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CHAPITRE V PRÉSENTATION ET ANALYSE DU CORPUS ÉCRIT

3 ANALYSE THÉMATIQUE

3.4 Les symboles théologiques

3.4.2 L’agneau de Dieu

Bien que peu de versets en parlent dans le Nouveau Testament, l’importance que revêt ce thème dans le christianisme le rend pertinent pour notre analyse.

Plusieurs interprétations ont eu cours pour le sens de cette expression ‘Agneau de Dieu’.

Le dictionnaire encyclopédique de la Bible (1987) indique que Jean Baptiste présente Jésus comme l’agneau de Dieu : ho amnos tou theou. L’interprétation qui en a été faite est que l’Agneau de Dieu peut être le symbole de l’innocence et de la justice, mais aussi, et surtout dans le sens de Jean Baptiste, celui du messie, du guide du peuple, de l’agneau immolé sans tâche.

Pour sa traduction dans le Layidukura, le terme qui a été le plus retenu est ‘Ala ka Sagaden’. Ce dernier mot (sagaden) est formé de la racine Saga qui veut dire mouton et den qui veut dire enfant. En d’autres termes, le petit du mouton ou le petit mouton, qui n’a pas la nuance qui existe en français entre mouton et agneau, bien que l’agneau

soit le petit mouton. On le note dans Jean 1 : 29, et Jean 1 : 36. Le texte grec employé dans ces passages est αµνος (amnos)qui veut aussi dire ‘agneau’.

Dans Actes 8 : 32, il est question de brebis et d’agneau respectivement προβατον (probaton) et αµνος (amnos) dans le texte grec, mais le Layidukura a retenu tout simplement le terme ‘saga’ (mouton) pour les deux. C’est vrai que le contexte est différent. Il ne s’agit pas là d’Agneau de Dieu, mais d’agneau tout simplement.

Nous notons donc ici deux expressions à analyser, même si elles sont très liées : l’agneau d’une part et l’agneau de Dieu d’autre part.

Pour ce qui concerne la traduction de ‘agneau’ tout simplement, on peut noter l’exemple suivant :

Exemple 1 Actes 8 : 32

«A tun b yr mn kalanna, a sbnnn tun b ye ko : « A kra n’a f saga, u be taara n mn ye fagayr la, walma u be mn sw tgtgra. A ma kas»

Traduction littérale : La partie qu’il lisait dans le livre était la suivante : il était comme un mouton qu’on mène à l’abattoir, ou dont on coupe les poils. Il n’a pas pleuré.

Versions françaises

«Le passage de l’écriture qu’il lisait était celui-ci : «il a été comme une brebis qu’on mène à l’abattoir, comme un agneau qui reste muet devant celui qui le tond. Il n’a pas dit un mot» (Français Courant).

«Le passage de l’écriture qu’il lisait était celui-ci : il a été mené comme une brebis à l’abattoir ; et comme un agneau muet devant celui qui le tond, il n’ouvre pas la bouche» (Louis Segond Revisée).

Tandis que les versions françaises emploient les termes ‘brebis’ et ‘agneau’

respectivement προβατον (probaton) et αµνοs (amnos), le Layidukura s’en tient simplement au terme ‘saga’ (mouton).

Il est vrai qu’ici, il ne s’agit pas d’Agneau de Dieu mais de ‘brebis’ et ‘d’agneau’. Le terme dioula employé, à savoir, ‘saga’ (littéralement mouton), pour rendre ces deux notions, a une autre connotation : ‘saga’ désigne dans le langage courant, celui qui ne réfléchit pas et qui suit de manière grégaire les autres, à la limite même un idiot, alors que ‘agneau’ évoque la douceur, et que brebis est plus neutre. En fait, comme nous le disions plus haut, le dioula ne connaît pas la nuance entre ‘mouton’, ‘brebis’ et

‘agneau’. Les traducteurs n’avaient donc pas d’autres choix que ce terme ‘saga’, qui ne rend pas l’idée. Cette difficulté de traduction du terme ‘agneau’ se répercute sur la traduction de ‘Agneau de Dieu’, qui est en réalité le terme qui nous intéresse ici.

Le dictionnaire encyclopédique (1987) explique que ‘Agneau de Dieu’ est le nom symbolique donné à Jésus Christ, qui est comparé à un agneau à cause de sa résignation. Il est la victime chargée des péchés des hommes, qui s’offre à Dieu pour les expier. Cela renvoie à l’ancienne tradition juive qui était d’immoler l’agneau à la Pâques en sacrifice pour expier les fautes.

L’animal qui est le plus facilement immolé en sacrifice au Burkina, notamment à l’ouest, est le coq. Le symbole de pureté est exprimé par la couleur blanche de l’animal. Dans la même logique de l’adaptation remarquée dans les paragraphes précédents, n’était-il pas possible de traduire ‘Agneau de Dieu’ par « Coq de Dieu » ? L’expression ‘Agneau de Dieu’ est calquée en dioula telle quelle, dans un contexte différent, où les mots n’ont pas les mêmes connotations. Toute tentative d’adaptation serait peut-être un risque que les traducteurs n’ont pas voulu prendre. Si on permettait la comparaison avec n’importe quel animal, certes approprié dans la culture cible, cela amènerait des différences d’interprétation et peut-être d’autres connotations liées à l’animal choisi. ‘Coq’ pourrait véhiculer par exemple une image d’agressivité, de combativité et de force, absente de ‘agneau’.

Pour conclure cette analyse thématique, on peut dire que la même stratégie mixte de traduction, de domesticating et de foreignizing a été observée, la première pour les passages qui ne mettent pas en jeu les symboles essentiels au christianisme, et la seconde précisément pour les passages qui mettent en jeu ces symboles.

Conclusion de l’analyse des données écrites

En guise de conclusion à cette analyse des données écrites, comme nous le voyons, la version du Layidukura a pu répondre à plusieurs skopos.

Tout d’abord, l’analyse du paratexte renvoie à plusieurs fonctions explicites ou implicites. La principale fonction explicite est une fonction d’évangélisation : « nous espérons que d’ici quelques années toute la parole de Dieu sera disponible en dioula pour que les chrétiens puissent la lire lors des prières et des enseignements » (tiré de la préface du Layidukura, traduit par nous). Dans cette indication des objectifs du Layidukura, on note aussi une fonction d’enseignement et de lecture. La population est en majorité analphabète et la traduction de la Bible en langue nationale pourrait aussi viser à réduire ce taux d’analphabétisme, même si la finalité de l’utilisation de cette version pour des besoins d’alphabétisation demeure encore l’évangélisation. Les fonctions implicites déductibles des autres parties du paratexte, à savoir les notes introductives, les notes de bas de page, le découpage en péricopes et les illustrations en images recoupent quelque peu ces fonctions explicites. L’introduction des illustrations en image, même si elle a pu suivre un phénomène de mode, témoigne aussi de la volonté de mettre à la disposition du lecteur des images concrètes l’aidant à se représenter les notions qui ne lui sont pas familières. En outre, les images sont plus parlantes que les mots et cela est surtout vrai dans les sociétés à majorité analphabète.

Les notes introductives révèlent que Le Layidukura s’adresse à un public cible circonscrit, familier à l’islam pour la plupart, imprégné de la culture locale et non familier aux questions bibliques, ce qui explique sans doute son indépendance relative par rapport aux versions françaises qui ont officiellement servi de versions source à la traduction, même si on a pu déceler des traces du grec par-ci, par-là. Le découpage en péricopes démontre la même indépendance.

L’analyse linguistique révèle à son tour différentes fonctions qui peuvent renforcer les fonctions explicites et implicites déduites du paratexte. On note des stratégies de domesticating et de foregnizing (Venuti, 1995), pouvant toutes deux répondre à l’expression d’une idéologie en traduction. Ces stratégies se sont matérialisées en ce qui concerne la première, par des explicitations et des adaptations laissant transparaître la prise en compte de la culture cible, et pour la seconde, par la création de néologismes pour les concepts purement chrétiens revêtant une importance particulière pour la religion.

L’analyse thématique reflète la même stratégie hybride de traduction, comme c’est en général le cas dans la plupart des traductions interculturelles.

Pour cette version précise du Layidukura, la multiplicité des approches peut s’interpréter de différentes manières : il s’agit tout d’abord de textes religieux, très sensibles, dont la traduction requiert par conséquent le plus grand soin. Ensuite, tout travail de traduction est l’occasion de mettre en présence deux ou plusieurs cultures différentes et celle qui reçoit la traduction a beaucoup de chance de se retrouver transformée, dotée de nouveaux concepts issus de la culture source. Que serait une Bible totalement dépouillée de la culture des peuples judéo-chrétiens, même dans le contexte de l’inculturation ? Ce livre s’adresse à tous les peuples du monde, il est vrai, mais il est difficile de l’adapter totalement à la culture de toutes les langues qui le reçoivent au risque de se retrouver avec 2000 versions différentes du même texte. Il est vrai aussi que chaque peuple a ses sensibilités et croyances qu’il convient de respecter, mais dans le cas de la traduction de la Bible, tout dépend du skopos de la traduction, qui est en général fixé par les bailleurs de fond. La production du Layidukura n’a pas fait exception à cette règle.

En outre, le fait qu’il y ait peu de versions disponibles dans cette langue complique la tâche des traducteurs qui doivent combiner plusieurs skopos, contrairement au français ou à l’anglais par exemple, où il existe plusieurs versions, chacune présentant des objectifs précis. Les lecteurs de la Bible dans ces langues ont beaucoup plus de choix que ceux du dioula. La fonction centrale du Layidukura semble être principalement une fonction évangélisatrice.

Produit dans un projet œcuménique, fruit de la coopération entre les églises catholique et protestante, le Layidukura est conçu aussi pour fonctionner dans ces églises. Dans ce sens, il n’a pas seulement un but d’évangélisation, mais il remplit également des fonctions liturgiques et ecclésiales. Cette double fonctionnalité pourrait expliquer d’une part, l’emploi des substituts culturels dans les cas où ils ne portent pas préjudice au fonctionnement liturgique et où les symboles chrétiens ne

sont pas en jeu, et d’autre part, l’usage de néologismes quand ces conditions ne sont pas réunies. Cette double stratégie est déterminée entre autres facteurs par les objectifs de la traduction.

On pourrait également attribuer à cette version une fonction d’unification des chrétiens catholiques et protestants dioulaphones, si on s’en tient aux affirmations du premier responsable de l’église de Bobo, Monseigneur Sanon38, lors d’une interview le 06 décembre 2003 dont nous avons fait cas précédemment. Le problème est que chaque confession s’en tient lors de ses célébrations à des expressions qui lui sont propres, et recourt aux versions traduites parallèlement39 pour la confession en question, si bien qu’on s’interroge sur le rôle même de cette version du Layidukura.

Lors des célébrations liturgiques à l’église catholique par exemple, on rencontre des expressions propres à cette église et qui ne figurent pas dans la version commune produite.

Monseigneur Lucas Kalfa Sanon pour sa part, a affirmé (interview du 18 juin 2004) que le Layidukura a beaucoup été influencé par l’église protestante, étant donné que c’est elle qui offre la plus grosse part des financements, ce qui lui permet d’avoir le dernier mot sur les options lexicales (choix des mots, préférence des termes, etc.) et sur les stratégies de traduction. Cela confirme bien le rôle primordial accordé au

‘translation commissioner’ dans la théorie du skopos.

Le caractère écrit du Layidukura rend cette version (financée par des bailleurs de fond étrangers) très influençable et influencée par ces derniers, ce qui relativise les résultats de cette analyse. Étant donné que cette traduction fonctionne beaucoup plus à l’oral qu’à l’écrit et que chaque confession est libre et plus ou moins indépendante de ses choix à l’oral, une analyse des données orales s’imposait pour valider les résultats de l’analyse des données écrites ainsi que nos hypothèses. Elle a l’avantage de bénéficier des situations réelles de la vie, ce qui permet de limiter le nombre de suppositions par rapport aux données écrites, et d’examiner des faits précis dans un cadre déterminé. Le contexte oral permet de considérer un certain nombre de facteurs pragmatiques, intéressants pour le mécanisme de la traduction.

38 En rappel, la version du Layidukura 1996 a été soumis à l’imprimatur Monseigneur Anselme Sanon, ce qui signifie qu’il l’a approuvée. Il est donc bien placé pour expliquer les objectifs qui ont prévalu dans la production du Layidukura.

39 Les catholiques préfèrent par exemple la version traduite par les missionnaires, appelée « la Bible du dimanche » qui en fait un recueil des textes du dimanche. Il ne s’agit donc pas de toute la Bible, mais d’une sélection des textes du Dimanche étant donné qu’à l’église catholique, les textes de la messe sont connus à l’avance. Quant aux fidèles de l’église de l’Alliance Chrétienne, ils utilisent la Bible en Bambara.