. La notion de blasphème, il faut le dire est quand même un peu étrangère dans les cultures du Burkina. Elle peut être comparée à la violation des lois sacrées des religions traditionnelles.

On note un autre exemple similaire.

Exemple 3 Marc 14 : 63

« Yesu y’o f drn, sarakalasebagaw kuntgba dmna, foo a y’a yr kannadulok mn k’a faran k’a f ko : An mako t mg la tugu k’a jalak ».

Traduction littérale : quand Jésus eut dit cela, le chef des prêtres s’est énervé jusqu’à déchirer son vêtement en disant « nous n’avons plus besoin de personne pour l’accuser ».

Versions françaises :

«Alors le grand prêtre déchira ses vêtements et dit : «Nous n’avons plus besoin de témoins !» (Français Courant)

«Alors le souverain sacrificateur déchira ses vêtements et dit : qu’avons-nous encore besoin de témoins ? » (Louis Segond révisée)

Ce verset a les mêmes caractéristiques que celui qui précède. Dans la version française, nulle part, il n’est fait mention de la colère du grand prêtre, mais cette notion est peut-être sous-entendue dans celle du déchirement des vêtements, dans la logique de la culture juive dont il était question. Les traducteurs dioula ont levé ce sous-entendu en précisant que c’est de colère que les vêtements ont été déchirés. Sans cette explicitation, le passage aurait été incompréhensible. C’est un élément de la culture judéo-chrétienne qui est ainsi introduit dans la traduction.

Ces trois derniers versets analysés se réfèrent aux vêtements déchirés. Ce point de discordance culturelle a été soulevé par les traducteurs eux-mêmes lors de l’interview du 04 août 2001.

On se rend compte à travers leurs stratégies divergentes de traduction, que la concordance terminologique n’a pas été un critère important.

La question que nous sommes tenté de poser après l’analyse linguistique de ces passages est de savoir si les traducteurs sont toujours conscients de leurs choix. On note des cas d’adaptation dans le contexte culturel, des cas d’introduction de nouveaux concepts, et d’autres passages difficiles à comprendre, du fait d’une différence culturelle. Il est vrai que le même texte peut avoir plusieurs skopos. Une enquête auprès de l’équipe traductrice serait nécessaire pour la compréhension de ses stratégies, mais il faut tout d’abord pouvoir situer les responsabilités. Le travail de traduction est fait à Bobo, mais le dernier mot revient à la conseillère de L’Alliance Biblique pour le Burkina. Nos différentes tentatives d’échange avec elle sont restées vaines, étant donné qu’elle est très occupée et réside à Abidjan (Côte d’Ivoire), tout en ayant à charge le projet de traduction du Layidukura du Burkina. C’est dire tout l’effort qui est déployé pour la production de cette version.

Nous proposons à présent une analyse thématique visant à tester ou compléter celle qui précède dans la même logique de détermination du skopos du Layidukura.