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La répudiation Analysons l’exemple suivant :

CHAPITRE V PRÉSENTATION ET ANALYSE DU CORPUS ÉCRIT

3 ANALYSE THÉMATIQUE

3.2 Rapports entre l’homme et la femme

3.2.3 La répudiation Analysons l’exemple suivant :

Exemple 1

Marc 10 : 11-12

«Mg o mg y’a ka muso gwn ka dwr ta, o tg be kakalaya k. A b’a muso fl hak ta. N muso mn bra a c f ka taa furu d wr ma, a be kakalaya k».

Traduction littérale : Tout homme qui chasse sa femme pour en prendre une autre commet ‘l’adultère’. Il pèche contre sa première femme. Si une femme quitte son mari pour aller se marier à un autre, elle commet ‘l adultère’.

Versions françaises

«Il leur répondit : si un homme renvoie sa femme et en épouse une autre, il commet un adultère envers la première ; de même, si une femme renvoie son mari et épouse un autre homme, elle commet un adultère» (Français Courant).

«Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première. Et si la femme répudie son mari et en épouse une autre, elle est adultère»

(TOB).

Nous remarquons que pour la traduction de ces deux versets, le verbe répudier a été traduit différemment, selon qu’il s’applique à l’homme ou à la femme. Quand c’est l’homme qui répudie, le Layidukura dit qu’il ‘chasse sa femme’. Quand c’est la femme qui répudie, on dit qu’elle ‘quitte son mari’. Le terme grec est pourtant aussi le même pour les deux : απολυση (apoluonê)

Il en est de même pour épouser. S’agissant de l’homme, on dit qu’il prend une autre femme, tandis que pour la femme, on dit qu’elle se marie à un autre. L’homme est donc le maître tout-puissant qui peut ‘chasser et reprendre une autre’, tandis que la femme, elle, ‘quitte’ pour aller rentrer ailleurs’, c’est à dire se marier à quelqu'un d'autre. Ces traductions, même si elles ne sont pas propres aux sociétés africaines, reflètent la réalité que vivent les femmes africaines en général. La femme a moins de valeur que l’homme dans la société. On pense que le mariage l’arrange plus et qu’elle doit faire plus d’efforts pour se maintenir dans le foyer. Cette inégalité a sa source dans la Bible même, comme l’indiquent les versets 1 Corinthiens 11 : 5, 7, 8, 9, 1 Corinthiens 14 : 34, 35, Ephésiens 5 : 22, 23, 24, Colossiens 3 : 18, 1 Timothée 2 : 11, 12, 1 Pierre 3 :1.

Jean 8 : 5 évoque la sanction devant être appliquée à la femme adultère, mais omet de préciser le sort qui doit être réservé à l’homme avec qui l’adultère est commis, étant donné qu’on ne peut pas commettre l’adultère toute seule. En outre, les versets Mathieu 5 : 31-32 donnent les cas où l’homme peut répudier sa femme : si celle-ci est infidèle, mais rien n’est dit sur la possibilité pour une femme de quitter son mari.

Si ces inégalités constatées sont dans les originaux grecs eux-mêmes, les versions françaises ont fait preuve de plus de neutralité envers les sexes, à l’image des sociétés occidentales contemporaines.

Les fonctions déductibles de ces traductions peuvent être le souci d’une communication efficace comme dans le thème précédent. En tenant compte de la culture cible dans les stratégies de traduction, le message a peut-être plus de chance de passer et d’être accepté. On peut aussi comparer cette stratégie au respect des normes sociales. Tout cela peut s’inscrire dans le cadre de l’évangélisation. Les traducteurs ont su tirer profit de l’environnement cognitif de l’audience pour orienter leur approche, comme le préconise la théorie de la pertinence.

Le prochain thème illustre davantage la prise en compte de cet environnement cognitif pour une fonction précise.

3.3 L’évangélisation

Ce thème traite des passages qui laissent transparaître certaines croyances ou pratiques africaines, tout comme ce qui précède, mais à la différence que les notions présentées ici orientent plus clairement le sens de la traduction vers un objectif d’évangélisation.

3.3.1 Le croyant

Ce thème a été retenu à cause de sa traduction particulière. On y a souvent ajouté en dioula le complément ‘Jésus’ ou ‘Christ’ pour signifier peut-être qu’on ne peut croire qu’au Christ tandis que les versions françaises s’en sont tenus au verbe croire et le grec (πιστευω) (pisteuo) de même.

Cet ajout de ‘Jésus’ dans le Layidukura témoigne sans doute d’un objectif d’évangélisation. Le terme croyant est même synonyme de chrétien dans le Layidukura.

Analysons les exemples ci-après.

Exemple 1 Actes 10 : 45

«Zwifuw minw tun laara Yezu la n’u nana Piyeri bila sira….».

Traduction littérale : les juifs qui croyaient en Jésus et qui étaient venus accompagner Pierre...

Versions françaises

«Les croyants d’origine juive qui étaient venus avec Pierre …» (Français Courant).

«Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre » (TOB).

Exemple 2 Actes 11 : 2

«Piyeri kosegira Zeruzalemu tuma min na, Zwifuw min tun laara Yezu la, oluw ye Piyeri jalaki…»

Traduction littérale : Quand Pierre retourna à Jérusalem, les juifs qui croyaient en Jésus l’accusèrent.

Versions françaises

«Quand Pierre revint à Jérusalem, les croyants d’origine juives le critiquèrent»

(Français Courant).

«Lorsque Pierre remonta à Jérusalem, les circoncis eurent des discussions avec lui»

(TOB).

Le terme ‘croyant’ ou ‘croire’ a été explicité par le nom de Jésus dans les exemples qui précèdent. Il en a été de même dans Actes 2 : 44, 4 : 32, 19 : 18, Romains 10 : 4, 1 Corinthien 7 : 12, 7 : 13, 14 : 22, 1 Théssaloniciens 2 : 102 : 13, 1 Timothée 4 : 35 : 16, 6 : 2, Tite 1 : 6. Bien que les versions françaises se contentent seulement du terme

‘croyant’, le Layidukura a éprouvé le besoin de préciser qu’il s’agissait de la foi en Jésus.

Dans Actes 15 : 5, le Layidukura parle de ‘disciple’ et cela sous-entend ‘disciple de Jésus’, tandis que dans Actes 16 : 1, le terme croyant est synonyme de chrétien.

S’il est vrai que le terme ‘croyant’ en français se réfère à celui qui croit en Dieu, l’ajout du complément Dieu ou Christ n’est sans doute pas anodin. En effet, ce terme employé tout court sans complément ne précise pas en qui il faut croire. Le fait d’avoir plus souvent choisi le terme ‘Jésus’ ou ‘Christ’ au lieu de Dieu pour expliciter ce concept en dioula fait peut-être partie des objectifs du bailleur de fond de la traduction qui comprennent l’évangélisation. Dans les sociétés burkinabées, ‘croire en Dieu’ est un fait universel, tandis que ‘croire en Jésus’ est une affirmation chrétienne. Cette explicitation s’imposait peut-être dans le contexte pour éviter toute confusion. C’est un indice que les traducteurs ont une idée de l’environnement cognitif de l’audience et cela se perçoit aussi au point suivant.

3.3.2 L’idolâtrie

Le choix de ce terme s’explique par le fait que sa traduction laisse transparaître un préjugé sur les cultures africaines. Dans le sens courant, l’idolâtrie peut être définie comme tout culte rendu aux images, ou à tout autre Dieu que le’ seul vrai Dieu’.

Dans les religions traditionnelles au Burkina Faso, bien que l’unicité et la suprématie de Dieu soient reconnues, il arrive qu’on se réfère à Lui en utilisant des objets comme intermédiaires que les personnes étrangères à ce système ont assimilé à l’idolâtrie.’À chaque fois qu’il s’est agi d’idolâtrie, les traducteurs ont choisi le terme dioula qui correspond à ces objets utilisés dans le cadre des sacrifices religieux : joo. Le choix de ce terme pour traduire ‘idole’ peut ne pas sembler approprié en ce sens qu’il est le terme générique pour ‘fétiche’ et les joo ont des noms. Les pratiquants de la religion traditionnelle rejettent la traduction ‘fétichisme’ de leurs pratiques religieuses, parce qu’ils estiment que ces mots français attribués par le colonisateur ont une connotation péjorative qui ne traduit pas vraiment son sens réel. Il faut dire que les Africains qui s’expriment en langue européenne n’ont pas beaucoup de choix, s’ils veulent être compris de tous.

Il est très difficile d’interdire aux Africains le recours à certaines pratiques qui font appel au ‘joo’, quelle que soit leur confession religieuse. La boutade burkinabée qui dit qu’au Burkina il y a 30% de chrétiens, 70 % de musulmans et 100% d'animistes a tout son sens.

L’exemple ci-après laisse entrevoir ce préjugé sur la culture africaine.

Corinthiens 10 : 14 Aw ka faran josn na

Traduction littérale : Arrêtez l’idolâtrie.

Versions françaises

‘C’est pourquoi mes chers amis, gardez-vous du culte des idoles’ (Français Courant).

‘C’est pourquoi mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie’ (TOB).

Entre ‘fuyez’ et ‘arrêtez’, il y a une nuance. Cette traduction de ‘fuir’ par ‘arrêter’

peut s’expliquer par ce préjugé. Il reste à savoir si ce choix des traducteurs est délibéré ou inconscient. Quoi qu’il en soit, il laisse transparaître cette étiquette.

Sur une vingtaine d’usages du terme ‘idole’ dans tout le Nouveau Testament, le Layidukura a choisi joo pour au moins quinze, comme par exemple dans les versets 1 Corinthiens 7 : 41, 15 : 20, 15 : 29 21 : 25, 1 Corinthien 8 : 1 etc. De même, pour le terme ‘idolâtrie’ retrouvé trois fois (1 Corinthien 10 : 14, Galate 5 : 20, Collossiens 3 : 5) dans le Nouveau Testament, le Layidukura a choisi le même terme pour les trois versets.

Examinons à présent le quatrième et dernier sous-thème qui introduit de nouvelles notions essentielles pour le Christianisme.