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Chapitre 2. Histoire du hasard raisonné : la découverte et l’expansion de la DBS.

II. Un empirisme éclairé : la DBS dans une histoire pratique

2. Comment relier un patient à un neurologue via des électrodes ?

Dans les années 70, des équipes testèrent différents procédés de stimulation chronique sur différentes cibles et dans diverses pathologies (mouvements anormaux et tremblement137, douleur138 ou épilepsie139). Les procédés sont souvent très peu décrits. Ce peuvent être des stimulations transcutanées ou intracérébrales avec des électrodes, mais non continues (soit le patient se stimule lui-même plusieurs fois par jours140, soit un système détecte les contractions du tremblement et déclenche la stimulation141 ou bien ce sont par exemple des stimulateurs externes142). C’est l’utilisation de la stimulation cérébrale dans la douleur, la plus développée143

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Cooper, I. S. et al. (1976) “Chronic cerebellar stimulation in cerebral palsy”, Neurology, 26, 744-753. Andy, O. J. (1983) “Thalamic stimulation for control of movement disorders”, Applied Neurophysiology, 46(1-4), 107- 111. Brice, J. et McLellan, L. (1980) “Suppression of intention tremor by contingent deep-brain stimulation”, Lancet, 1, 1221-1222.

, qui va initier à partir du milieu des années 70 le développement technologique permettant d’appliquer une stimulation continue sur des structures cérébrales profondes,

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Hosobuchi, Y. et al. (1973) “Chronic thalamic stimulation for the control of facial anesthesia dolorosa”, Archives of Neurology, 29, 158-161. Hosobuchi, Y. (1978) “Chronic brain stimulation for the treatment of intractable pain”, Res Clin Stud Headache, 5, 122-126. Hosobuchi, Y. (1986) “Subcortical electrical stimulation for control of intractable pain in humans. Report of 122 cases (1970-1984)”, Journal of Neurosurgery, 64, 543- 553. Andy, O. J. (1980) “Parafascicular-center median nuclei stimulation for intractable pain and dyskinesia (painful-dyskinesia)”, Applied Neurophysiology, 43, 133–144. Andy, O. J. (1983) “Thalamic stimulation for chronic pain”, Applied Neurophysiology, 46, 116-123.

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Cooper, I. S. (1973) “Effect of chronic stimulation of anterior cerebellum on neurological disease”, Lancet, 1, 206.

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Andy, O. J. (1983) “Thalamic stimulation for control of movement disorders”, Applied Neurophysiology, 46(1-4), 107-111.

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Brice, J. et McLellan, L. (1980) “Suppression of intention tremor by contingent deep-brain stimulation”, Lancet, 1, 1221-1222.

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Cooper, I. S. (1973) “Effect of chronic stimulation of anterior cerebellum on neurological disease”, Lancet, 1, 206.

Les travaux d’I. Cooper seront remis en cause par la suite : Rosenow, J. et al. (2002) “Cooper and his role in intracranial stimulation for movement disorders and epilepsy”, Stereotacic and Functional Neurosurgery, 78, 95-112.

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En particulier, l’équipe française de G. Mazars, précurseur dans le domaine : Mazars, G., Roge R., et Mazars, Y. (1960) « Résultats de la stimulation du faisceau spinothalamique et leur incidence sur la physiopathologie de la douleur », Revue Neurologique, 103, 136-138. Mazars, G., Merienne, L. et Cioloca, C. (1974) “Treatment of certain types of pain with implantable thalamic stimulators”, Neurochirurgie, 20(2), 117-124. Mais aussi celle de Hosobuchi: Hosobuchi, Y. (1978) “Chronic brain stimulation for the treatment of intractable pain”, Res Clin Stud Headache, 5, 122-126.

directement sur la cible fonctionnelle, en dehors des conditions du bloc opératoire144. L’équipement a donc déjà été pensé et est transposé pour le tremblement. Plusieurs firmes, dont Medtronic145 ou Avery Laboratories146

« J’ai toujours été attiré par la neurochirurgie fonctionnelle dans le cadre général de la neurochirurgie, en faisant de la neurochirurgie non

développent alors le matériel qu’il restait à appliquer. Cela passe par un stimulateur implanté dans l’abdomen et relié aux électrodes auxquelles il délivre un courant électrique continu et dont le neurologue peut faire varier les paramètres par un boîtier de contrôle externe. La stimulation devient alors chronique et continue. Alim Louis Bénabid l’utilisait lui-même pour la douleur :

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Le premier à avoir implanté sur l’homme des électrodes reliées à un stimulateur, est le neurochirurgien Lawrence Pool (1906-2004) de l’Université Columbia à New York, dès 1948. Influencé par la psychochirurgie (il sera aux côtés de W. Freeman lors des débats éthiques autour de la pratique de la lobotomie : Valenstein, 1986, 183), il se sert de la technique pour traiter une femme souffrant d’anorexie et de dépression. Elle est implantée dans le noyau caudé et le stimulateur est utilisé la journée pendant 8 semaines. Il réalisera d’autres expériences dans diverses pathologies, mais restera surtout tristement célèbre pour avoir été le professeur du neurochirurgien Robert G. Heath (1915-1999). Celui-ci sera une figure controversée de la psychochirurgie. S’il débute en étant le précurseur de la stimulation électrique appliquée à la douleur en 1952 (stimulation du système limbique) et est le premier à utiliser la stéréotaxie pour implanter des électrodes, il va se faire connaître en l’étendant à un cas d’homosexualité qu’il souhaite, par la stimulation, convertir à l’hétérosexualité. Moan, C. E. et Heath, R. G. (1972) “Septal stimulation for the initiation of heterosexual activity in a homosexual male”, Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry, 3(1), 23-30. Cette expérience sera controversée, ses applications à des cas de schizophrénie un peu moins. Avec cette technique, le patient est auto ou hétéro-stimulé. Les électrodes sont reliées via fréquences radio à un stimulateur portable que le malade peut activer de lui-même lorsqu’il le souhaite.

Les recherches de Pool et Heath ne sont jamais référencées, ni même évoquées, dans les revues reprenant l’histoire de la stimulation électrique cérébrale, que ce soit en neurologie ou psychiatrie (si ce n’est le très bon chapitre de Butler, M. A., Rosenow, J. M. et Okun, M. S. (2008) “History of the Therapeutic Use of Electricity on the Brain and the Development of Deep Brain Stimulation”, in Tarsy, D. et al. Current Clinical Neurology: Deep Brain Stimulation in Neurological and Psychiatric Disorders, Totowa, NJ, Humana Press, 63-82). Leur caractère controversé éthiquement et moralement (Heath se rendra également célèbre en testant un médicament sur des prisonniers) et l’absence d’un rationnel solide pour les légitimer (Heath s’appuie sur les expérimentations animales de J. Olds), les a fait ranger aux côtés de la sombre psychochirurgie de Walter Freeman. Heath sera pourtant l’un des premiers à mesurer – sans doute trop ardemment – le potentiel d’exploration expérimentale que la technique offrait de par ses conditions d’applications (réversibilité de la stimulation qui permet un contrôle des alternances de conditions) : “The present study represents an exploratory attempt to investigate human behavior under strict laboratory conditions such as have been characteristically employed in animal studies” in Bishop M. P., Elder S. T. et Heath R. G. (1963) “Intracranial self-stimulation in man”, Science, 140 (3565), 394-396 : 394.

Voir aussi : Heath, R. G. (éd.) (1954) Studies in Schizophrenia, Harvard University Press, Cambridge Mass. Heath, R. G. (1963) “Electrical self-stimulation of the brain in man”, The American Journal of Psychiatry, 120(6), 571-577.

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Cette firme est aujourd’hui le leader dans le domaine de la DBS. Depuis 1949, elle s’est spécialisée dans le développement de technologies médicales et notamment les pacemakers cardiaques.

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Ce sont eux qui ont conçu la première génération de stimulateurs utilisés par I. Cooper. C’était un système fonctionnant par fréquences radio : les patients portent une batterie à leur ceinture qui alimente un radio transmetteur attaché à la poitrine au dessus du receveur implanté et relié aux électrodes. En 1974, est utilisé le premier stimulateur implantable (le neurolith 601) fabriqué par Pacemaker Systems-neurodyne Corporation. Butler, M. A., Rosenow, J. M. et Okun, M. S. (2008) “History of the Therapeutic Use of Electricity on the Brain and the Development of Deep Brain Stimulation”, in Tarsy, D. et al. Current Clinical Neurology: Deep Brain Stimulation in Neurological and Psychiatric Disorders, Totowa, NJ, Humana Press, 63-82

fonctionnelle par ailleurs. J’ai donc pris l’habitude d’opérer un certain nombre de malades et de mettre des électrodes contre la douleur avec des succès mitigés. C’est pour dire aussi que l’équipement existait, les électrodes, les câbles, et j’avais l’habitude de la technique. »147

Le premier cas implanté par Bénabid est un patient parkinsonien ayant subi une thalamotomie unilatérale et que Bénabid implante de l’autre côté lorsque son tremblement réapparait148. Les trois patients suivant (souffrant d’un tremblement essentiel ou parkinsonien résistant à la pharmacologie), suivent le même modèle (combinaison d’une thalamotomie du côté le plus touché et d’une stimulation du noyau ventral du thalamus de l’autre). Avec le neurologue Pierre Pollak, Bénabid publie les résultats en 1987 (dans une revue de neurophysiologie) et donne son impulsion à la technique149. Une série plus importante qui sera la référence de la naissance de la DBS est publiée en 1991 dans The Lancet par la même équipe150.