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I. Un « continuum » entre recherche et clinique en neurosciences : « le Professeur » et son

2. Le CIC : la matérialisation institutionnelle d’une double ambition scientifique

Car la recherche clinique ne peut se pratiquer n’importe où. Les conditions sont trop particulières et de plus « cliniciens et chercheurs ne se comprennent pas. Il faut des cliniciens-chercheurs et des chercheurs-cliniciens qui fassent le lien entre les deux. Ils n’ont pas le même langage et les mêmes méthodes de travail » Et ceci, un service hospitalier ne pouvait pas l’offrir. Il poursuit : « Quand avec Lhermitte [le chef du service de neurologie de l’époque] j’avais demandé à avoir deux lits d’unité métabolique on m’avait répondu que je disposais de tous les lits du service. Mais cela montrait l’incompréhension des conditions de la recherche. » Alors, lorsqu’il devient chef de service en 1993, il associe son service de neurologie avec celui du Pr. Olivier Lyon-Caen pour former la Fédération de neurologie65

Il trouve alors dans le modèle des CIC une structure suffisamment modulable pour lui insuffler la politique scientifique qu’il souhaite et en faire le prolongement clinique de l’unité de recherche INSERM qu’il dirige. Le CIC apparaissait comme la matérialisation institutionnelle de ses ambitions scientifiques. Comme nous allons le voir, une structure comme le CIC offrait la possibilité d’aménager les conditions de rencontre entre ces mondes de recherche et de clinique, de neurologie et de psychiatrie, d’associer chercheurs et médecins dans des recherches afin de créer ce « continuum », entre les différentes disciplines des neurosciences, le tout autour de la prise en charge de malades, de l’enseignement et de la . Puis, en 1995, tous les deux octroient une aile du bâtiment de la « Clinique des maladies du système nerveux » à l’implantation d’un CIC et mettent à sa disposition du personnel soignant. Pour « le Professeur » le CIC qu’il a fondé et dirige est « l’enfant de la Fédération ». Mais le CIC est surtout la structure qu’il recherchait. « C’était exactement ce que moi je voulais faire depuis 30 ans, explique-t-il. Je voulais faire ce que je voulais : créer une structure mixte avec de la recherche et de la clinique et travailler. »

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formation. Elle devait devenir un point d’ancrage institutionnel au développement d’une pratique neuroscientifique partagée entre plusieurs paradigmes de pratiques : de clinique et de recherche, thérapeutique et fondamentale, entre neurologie, neurochirurgie, neuroanatomie, neurophysiologie, neuropsychologie, psychologie et psychiatrie… Lorsque le psychiatre du CIC répond à la question problématique des rapports entre la neurologie et la psychiatrie dans leurs recherches, il déclare : « On est labellisé [‘‘Le Professeur’’] et non psychiatrie ou neurologie ». Par la suite, nous verrons qu’un neurologue décrit sa conception des rapports entre recherche et clinique par un adjectif dérivé du nom du « Professeur ». Elle serait « professeurienne ». La finalité était alors de développer une politique de pluridisciplinarité de recherche en neurosciences, un carrefour dans un vaste réseau de pratiques en s’appuyant sur les structures que l’INSERM mettait à sa disposition. De se donner les moyens organisationnels

de ses ambitions. Mais, outre son travail de chercheur et ses qualités de cliniciens mondialement reconnus, qu’est ce qui fait que l’on parle de lui ainsi ? « Le Professeur » est devenu l’incarnation d’un modèle en recherche médicale.

3. « Le Professeur » : un homme de liens et une figure traversée par les

tensions d’une histoire.

Lorsque cliniciens ou chercheurs dans ou en-dehors de son réseau l’évoquent, ils parlent d’un homme qui « attire les gens », parce qu’il est « charismatique » mais surtout parce qu’il les « intéresse », au sens qu’ils trouvent leur intérêt dans ce qu’il tient. Là où, pour certains, il est « politicien », « grand ponte », « mandarin » ou « homme de coup », nous le décrirons comme un homme de liens, de réseaux. Il ne tire pas seulement les ficelles, il fait surtout les nœuds entre les ficelles. Quand on devra passer d’un domaine à un autre, pour débloquer une situation, contourner l’administration, obtenir des moyens ou des fonds et qu’on demandera conseil aux membres du CIC, chacun décrira la procédure à suivre. Il conclura pourtant inévitablement par « sinon demande au ‘‘Professeur’’ », ou conseillera de « passer par lui » sur un ton de conspiration que l’on s’appropriera bien vite. Il est de ceux dont on écrit le nom dans les mails pour simplifier les contacts. Lorsqu’on convoque ou invoque « le Professeur », on convoque aussi ses liens et son réseau. « Le Professeur » cumule les rôles. Il est stratège, chercheur et médecin. C’est un modèle qui incorpore et condense les tensions et leur histoire. Il les lie dans sa personne. Il monte les réseaux et crée les structures pour entériner ces liens. Il unit les intérêts et établit les stratégies pour lesquelles elles ont été mises en place.

Pendant les entretiens, « le Professeur » ne parle pas de lui. Il n’y a jamais rien de personnel dans ce qu’il dit. Les premières minutes du premier entretien de la série établirent clairement ces bases. A la question de savoir pourquoi il avait choisit la neurologie, il répondra que c’était « un choix personnel lorsque j’étais interne, mais je ne veux pas en parler car je ne veux pas me valoriser ». Il préfère parler de son « goût pour la recherche et la créativité » en se décrivant comme « un homme de gauche toujours à côté des systèmes, en révolution. Jamais en accord avec les structures. » Car il semble entretenir un rapport particulier aux « structures », aux « systèmes », aux « organisations » ou aux « institutions ». Cela reviendra régulièrement. Il travaille et lutte avec ou contre eux. Il les « monte », les « crée », les « pénètre » et les « modifie ». Car se sont eux qui semblent offrir le cadre d’expression et de développement des pratiques. La recherche et la clinique passent par ces organisations, ces structures et les individus qui les initient. Si elles ne correspondent pas à la conception de la pratique, on les transforme ou on en crée d’autres, parfois « envers et contre tous » ou en se faisant « tirer dans les pattes »66

En suivant le parcours de ce neurologue clinicien et chercheur en biochimie de formation sur ces trente années, on retrouve les tensions et problématiques qui ont accompagnées plusieurs générations de chercheurs et de médecins entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et les années 70 en France, et ont amené à une conception particulière des rapports entre la recherche et la clinique. Des générations inspirées d’un modèle américain, qui ont voulu repenser la séparation stricte, institutionnelle et méthodologique entre la biologie et la médecine, revoir les structures et les systèmes qui scléroseraient les initiatives, réformer les rapports entre les administrations et les institutions trop lourdes, contourner la prédominance des grandes figures tutélaires tout en conservant le lieu de l’hôpital comme base d’interaction entre le laboratoire, le soin et l’enseignement. On dresse ainsi le portrait d’un homme qui en utilisant les structures à sa disposition combine et allie des entités, qui absorbe, cumule et agence, qui crée et transforme pour finalement composer un réseau étendu qui offre le cadre des possibilités dans lequel s’est construit une pratique médicale, scientifique et neuroscientifique qui se définit comme innovante et qui a su mobiliser les

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J’ai appris qu’entre les entretiens et ses différentes interviews, « le Professeur » expose sensiblement les mêmes idées et conceptions de sa pratique. Lorsqu’il raconte les sauts sont parfois grands, ils paraissent évidents mais sont parfois réécrits. Tout est cohérent alors il faut recouper les informations. Peut importe le degré de véracité ou la structure d’enchaînement des événements, c’est ce qu’il en dit qui nous intéresse et ce que lui- même représente. Sur ce dernier point, voir le travail de Sophie Houdart et en particulier le portrait qu’elle trace du directeur d’un laboratoire de génétique japonais dont la figure « contient » son terrain mais aussi dans laquelle se résume son sujet de recherche (les rapports de la culture japonaise à la science) (2007, notamment 49- 52).

outils pour la développer. C’est ce que nous allons à présent voir avec le CIC et le développement de la DBS. Pourquoi et comment ce modèle de pratiques élaborées au CIC et voulu par « le Professeur » (et une figure comme « le Professeur » elle-même) a-t-il émergé ?

II. Les CIC, une structure hybride à l’intersection de différents