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Les infirmières de recherches cliniques : faire passer les malades et les projets dans la

III. Entre le laboratoire et la clinique : le CIC, un centre intellectuel de recherche clinique et

2. Les infirmières de recherches cliniques : faire passer les malades et les projets dans la

a. Ouvrir et maintenir les conditions de la recherche.

Les infirmières travaillant dans les CIC sont des assistantes de recherche clinique (ARC) : des infirmières diplômées en recherche clinique. Elles sont titulaires (ou sont en formation) d’un DIUFARC : un diplôme inter-universitaire de formation des assistants de recherche clinique. Cette formation n’est pas obligatoire pour être infirmière dans un CIC mais elle est souhaitée. Ce sont elles qui assurent le suivi et le monitoring des protocoles de recherche en collaboration avec l’investigateur principal. La centralité de leur rôle est constamment rappelée par les membres du CIC. L’importance de leur tâche repose sur trois éléments :

- Elles assistent le médecin investigateur dans la gestion administrative de la recherche : elles participent aux échanges avec les promoteurs, aident au respect des aspects administratifs des

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J’entends par-là le premier groupe stable décrit, constituant un corps multiple articulé incluant les infirmières de recherches et aides-soignantes, les techniciens de laboratoire, la cadre infirmier et les secrétaires.

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Les deux groupes coordonnent leurs activités au cours de la réunion du service, la seule qui unit tous les membres du CIC, cliniciens et personnel soignant, techniques et administratif. Chaque mercredi, à 14 heures, l’équipe, menée par le médecin délégué, établit le planning de la semaine suivante. Sur une feuille distribuée à tous, sont renseignés pour chaque jour de la semaine les patients qui seront présents au CIC, en hôpital de jour, pour une journée ou une durée plus longue, ainsi que le protocole de recherche dans lequel ils sont inclus. L’assemblée doit alors coordonner les tâches de chacun, récapituler les examens à réaliser, préciser les détails des hospitalisations. C’était aussi un moment pour faire le point sur les malades ou les recherches, indiquer les problèmes rencontrés ou donner des instructions particulières.

tâches de l'investigateur (information des patients, recueil et suivi des évènements indésirables, etc.).

- Elles suivent les malades inclus dans le protocole pendant toute sa durée : elles gèrent les plannings des visites et des examens des patients, effectuent les actes techniques, les prélèvements et les soins, elles assistent le médecin investigateur dans l’information aux patients sur les procédures de l'essai, elles récoltent les questionnaires d'évaluation.

- Elles tiennent les cahiers d’observations (les CRF pour Case Report Form) dans lesquels l’investigateur, les infirmières et techniciens reportent toutes les observations et données de la recherche. Il est l’élément administratif central des protocoles, l’équivalent pour recherche du dossier médical. C’est à partir de ce qu’il contient que seront élaborés les résultats du protocole.

En plus de la prise en charge des malades, leurs tâches sont donc à la fois techniques et administratives. Chaque infirmière se voit attribuée une recherche qu’elle suivra de bout en bout. Ce sont donc elles qui tiennent les données, participent au respect des procédures et assurent les liens entre le malade et le médecin. Contrairement au travail infirmier classique, l’activité de soin est minime et périphérique. Marie, la cadre infirmier : « Il n’y a pas le côté technicien de l’infirmière (il n’y a pas de réanimation, pas de machine, pas de perfusion). C’est une autre idée du soin avec 50% de travail administratif. Il faut de la traçabilité, respecter les procédures. C’est une excellente école de rigueur et de responsabilité. Ici on n’est pas noyé dans la masse : on attribue les protocoles aux infirmières, elles signent ce qu’elles font. Et elles gardent un contact préférentiel avec le patient, beaucoup plus qu’en salle, elles sont le pivot entre le médecin et le malade. Les malades d’ailleurs les connaissent et les demandent. » Cette « autre idée du soin » qui correspond aux conditions de la recherche médicale a mené à la nécessité de la spécialisation et de la professionnalisation d’un corps infirmier de recherche clinique98

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Celui-ci possède sa revue scientifique : Recherche en soins infirmiers.

. Cette spécialisation procède du même mouvement de différenciation au sein des hôpitaux que la création des CIC : s’il faut des lieux particuliers à la recherche clinique et des médecins-chercheurs, la spécificité des conditions de la recherche et de ses objets, la multiplicité des intervenants, la valeur des actes réalisés impliquent également qu’il faille un personnel soignant spécialisé et des techniciens.

Ainsi, si elles ont un rôle actif dans la recherche, elles ne peuvent être en marge des décisions et doivent participer à l’articulation des différents intervenants. D’un point de vue administratif, elles doivent s’assurer que les données soient correctement relevées, les questionnaires remplis et archivés. L’infirmière en charge d’un protocole tient le cahier d’observation : plusieurs volumineux classeurs, des centaines de pages que doivent remplir les différents examinateurs, les infirmières et les techniciens, qui contiennent toutes les observations et moindres détails du protocole, les résultats des examens et les consentements écrits. L’infirmière doit donc transmettre à tous les praticiens concernés les pages qu’ils ont à compléter lors de toutes les étapes d’examens puis les récupérer. En amont, elles auront participé aux réunions de mise en place des essais cliniques avec le promoteur, la cadre infirmier, le médecin investigateur et les techniciens. L’équipe aura discuté tous les détails techniques et administratifs, les moindres points de procédures du protocole et notamment le contenu et la tenue du cahier. Face au rôle administratif du représentant du promoteur, infirmières et techniciens expliqueront pragmatiquement, cas à l’appui, ce qui peut être fait ou non, relevant les incohérences de procédures ou évoquant des situations concrètes. Ils auront fait entrer le projet dans la recherche.

Ensuite, les infirmières, assistées des aides-soignantes, guident le patient pendant ses hospitalisations et durant l’intégralité du protocole. Elles l’accueillent, l’accompagnent et l’informent de son planning avec le médecin investigateur. Généralement, cette prise en charge pendant le séjour leur permet d’entretenir un contact privilégié avec lui. A cet instant, leur rôle rejoint celui des infirmières « traditionnelles » et l’activité de salle. L’infirmière tient le planning des actes et examens que doit subir le patient lors de ses hospitalisations. Elle doit donc s’assurer qu’il sera dans sa chambre ou bien le transférer dans un autre service avec son dossier médical. Elle sert de repère face à la multiplicité des intervenants et si elle ne maîtrise pas nécessairement le fondement de la recherche et ses enjeux, son positionnement joue un rôle crucial dans les liens entre praticiens et malades et dans la cohésion de la pratique. En suivant le malade tout au long de la recherche, elle développe un point de vue général, englobant, sur celui-ci et sur son évolution. En étant proche du malade dans leur rôle, elle se rapproche dans la connaissance, s’informant de son état et de son ressenti. Elles discutent avec lui, prennent de ses nouvelles, observent les changements et son évolution. Pour les patients souffrant de TOC, il arrivait régulièrement que l’infirmière référente du protocole commente leur état, les trouvant déprimés ou améliorés et en fasse part aux différents praticiens qui participaient à la recherche. Par exemple, l’examinateur passant toujours par le

poste infirmier pour obtenir les documents à remplir reçoit l’avis de l’infirmière sur le patient et entre dans la chambre avec cette donnée. Ce peuvent être des événements de sa vie, un jugement général sur son état, des propos rapportés, un fait récent lors de son hospitalisation, etc. De même, lorsqu’un événement indésirable survient pendant l’hospitalisation, ce sont généralement les infirmières qui diffusent l’information et le signalent à l’équipe ou au cadre infirmier.

Ici, le patient ne vient pas pour des soins. La valeur des actes est autre. Il faut donc assurer leur « qualité » et leur « traçabilité ». Ce sont les termes employés par la profession. Les actes et les données doivent être « purs », correspondre aux procédures, et il faut en conserver la mémoire. Cela passe par le maintient et le respect des conditions de la recherche. Ce n’est pas simplement l’effet de l’acte sur le corps qui est important, c’est aussi l’enchaînement et les conditions de production de l’acte et du relevé de la donnée, du résultat, de l’évaluation ou du prélèvement. Les infirmières archivent ce qui a été effectué, enregistrent les états, conservent la mémoire des actes. Il faut pouvoir retracer la généalogie et le parcours des faits et leur enchaînement, être exhaustifs, les stocker pour les localiser rapidement. Pour cela il faut créer les conditions nécessaires en amont : lors d’un entretien avec un malade, le praticien doit avoir la liste de questions correspondant à l’évaluation de cet instant précis du protocole, si l’entretien doit être filmé, il faut respecter certains critères de la procédure (conserver l’anonymat, cacher tout signe pouvant indiquer la phase du protocole, etc.99

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Par exemple, l’implantation des électrodes laisse paraître sur le crâne des patients deux légères petites bosses provoquées par la sortie du câble les reliant au stimulateur. Lors d’entretiens filmés pour un protocole, les malades doivent porter un bonnet afin que les évaluateurs qui visionneront la vidéo ne puissent savoir si la personne a déjà été implantée ou non.

), enfin il faut que tout le monde soit là et que l’on ait relevé le consentement signé du patient. Pour les techniciens qui travaillent entre leur local technique, la salle de vidéo, le couloir et les chambres, toutes les conditions entre ces lieux doivent être identiques, normées et calibrées pour la recherche et le respect des procédures, pour que tout ce qui sera prélevé (sang, paroles, images, écrits) puisse entrer dans le corps de données pour y être articulé. Sans dépasser. Techniciens et infirmières doivent coordonner les activités des différents intervenants et maintenir les conditions de la recherche. Par leur activité, ils calibrent les actes, les acteurs, les données, enregistrent et classent. Les infirmières veillent à ce que rien ni personne ne se perde pendant les nombreux déplacements et changements de main. Et surtout que rien ne bouge. Comme les prélèvements sont centrifugés, étiquetés et stockés dans les congélateurs, les données sont reportées et classées dans les cahiers d’observations.

A travers ces procédures tenues par ce personnel, le CIC permet alors d’adapter le malade aux conditions si particulières de la recherche et de procédures qui n’ont plus rien à voir avec la médecine, d’offrir un cadre scientifique et éthique nécessaire. Pierre Corvol explique : « C’est hautement sophistiqué. Il y a des infirmières spécialisées, avant même que le malade arrive il y a un protocole d’écrit, un comité d’éthique a donné son avis, les prélèvements seront stockés dans des conditions bien précises. Tout ça avant c’était zéro. Et enfin, l’industrie pharmaceutique qui pouvait être intéressée à faire des études sur les sujets soit sains soit atteints d’une infection particulière avait ces exigences qu’il était impossible à remplir dans les conditions antérieures. » Ces conditions dans lesquelles les tensions inhérentes à la prise en charge d’un malade soumis à l’expérimentation relèveraient d’un domaine de compétence, de contraintes et d’enjeux à part. Chercheurs et cliniciens pourront alors s’accorder autour d’objectifs mais surtout d’objets communs. Le CIC doit faire passer le malade dans les conditions du laboratoire où il pourra être soumis aux problématiques de la recherche dans des conditions éthiques. Il devient un lieu de translation des problématiques car il permet la traduction du malade et de son corps en un objet de connaissance, d’investigation, de normalisation et de standardisation dans le respect des normes de pratiques mais aussi le « respect de l’individu » et de son « intégrité physique ». Le malade devient objet de la biomédecine.

b. Une bipolarisation : entre relationnel et technique.

Le modèle d’organisation des CIC confère donc aux ARC un rôle « pivot », loin de celui qu’une infirmière tient dans un service hospitalier « classique ». Marie explique : « C’est un autre modèle d’organisation, c’est moins lourd qu’en salle et en plus il y a une ouverture vers l’extérieur. Elles sont en contact avec les industriels, les médecins, il y a plus de relationnel. En salle au bout d’un moment on tourne en vase clos. Pour les infirmières, après ici il est difficile d’y retourner. Ici, elles sont autonomes, il y a moins de hiérarchie, elles gèrent et organisent leur travail. » Les infirmières en recherche clinique tendraient finalement à se démarquer du travail infirmier classique : par leur rôle et la manière dont elles sont incluses dans l’organisation de la structure et par la qualité des tâches. Comme l’explique Anne, l’une d’entre elles : « On est toujours infirmières mais la moitié de notre temps est consacré à la recherche. On coordonne et on organise la prise en charge globale du patient et puis on réalise les soins associés. On est le maillon. On prend en charge le patient de bout en bout. On est le centre. Quand j’ai un protocole tout passe par moi. Je décide et organise tout. Les patients tu les connais de A à Z. » Elle poursuit : « Dans les autres

services, la charge de travail est plus lourde, les soins sont à la chaîne, on ne peut pas connaître le patient. Ici, on est en contact avec lui, avec les médecins et les promoteurs. » Agnès confirme avec son expérience : « Au début, j’étais un peu perdue. Dans un service traditionnel tout est réglé. Ici ça semble flou. » Au CIC, en confiant les protocoles aux ARC, on les responsabilise et les autonomise. La hiérarchie avec les médecins respecte une forme plus égalitaire, l’infirmière de recherche devant avant tout suivre des procédures et respecter des contraintes de pratiques de la recherche indépendantes du corps médical. Chacune rend des comptes au médecin coordonnateur du protocole et à la cadre infirmier qui sert d’intermédiaire avec les médecins sur un plan organisationnel. Ce groupe d’infirmières devient alors une entité fonctionnant en parallèle, et non un groupe d’exécutantes, sur lequel repose le fonctionnement du service avec une compétence valorisée contrairement au travail infirmier de salle qui peut être dévalorisé. Anne Véga répertorie les différentes représentations professionnelles et modèles d’identification sur le travail infirmier comme allant du plus technique (proche des savoirs médicaux) au corps à corps (proche du nursing) en passant par le relationnel (proche du malade). Chaque rôle possédant ses enjeux de professionnalisation (des médecins aux aides-soignantes) et de revendication. Les variations apparaissant selon les individus, les spécialisations et les services hospitaliers (Véga, 1997 et 2000). Au CIC, comme nous l’avons vu, le travail de soin est minime : le corps à corps avec le malade n’existe pas (certaines en ressentent un manque), il est remplacé par une prise en charge « globale », plus relationnelle, voire technique et administrative. Les infirmières sont un repère pour le malade lorsqu’il est hospitalisé. Le lien avec le patient reste donc central et essentiel mais s’inscrit dans une relation d’assistance ainsi que d’information et de suivi. De ce fait, elles servent d’intermédiaire entre le malade et les médecins. Il n’y a ni interne, ni chef de clinique dans un CIC. Le premier intermédiaire ce sont elles. Elles sont les interprètes, les premiers contacts avec le malade et avec les médecins, conservant une place d’observateur privilégié des patients inclus. Hors du corps à corps mais au plus près dans le relationnel.

Les infirmières en recherche clinique seraient donc l’un des nerfs de la guerre ? C’est ce qu’expliquait Pierre Corvol infra (note 87, page 79-80) en racontant qu’à la création des CIC certains médecins-chercheurs auraient préféré qu’on mette des infirmières de recherche directement à la disposition de leur service hospitalier. Ainsi, ils auraient pu eux-mêmes organiser la recherche en ayant un personnel compétent pour gérer la lourdeur des tâches administratives et techniques et maîtrisant les conditions particulières de la recherche que les infirmières de salle ne peuvent souvent pas assumer correctement en plus de leur activité de soin. Comme les CIC, elles sont ce qui est partagé et commun : ce sont des éléments

bipolarisés, qui maintiennent les conditions de la recherche et sont un relais entre médecins- chercheurs et malades, entre industrie-promoteur et pratique. C’est donc cette équipe qui est censée assurer la liaison entre chercheurs-cliniciens et malades. La nécessité de créer une catégorie professionnelle spécialisée dans la recherche répond aux mêmes besoins que celle d’un lieu de pratique hybride comme le CIC pour faire collaborer chercheurs fondamentaux et cliniciens. La méthodologie de la recherche, la prise en charge particulière, la spécificité des actes, l’accroissement et la spécificité des interlocuteurs, les contraintes légales, entraînent la nécessité d’une professionnalisation. Comme il faut des lieux particuliers pour un travail et des malades particuliers, il faut un corps de soignants formé. Pour « le professeur » : « On doit faire passer les infirmières dans le domaine de la science. » L’une de leur mission première est d’assurer un travail de coordination et de translation. Par leur travail de prise en charge, d’administration, d’archivage et de stockage, elles calibrent les données et les font entrer dans le domaine de la recherche. Elles maintiennent les conditions de recherche palliant la difficile structuration des pratiques.