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CHAPITRE V PRÉSENTATION ET ANALYSE DU CORPUS ÉCRIT

2 ANALYSE TEXTUELLE

2.1 Analyse des éléments du lexique

Le point focal de cette partie est la détermination de l’influence des facteurs extratextuels et des objectifs de traduction sur les choix lexicaux. Plusieurs phénomènes sont observables, mais les plus pertinents sont les néologismes et les adaptations lexicales.

2.1.1 Néologismes

Le néologisme est défini par Delisle et al. (1999 : 57) comme «un mot ou terme de création récente ou emprunté depuis peu à une autre langue, ou acception nouvelle d’un mot ou d’un terme existant». Dans la première note, il précise que l’on distingue des néologismes de forme et des néologismes de sens. Dans la deuxième note, il ajoute que les néologismes de forme sont créés de toutes pièces, par regroupements lexicaux, par dérivation, ou encore par emprunt à une autre langue. La troisième note précise que les néologismes de sens sont obtenus en donnant un sens nouveau à un terme existant.

Dans cette définition, on remarque que l’amalgame est fait entre les néologismes et les emprunts.

Seules les expressions nin senuman composées de nin (d’origine dioula qui veut dire âme) et de senu (d’origine bambara, dérivé du mot ‘sani’ qui veut dire propre), et Ala ka sagadn (Agneau de Dieu) semblent être les seuls néologismes de sens. Nous y reviendrons dans l’analyse thématique.

C’est surtout les néologismes d’emprunt qui se retrouvent dans cette version du Layidukura, les principales langues d’emprunt étant le français et l’arabe.

2.1.1.1 Néologismes et/ou emprunts d’origine française

On note un nombre relativement élevé d’emprunts d’origine française. Ils ont été adaptés pour la plupart pour avoir une consonance dioula. Nous notons les exemples suivants : Yezu Krista (Jésus Christ) dans romains 3 : 21-22, Olivuyirikuru (le mont des oliviers) dans Luc 19 : 37, rzen (raisin) (Jean 15 : 1), duvn (le vin) dans Mathieu 9 : 17 ou encore mutard ks (le grain de moutarde) dans Marc 4 : 30. Ce genre de néologisme, pouvant s’apparenter à de l'adaptation est encore plus visible dans la traduction des noms propres de personnes, de rivières, de monts de pays et de villes. Les noms propres de rivière sont suivis par la mention ‘baa da’ (rivière) et ceux des monts, par la mention ‘kulu’ (montagne) ou kuru’ qui veulent exactement dire les mêmes choses. Pour les noms des monts, nous avons ‘olivuyirikuru’ (monts

des Oliviers) dans Luc 19 : 37, ‘Sinaï kulu’ (le mont Sinaï) dans Actes 7 : 38b. Pour les noms de ville ou de pays, les traducteurs ont juste mentionné les noms adaptés en dioula quelquefois suivis des mentions ‘mara’ (ville ou localité) ou ‘jamana’ (pays) pour signifier qu’il s’agit d’un nom de pays ou de ville. Ainsi on note :

Nazareti (Nazareth) dans Luc 2 : 51, Zope (Joppé) dans actes 10 : 9, Etiyopi jamana (le pays d’Ethiopie) dans Actes 8 : 27, Lida (Lydda) dans Actes 9 : 32, Sezare (Césarée) dans Actes 10 : 1, Damasi (Damas) dans Actes 9 : 19, Samari (Samarie) dans Actes 8 : 1

Zeruzalemu (Jérusalem) dans Actes 8 : 4, rmu (Rome) dans l’introduction des actes des apôtres, Palestini jamana (le pays de la Palestine) dans l’introduction des actes des apôtres, Israyl (Israël) dans Actes 1 : 6, Zude mara (la ville de Judée) dans Actes 1 : 8.

Même si des adaptations sont faites pour donner la consonance dioula, la racine des mots est française. Cela se perçoit beaucoup plus à l'oral qu'à l'écrit, parce que les noms de pays dont l’orthographe est identique par exemple en français et en anglais, sont prononcés selon les règles phonétiques du français, adaptées au dioula. Ainsi à l’oral, on perçoit plus l’influence de la langue française.

Tout comme le français, l’arabe aussi a constitué une langue d’emprunt.

2.1.1.2 Néologismes et/ou emprunts d’origine arabes

Ils témoignent de la forte influence de l’arabe sur le dioula, et partant, de l’islam dans l’ouest du Burkina. Ces mots ou expressions préalablement employés par la communauté musulmane sont entrés dans la langue dioula et en font désormais partie.

Il s’agit peut-être plus d’emprunts que de néologismes en ce qui les concerne. Ils ne sont pas nés de cette traduction seule.

C’est le cas par exemple de Ala (Dieu) dans Mathieu 3 : 15, Mlkw (les anges) dans Hébreu 2 : 2, nr (gloire) dans Jude 8, Ala tando (rendre grâce à Dieu), batoli (adoration) dans romains 12 : 1, saraka (sacrifice) dans romains 12 : 1.

Il y a en outre l’adaptation des noms propres. Nida and Taber (1974 : 30) avaient proposé que les noms propres soient adaptés pour paraître naturels dans la langue qui reçoit le message. Telle est bien la démarche suivie dans Layidukura où depuis l’introduction, les noms les plus courants ont été signalés par leurs équivalents dioula qui se trouvent être des noms dits musulmans, parce que prioritairement portés par des musulmans. L’utilisation de ces noms musulmans peut être le signe d’une forte influence de l’islam sur la population dioulaphone. En effet Sandwidé (1999) affirme que bien que l’islam ne fût pas bien répandu au sein de la population au moment de l’arrivée des missionnaires, ce sont essentiellement les Dioula qui y adhéraient. La langue et le peuple dioula ayant eux-mêmes été souvent assimilés à l’islam (Nébié, 1984), il n’est pas étonnant de voir cette influence de l’arabe dans le Layidukura. En ce qui concerne cette stratégie d’utilisation des termes musulmans, l’exégète Sanon Elie (interview du 04 août 2001) a expliqué que l'objectif était de montrer le

rapprochement entre les deux religions, avec le secret espoir de conquérir des âmes musulmanes. Cette stratégie n'est d’ailleurs pas systématique, comme le montre le cas de la traduction de Jean Baptiste. Ainsi, certaines versions dioula (notamment de Côte d’Ivoire) l'ont traduit par son équivalent musulman Yaya, tandis que le Layidukura a préféré Zan Batizerikebaga dans Mathieu 9 : 14 qui signifie ‘Jean le Baptiste’. Cette option permet d’introduire la notion de ‘baptême’ dans la version.

Zan Batizerikebaga (Jean le Baptiste) est plus explicite que Yaya, même s'il s'agit du même personnage.

Outre cette influence de l’islam, le Layidukura a aussi fait appel à des termes tirés des réalités de la culture cible en substituant des mots peu connus par d’autres plus connus.

2.1.2 Substitution

Dans cette partie, il sera question de démontrer l’influence du milieu sur les choix des traducteurs. Il s’agit essentiellement d’éléments lexicaux tirés du quotidien des populations dioulaphones.

Ces mots ou expressions tirés de la culture locale sont utilisés comme substituts de termes utilisés dans les versions françaises. C’est le cas de fonks (graine de fonio) dans Mathieu 17 : 20, employé comme substitut à la graine de moutarde, de fiy nyaa kelen (une mesure de calebasse) employée pour traduire ‘une grande quantité’, de fln (calebasse) dans 1 Corinthiens 10 : 16 pour comme substitut à la coupe. On peut faire remarquer que Le Layidukura a eu recours à deux mots fy et fln pour dire

‘calebasse’. Ces deux mots veulent effectivement dire calebasse, mais le premier fy est reconnu comme étant le mot dioula et fln comme bambara, ce qui illustre bien la confusion entre ces deux langues dont nous parlions plus haut Tous ces éléments lexicaux seront plus largement développés dans l’analyse pragmatique.

En conclusion à cette analyse du lexique, disons que la stratégie du choix des éléments du lexique n’a pas été uniforme : autant les néologismes que les adaptations ont été employés, comme c’est le cas dans la plupart des traductions interculturelles.

Les néologismes d’emprunt du français témoignent de l’influence de cette langue (utilisée comme langue source) sur Layidukura, tandis que les emprunts de l’arabe démontrent une influence de l’islam, et ceux tirés du milieu, une relative indépendance. Cela peut constituer un indice du skopos multiple et pas très bien défini de cette version. Le principal objectif semble avoir été la communication efficace dont la finalité peut encore être l’évangélisation. La représentativité de ces stratégies a été vérifiée sur un échantillon de passages choisis au hasard dans le texte.

Dans l’évangile de Mathieu, nous avons choisi l’introduction et les deux premiers chapitres, dans celui de Marc, les chapitres deux et trois, dans celui de Luc, l’introduction et les deux premiers chapitres, les mêmes passages pour celui de Jean et les chapitres seize, dix-sept et dix-huit des actes des apôtres. La vérification de ces

passages a confirmé l’influence du français surtout sur les noms propres (personnes, pays, villes) et celle de l’arabe sur les mots déjà entrés dans la langue comme mlk (ange), hakl (esprt), Ala (Deu), (jnaw), tuub (convertr), waajul (prêcher).

En effet, dans tout l’échantillon, toutes les fois où il s’est agi de traduire un nom propre, son équivalent français, adapté à la consonance dioula, a été privilégié. La néologie Nii Senuman a aussi été retrouvée. Le texte à la lecture paraît naturel en dioula. La seule expression, présente dans tous les passages vérifiés et qui ne semble pas tout à fait courante est ‘Ala ka mg woloman’ (l’homme choisi de Dieu) pour signifier le Christ.

L’analyse grammaticale et syntaxique a revelé le respect des structures de chaque langue, ce qui rend peu pertinent sa présentation en détail. On ne sent pas d’influence étrangère dans le texte. Cela témoigne de son indépendance, qui peut avoir servi un objectif d’adaptation.

Les figures de style dont la présentation suit au point suivant ont été retenues, afin d’analyser la traduction de certains aspects relatifs aux sujets tabous dans la société, auxquels référence a été faite dans le chapitre III. Parmi les caractéristiques des langues africaines en général et bambara en particulier, on note une subtilité du langage, marquée par une ambiguïté, des euphémismes, des proverbes et des métaphores. L’intérêt de cette rubrique est de pouvoir déterminer tout d’abord si ces caractéristiques reconnues des langues africaines se retrouvent dans Layidukura et surtout si elles lui sont propres.

2.2 Les figures de style

On note un nombre élevé de figures de style dans Layidukura, telles que les hyperboles, les euphémismes, les métaphores, les métonymies, les synecdoques et les simili, mais pour la plupart, elles ont été calquées des versions source, si bien que leur présentation en détail ne semble pas très pertinente pour nos propos.

Nous examinons quand même deux exemples liés à la sexualité, qui ont eu recours à l’euphémisme. Même si cette figure de style n’est pas propre au Layidukura, le choix des mots dans cette version mérite que l’on y prête attention..

Exemple 1

1 Corinthiens 7 : 36b :

«N kanbelen d y a ye ko a te se k’a yr mn a ka mamnmusu fan f, a k’a furu ka keny n’a yr ka mrya ye, o te ke kojugu ye»

Traduction littérale : si un jeune homme voit qu’il ne peut pas se tenir/contrôler devant sa fiancée, qu’il se marie selon sa pensée, cela n’est pas un péché.

Versions françaises

«Maintenant, si un jeune homme pense qu’il cause du tort à sa fiancée en ne l’épousant pas, s’il est dominé par le désir et estime qu’ils devraient se marier, eh

bien, qu’ils se marient, comme il le veut, il ne commet pas de péché » (Français Courant).

«Si quelqu’un débordant d’ardeur, pense qu’il ne pourra pas respecter sa fiancée et que les choses doivent suivre leur cours, qu’il fasse selon son idée. Il ne pèche pas.

Qu’ils se marient» (TOB).

Exemple 2

1 Corinthiens 7 : 37-38 :

«Nga n kambelen mn ya latg a yr dusu la, n degunyoro t’a la fewu, n’a be se a yr kr fana, k’a latg a yr kn ko a tena se a ka mamnmuso ma fewu, ale be baaranyuman k. Mn ma furu k fana o tg ye konyuman k kosb».

Traduction littérale : mais un jeune homme qui décide de lui-même sans contrainte aucune, s’il sait se maîtriser, s’il choisit de lui-même de ne pas toucher à sa fiancée du tout, il fait un bon travail. Celui qui se marie aussi fait vraiment bien.’

Versions françaises

«Par contre, si le jeune homme, sans subir de contrainte, a pris intérieurement la ferme résolution de ne pas se marier, s’il est capable de dominer sa volonté et a décidé en lui-même de ne pas avoir de relations avec sa fiancée, il fait bien. Ainsi, celui qui épouse sa fiancée fait bien, mais celui qui y renonce fait encore mieux»

(Français Courant).

«Mais celui qui a pris dans son cœur une ferme résolution, hors de toute contrainte et qui, en pleine possession de sa volonté, a pris en son for intérieur la décision de respecter sa fiancée, celui-là fera bien, et celui qui ne l’épouse pas encore mieux»

(TOB)

Nous remarquons que dans ces passages, ‘se tenir devant sa fiancée’ ou ‘ne pas toucher à sa fiancée’, correspond dans le Français Courant à ‘ne pas avoir de relation avec sa fiancée’ et ‘respecter sa fiancée’ dans la Louis Segond Révisée. Si toutes les trois versions ont fait preuve d’euphémisme, elles demeurent toutes indépendantes dans le choix des mots. Après vérification de ce passage dans le Nouveau Testament interlinéaire grec anglais, il ressort que l’expression grecque employée est τηρειν τηυ εαντον παρθενον (threin thu eanton) (to keep himself virgin). On se rend compte que la version du Layidukura n’est pas celle qui a le plus ‘ménagé’ cette expression, car sa proposition fait plus allusion à la corporalité que celle de la TOB.

Ainsi donc, les caractéristiques de subtilité et d’euphémisme reconnues aux langues africaines ne leur sont pas propres.

On remarque d’ailleurs l’absence des autres figures de style privilégiées des sociétés africaines et plus précisément bambara (Camara, 1976), où le choix des mots requiert beaucoup de précaution, visant à atténuer les effets néfastes du langage (Zahan, 1963) et à contourner les sujets sensibles. Celles qui existent dans le Layidukura, se trouvent aussi dans les versions françaises.

Cette analyse des figures de style ne nous dit pas grand-chose sur le skopos probable du Layidukura. L’analyse pragmatique qui suit fournira plus d’éléments pertinents.