• Aucun résultat trouvé

La situation sociolinguistique du Burkina

CHAPITRE IV CONTEXTE LINGUISTIQUE ET INSTITUTIONNEL

1 SITUATION LINGUISTIQUE

1.2 La Situation linguistique actuelle .1 Généralités

1.2.3 La situation sociolinguistique du Burkina

La situation sociolinguistique qui prévaut au Burkina, comme dans la plupart des anciennes colonies, peut être qualifiée de diglossique si on se réfère à la répartition fonctionnelle des langues dans la société. La diglossie qui signifie tout simplement

‘bilinguisme’ en grec, a pris progressivement d’autres sens. Tout d’abord, selon Ferguson repris par Calvet (1987 : 44), la diglossie est une situation sociolinguistique qui met en présence «deux variétés d’une même langue dont l’une est valorisée, normée, véhicule d’une littérature reconnue, mais parlée par une minorité, et dont l’autre est péjorée mais parlée par le plus grand nombre». Cette définition a été critiquée par Fishman, toujours cité par Calvet (1987 : 45), qui oppose le bilinguisme (la capacité d’un individu à utiliser plusieurs langues) qui relèverait de la psycholinguistique, à la diglossie (utilisation de plusieurs langues dans une société) qui relèverait de la sociolinguistique. Les modifications de Fishman sur les propositions de Ferguson reposent sur deux points essentiels : tout d’abord, il affirme qu’en situation de diglossie, il peut y avoir plus de variétés linguistiques, même si en général la situation se ramène à deux variétés. Ensuite, il affirme que dès lors qu’il existe une différence fonctionnelle entre deux langues, on peut parler de diglossie et ajoute que la relation génétique (lien génétique entre les deux langues) n’est pas une obligation (idem).

Cette nouvelle donnée de différences fonctionnelles entre les langues rend cette définition plus proche de la situation qui prévaut au Burkina.

Quant à Schiffman (1997 : 205), il se réfère à la diglossie comme une situation linguistique où deux ou plusieurs variétés coexistent dans la communauté avec des domaines d’utilisation différents et complémentaires. Les langues en présence sont hiérarchisées et on pense qu’elles sont génétiquement liées. La variété supérieure est utilisée dans les domaines formels et pour tout usage prestigieux de la langue. Cette variété est écrite. La ou les variété(s) inférieure(s) est/sont utilisé(es) pour tout autre usage informel et dans tous les autres domaines où la variété supérieure n’intervient pas, donnant ainsi lieu à une complémentarité. Il existe des situations où les langues

en présence n’ont aucun lien génétique. Dans ce cas on parle de ‘diglossie étendue’ et la variété supérieure est la langue du prestige, de l’élite nationale, de la communauté religieuse dominante. Elle est à ce moment-là, la langue de la section la plus puissante de la société.

Cette présentation de Schiffman résume bien les définitions de Ferguson et de Fishman données plus haut, de même que la situation du Burkina, pour laquelle la définition suivante sera retenue, parce que correspondant davantage à la réalité : «une situation sociolinguistique ou s’emploient concurremment deux (ou plusieurs) idiomes de statuts sociolinguistiques différents, l’un étant vernaculaire, c'est-à-dire une forme linguistique acquise prioritairement et utilisée dans la vie quotidienne, l’autre une langue dont l’usage dans certaines circonstances est imposé par ceux qui détiennent l’autorité» (Martinet 1969 : 6, cité par Napon sans date : 2).

Toutes ces définitions, malgré leurs différences, résument chacune une part de la réalité sociolinguistique du Burkina. Les points communs essentiels qu’elles présentent pour ce pays sont le rapport hiérarchique entre les langues et leurs fonctions complémentaires dans la société.

Le prestige qui entourait l’utilisation du français depuis la période missionnaire et coloniale est resté au moins le même, s’il ne s’est pas accentué. La politique coloniale française et celle des dirigeants actuels y sont pour beaucoup dans cette situation.

Elles ont réussi à convaincre les «masses de leur infériorité», non seulement linguistique, mais aussi culturelle, ce qui a conduit au reniement jusqu’à l’heure actuelle, de leurs langues, par les ex -colonisés. Pour reprendre les termes de Kremnitz (1983 : 74), il s’agit de la «haine de soi, qui signifie que le locuteur impliqué dans le conflit linguistique et culturel en nie l’existence et essaye de se rapprocher de la langue dominante […] et d’abandonner ses propres valeurs et son identité sociale d’origine […]. Le fait de nier leur existence, donc de fuir la nécessité de peser le pour et le contre, peut être considéré comme un comportement dangereux, voir nocif…».

Le rapport de force qui existe de nos jours entre le français et les langues nationales tient en grande partie à des raisons économiques. Le français, en tant que langue qui ouvre à l’extérieur, multiplie les chances de l’individu de trouver un emploi convenable. Les conditions socio-économiques intérieures n’étant pas très viables, avoir les ressources de s’ouvrir à l’extérieur devient vital, et l’apprentisasge du français participe de cette logique. Il devient alors la langue de l’élite intellectuelle, tandis que les langues nationales de manière générale sont celles des populations rurales, considérées à l’image de leurs langues comme hiérarchiquement inférieures dans la société.

Les langues véhiculaires qui facilitent l’intercommunication entre les groupes ethniques par région ne sont pas considérées comme supérieures aux autres. Toutes les langues nationales ont apparemment le même statut (Napon, 1998). Les locuteurs de langues minoritaires (en termes du nombre de locuteurs) pratiquent au moins une langue véhiculaire. Les populations se retrouvent alors avec la langue de leur groupe

ethnique et une lingua franca de la région où ils se trouvent, donnant ainsi lieu à une situation de bilinguisme où les langues sont à statut égal.

Aucune langue locale n’étant parlée par toutes les ethnies à la fois, le français apparaît ici encore comme la langue qui permet aux différentes ethnies de se comprendre, ce qui renforce le sentiment qu’il est incontournable. Il est de plus présenté comme l’héritage commun des ex-colonies françaises et comme un lien de rapprochement entre elles. Ce sont autant de facteurs qui ont favorisé la hiérarchie actuelle entre le français et les langues nationales utilisées pour différentes fonctions dans la société, renforçant la thèse de la situation diglossique que vit le Burkina.

Pour résumer les fonctions des langues nationales et du français, on peut dire que le français, comme langue officielle, régit la vie politique économique et sociale du pays. C’est la langue de l’administration, de l’enseignement dans le primaire, le secondaire et le supérieur. Il a aussi une fonction internationale, car c’est la langue qui permet au Burkina Faso de s’ouvrir aux autres. Il constitue un trait d’union entre les différents groupes ethniques du Burkina. C’est aussi la langue de la capitale où convergent tous les demandeurs d’emploi lettrés, ce qui lui confère encore un statut supérieur. Le français a aussi une fonction religieuse. C’est la langue des religions chrétiennes, utilisée par les catholiques et les protestants pendant les offices religieux.

Quant aux langues nationales, on s’y réfère comme les langues vernaculaires (indigènes, à usage domestique). Les langues nationales les plus parlées, qui sont le dioula, le mooré et le fulfulde, ont trois fonctions : celle de la communication étendue en ce sens qu’elles sont des langues véhiculaires régionales, celle de l’enseignement, parce qu’introduites dans certaines régions du Burkina dans le cadre des écoles satellites, celle de la religion parce qu’utilisées de plus en plus dans les célébrations religieuses chrétiennes.

Dans ce contexte, les langues nationales ont du mal à s’imposer. Depuis les indépendances, aucune action politique concrète n’a été menée pour leur promotion.

On a plutôt l’impression que les autorités nationales leur ont conféré le statut de langues infériorisées. Les locuteurs de ces langues sont considérés comme des analphabètes et occupent une position inférieure à celle de ceux qui maîtrisent le français. La langue française qui est la langue de l’enseignement classique et celle de textes ‘originaux’ de l’enseignement religieux reçus au Burkina demeure en position de force par rapport aux langues nationales.

Jusqu’à présent, nous avons assimilé dans la présentation des situations linguistiques, les groupes ethniques aux langues parlées25, ce qui n’est pas tout à fait exact pour le dioula qui se trouve être la langue de la présente analyse. Il paraît alors indiqué de nous attarder un peu plus sur cette langue.

25 Il est vrai que les autres langues véhiculaires sont parlées aussi par des groupes plus larges que les membres de l’ethnie strictement parlant, mais le mooré par exemple est la langue des moosi, le fulfuldé, la langue des peulhs, alors que le dioula dont il est question ici n’est pas exactement la langue des Dioula.