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CHAPITRE III CONTEXTE POLITIQUE, SOCIOCULTUREL ET RELIGIEUX DU BURKINA FASO : DU TEMPS DE

2 LE CONTEXTE SOCIOCULTUREL

2.2 Quelques éléments culturels

2.2.5 Mode de communication dans la société

Les formes de communication les plus connues en Afrique, telles que décrites par Bandia (1998 : 295), sont essentiellement la communication verbale, le langage des tam-tams, des flûtes, du balafon, auquel nous ajoutons le langage des masques (dans les sociétés qui reconnaissent le masque) et le langage corporel ou gestuel.

Dans cette partie, nous nous intéresserons plus précisément à la communication verbale, aux genres qui sont présents dans les sociétés africaines et notamment de l’ouest du Burkina.

2.2.5.1 Genres littéraires

Il est difficile de dresser un inventaire exhaustif des genres de la littérature orale africaine étant donné qu’elle est variable d’une culture à l’autre. Notre propos ici n’est pas d’énumérer tous ces genres et leurs fonctions sociales, mais de relever ceux qui sont pertinents pour le reste de notre analyse.

Calame-Griaule (1970 : 24), en présentant les catégories classiques connues que sont les mythes, les légendes, épopées, contes, fables, chantefables, chants, devinettes, proverbes, devises etc., précise qu’il s’agit de «divisions artificielles et occidentales dont les limites sont très floues». Les difficultés d’identification des genres, évoquées ici par Calame-Griaule, sont peut-être en réalité des difficultés de traduction dans les langues occidentales. Sans entrer dans cette polémique, nous disons que chaque genre a ses propres caractéristiques et ses fonctions sociales. Pour Pottier (1970 : 11), le conte correspond à la narration didactique, les mythes et épopées à la narration mythique, les devinettes, aux jeux de langue. Calame-Griaule (1970 : 25) ajoute pour

les mythes et épopées, la fonction de véhicule de l’histoire. Quant aux contes et proverbes, elle affirme que c’est à travers la morale implicite ou explicite qu’ils véhiculent, qu’apparaît le système de valeur propre à une société (ibid., 26).

Tous ces genres ne nécessitent pas le cadre communautaire pour se réaliser, comme par exemple le chant, la poésie. Quant aux autres, comme le conte, les récits, les devinettes et proverbes, des circonstances minimales sont requises (Sanon 1970, Chevrier 1999) : celui qui donne le message, de même que ceux qui le reçoivent, est dans le même contexte de temps et d’espace. Les propos s’adaptent au contexte et le diseur voit si l’assistance le suit ou pas. Des instruments de musique peuvent accompagner les messages (selon le type), de sorte à pouvoir capter l’attention de toute l’audience. Il y a aussi la chaleur de la tonalité de la voix qui sera fonction du type de discours ou du ‘genre’. Ainsi, le type de discours qui prévaut quand le village se réunit le soir autour du feu pour se divertir, n’est pas le même que celui pendant les cérémonies d’initiation, pendant les cérémonies de mariage ou pendant les célébrations religieuses traditionnelles.

Avec l’influence des cultures occidentales, l’écriture a fait son entrée dans les mœurs, mais le nombre toujours dérisoire des alphabétisés (19,5% selon l’INSD : 2000c : 134) indique bien les limites de ce moyen de communication. Il faut aussi noter que l’écriture ne remplacera pas de si tôt la communication orale prédominante, en ce sens que les sociétés africaines en général et burkinabées en particulier vivent en zone rurale (84.5%, ibid. : 55) et sont en majorité des agriculteurs analphabètes, n’ayant aucun autre moyen de distraction que ce que leurs sociétés proposent. Elles vivent en communautés, selon un cycle de travail et de distraction (mariage, initiation, cérémonies quelconques prévues), et attachent du prix à la solidarité qui les unit, ce qui s’exprime bien à travers ce style de communication (Calame-Griaule, 1970 : 25).

Le système d’écriture favorise plus le cloisonnement de l’homme et correspond à une culture plus individualiste qui est rarement celle des Africains. Même ceux qui savent lire et écrire dans les sociétés africaines le font dans un cadre bien précis et adhèrent toujours pleinement au mode de communication orale quand ils se retrouvent dans un contexte où ce mode s’impose (ibid., 26).

Ces genres littéraires propres aux sociétés de tradition orale dont il est question ici nécessitent des conditions minimales de réalisation (déjà mentionnées plus haut), mais reconnaissent aussi des règles de production et d’appréciation.

2.2.5.2 Règles de production et esthétique littéraires

Les Dioula perçoivent dans la parole une fonction didactique visant à exercer une action sur la pensée, la dotant d'éléments nécessaires à son fonctionnement. Il s'agit des genres littéraires énumérés plus haut, à savoir les proverbes, les devinettes, les contes, les fables, les mythes, etc., mais ceux-ci sont soumis à des règles. Lors d'adresses solennelles, on peut assister à l'utilisation de ces formules, mais leur pleine utilisation a lieu seulement le soir au cours des séances spécialement conçues à cet effet et qui mettent en scène un acteur et des spectateurs. Il est difficile, voire

impossible, d'aborder la question des productions littéraires chez les bambara ou Dioula sans évoquer le griot qui en est le principal acteur.

Reconnu en dioula et bambara sous le nom de dyeliw, on distingue deux sortes de griots (Camara 1976) : les professionnels et ceux qui remplissent occasionnellement cette fonction. Le premier groupe désigne une caste ayant un statut social, tandis que le second désigne des individus, qui, sans appartenir à la caste, jouent leur rôle. La caste des professionnels se subdivise encore en deux groupes reconnus comme les dyeliw communs et les bla-dyeliw ; la différence majeure entre les deux étant que les premiers sont rattachés à une famille noble ou à un roi, tandis que les seconds ne le sont pas. On pense aussi que les bla-dyeliw ne déforment pas les propos comme le font les dyeliw ordinaires. Les attributs des griots sont divers : ils sont musiciens, danseurs, chanteurs, mais leur caractéristique même est la parole. Dans la société, le noble jouit d'un statut particulier et ne peut donc pas s'adresser directement à ses sujets. C'est le griot qui transmet son discours aux sujets, et ceux des sujets au chef. Il sert ainsi de porte-parole aux endroits publics lors de manifestations, transmet au public les discours des différents participants en les développant (Camara, 1976 : 105). Reconnu comme le maître de la parole, il est le narrateur de l'histoire et le détenteur des récits relatifs aux généalogies et aux fondations dans la société (Kouraogo 2001).

L'esthétique littéraire repose sur trois éléments : le son, la parure (c’est-à-dire le chant) et la danse (le rythme). Les Bambara tout comme les Dioula ne conçoivent pas le langage littéraire autrement que chanté et rythmé (Camara 1976).

À côté de ces caractéristiques littéraires, on peut distinguer l’art du langage ou encore les préférences rhétoriques de ces sociétés africaines en général et notamment bambara, pouvant être pertinentes pour le reste de l’analyse.

2.2.5.3 L’art du langage

«L'homme n'a pas de queue, il n'a pas de crinière; le point de ‘prise’ de l'homme est la parole de sa bouche» (Zahan, 1963 : 9). Cette maxime marque bien l'importance de la parole dans les sociétés africaines. Elle résume la valeur accordée à la parole dans ces sociétés. La parole joue le rôle d'une porte ouvrant à l'extérieur. Elle peut constituer à la fois la force et la puissance de l'homme, en ce sens qu'elle peut être à l'origine du pouvoir que nous détenons les uns sur les autres, mais elle peut aussi avoir un aspect négatif, d'où la nécessité quelques fois de garder le silence et le secret (Dérive, 1987). Pour les Bambara et par extension les Dioula, 'kuma' (parole) est en affinité avec ‘ku’ (la queue) qui se trouve être la racine du mot 'kuma'. La parole est comparée à une queue, parce que tout comme la prise de la queue d'un animal signifie pour les chasseurs la maîtrise de l'animal, c'est par la parole que l'on tient l'individu.

Les Bambara introduisent souvent leur propos par la particule ‘ko’. Zahan (1963 : 12) affirme que ce terme 'ko' qui précède le langage, caractérise le langage intérieur et l'intention de parler. Cette particule très subtile lie l'homme à son dire. Il est très important pour chaque homme de bien éduquer son langage et d’avoir une maîtrise

totale sur son verbe. Ceux qui ont le privilège de parler en public usent de beaucoup de subtilité pour se faire comprendre et un certain nombre de figures de style et de genres sont privilégiés à cet effet.

Le premier que nous présentons ici est le proverbe, un genre très privilégié dans la plupart des sociétés africaines. On dit que l'intention de celui qui récite les proverbes excède toujours ce que l'énoncé affirme. «Le proverbe est semblable à l'araignée qui déroule son fil mais en garde le bout» (Zahan, 1963 : 104). Ainsi donc, celui qui dit des proverbes ne dévoile pas sa pensée profonde, mais laisse le soin à ceux qui écoutent, d'interpréter comme ils veulent. Les proverbes sont la marque d'une profondeur et d'une finesse d'esprit, souvent reconnues chez les sages. À défaut de proverbes appropriés, ils ont recours à d'autres moyens non moins subtils et aussi profonds que les proverbes, parmi lesquels on note l'euphémisme (Yankah 1995).

Cette autre caractéristique du langage des sages dans les sociétés africaines est définie comme une expression adoucie par laquelle on remplace une formule plus directe, considérée comme choquante (Bacry, 2000 : 285). L'euphémisme peut être révélateur des sensibilités de la société, mais aussi un style d'expression jugé esthétique. Il est utilisé pour résoudre les questions délicates, comme l’annonce de mauvaises nouvelles ou le règlement de conflits entre les membres de la société.

Ainsi, tout en atténuant le choc que pourraient provoquer leurs propos, les sages qui ont recours à ces figures de style se prémunissent aussi contre les pièges de la parole.

Tout comme pour les proverbes, l’usage et même la compréhension des euphémismes sont une preuve de sagesse et de maîtrise des règles de la société. Il ne suffit pas simplement de comprendre la langue pour y accéder.

Dans le même souci de protection des pièges de la parole, les sociétés africaines privilégient aussi les métaphores, définies par Bacry (2000 : 9) comme «les figures qui semblent faire qu’un mot change de sens». Ils contribuent à la même logique de subtilité dont il a été fait cas précédemment. Il est bien évident que les Africains ne sont pas les seuls à utiliser ces genres et figures de style. Pour preuve, on les trouve en nombre élevé dans la Bible à travers les paraboles.

Cette présentation du contexte socioculturel, sans être exhaustive, donne une idée de l’environnement général dans lequel furent menées les traductions, et c’est à cet objectif qu’elle aspirait. Nous avons essentiellement fait une présentation des cultures traditionnelles, mais de nos jours, surtout dans les grandes villes, on peut trouver des cultures hybrides, c'est-à-dire, celles nées du frottement entre les différents groupes ethniques, de l’influence des cultures occidentales véhiculées par les médias (télévision, livres, etc.) et des exigences des conditions communes de vie. Il est difficile donc de passer en revue les aspects de cette culture hybride, mais elle ne doit pas être perdue de vue pendant l’analyse.

Au paragraphe 3 qui suit, nous nous pencherons sur le contexte religieux dans lequel eurent lieu les traductions. Ce contexte religieux, qui fait en réalité partie du contexte socioculturel comme nous le disions plus haut, passera en revue quelques religions traditionnelles et les religions importées.