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Chapitre 2. Histoire du hasard raisonné : la découverte et l’expansion de la DBS.

III. Au cas par cas : histoire de l’application de la DBS au CIC, du neurologique au

2. Un objet frontière qui unit les intérêts

Stéphane, un neurologue membre du CIC à l’époque du cas de « dépression » expérimental explique : « Ça a été un tournant dans notre esprit : on pouvait aussi faire bouger du psychique et des émotions, pas seulement du moteur ». Par la DBS, les neurologues pouvaient donc modifier les états comportementaux ou psychiques des malades implantés, ce qui laissait entrevoir des potentialités de recherches et de thérapeutiques nouvelles. On pouvait étendre la technique au domaine psychiatrique.

En 1999, parallèlement aux travaux d’une équipe néerlandaise, le CIC décidait d’opérer un cas de syndrome de Gilles de la Tourette (SGT par la suite, voir l’encadré ci-

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Des cas récents d’amélioration de la mémoire, de souvenirs qui refont surface ou d’amélioration clinique après un traumatisme, entretiennent les extrapolations sur des applications thérapeutiques pour l’obésité ou la maladie d’Alzheimer. Hamani, C. et al. (2008) “Memory Enhancement Induced by Hypothalamic/Fornix Deep Brain Stimulation”, Annals of Neurology, 63 (1), 119-123. Schiff, N. D. et al. (2007) “Behavioural improvements with thalamic stimulation after severe traumatic brain injury”, Nature, 448, 600-604. Nau, J.-Y. (2008) « Des souvenirs oubliés peuvent renaître sous l'effet de stimulations électriques du cerveau », Le Monde, 31 janvier.

dessous)185. Classé comme maladie rare, c’est un syndrome historiquement partagé entre neurologie et psychiatrie associant de manière variable des tics moteurs et phoniques (donc relevant de la neurologie), avec des troubles psychiatriques et comportementaux. Stéphane explique : « Il était normal d’arriver au SGT comme modèle expérimental pour moduler les émotions ». La malade, Madame R., souffrait d’une forme de SGT très grave (voir son portrait en annexe : des tics moteurs depuis l’âge de 7 ans, associés à des coprolalies et copropraxies, des formes d’impulsivité, des automutilations sévères, un trouble borderline et une dépression). Elle est implantée en 2001 et les effets sont spectaculaires186. Stéphane poursuit : « C’était une patiente difficile » mais « c’est elle qui nous permet de faire tout le reste. »

Qu’est-ce que le Syndrome de Gilles de la Tourette ?

Le SGT, décrit en 1885 par Georges Gilles de la Tourette, neurologue français, est classé aujourd’hui dans le DSM-IV parmi la catégorie des « troubles habituellement diagnostiqués dans la première enfance, la deuxième enfance ou l’adolescence » de l’axe I187

Le SGT est catégorisé comme maladie rare. Sa prévalence est difficile à évaluer en raison de l’absence de dépistage scolaire (elle oscille entre 0,1 et 1% de la population générale)

. Pour cette classification, il associe des tics moteurs à des tics vocaux dont le registre et leur gravité varient dans le temps (certaines personnes vivent des périodes de rémissions de quelques semaines ou plusieurs années, les tics augmentent avec le stress ou la fatigue et peuvent être transitoirement supprimés par la volonté sur de très courtes périodes). Ils débuteraient donc dans l’enfance (avant 18 ans) et ne doivent pas être la conséquence d’effets physiologiques directs d’une « substance » ou d’une « affection médicale générale » (comme la maladie de Huntington, par exemple).

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Le premier projet est écrit en 1997. Le neurologue n’ayant pas réussi à le mettre en place, il est repris par Stéphane et réécrit en 1998-99. A l’époque il n’y avait pas encore d’article paru sur cette application, seulement des communications dont les membres de l’équipe avaient eu connaissance. La première équipe à faire paraître ses recherches sur le SGT et la DBS, avant le CIC, fut celle de Visser Vandewalle, en 1999 : Visser-Vandewalle, V. et al. (1999) “Stereotactic treatment of Gilles de la Tourette syndrome by high frequency stimulation of thalamus”, Lancet, 27, 353(9154), 724. Puis: Visser-Vandewalle, V. et al. (2003) “Chronic bilateral thalamic stimulation: a new therapeutic approach in intractable Tourette Syndrome”, Journal of Neurosurgery, 99(6), 1094-1100.

. En

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Stimulation du pallidum interne et du thalamus. Amélioration des tics de 70% sur la Yale Global TIC Severity Scale (YGTSS), disparition des automutilations, amélioration des symptômes anxieux et dépressifs, diminution de l’impulsivité. Depuis, deux autres malades ont été opérés et un protocole national est en cours. Pour les deux autres malades, amélioration des tics de 74 et 96%.

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American Psychiatric Association (1996, éd. originale 1994) Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, quatrième édition, Paris, Masson : 130.

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Pour un point de vue très complet sur l’épidémiologie du SGT : Robertson, M. M. (2008) “The prevalence and epidemiology of Gilles de la Tourette syndrome. Part 1: the epidemiological and prevalence studies”, Journal of Psychosomatic Research, 65(5), 461-472; Robertson, M. M. (2008) “The prevalence and epidemiology of Gilles de la Tourette syndrome. Part 2: tentative explanations for differing prevalence figures in GTS, including the possible effects of psychopathology, aetiology, cultural differences, and differing phenotypes”, Journal of Psychosomatic Research, 65(5), 473-486.

France, on estime le nombre de patients touchés à 6000 environ. Seulement, de nombreuses personnes atteintes de cette maladie resteraient invisibles car ayant réussis à s’adapter à leur trouble. Le traitement médicamenteux par neuroleptiques peut apporter une amélioration des tics mais est source d’effets secondaires sévères à long terme (en particulier des dyskinésies tardives). Le cannabis aurait des effets transitoires bénéfiques189

Le trouble peut entraîner une grande souffrance et fait l’objet d’une stigmatisation avec des répercussions sur l’adaptation sociale et la vie des malades.

.

La présence du SGT dans le DSM, un manuel diagnostic de troubles psychiatriques, peut prêter à confusion. Ce n’est pas un trouble psychiatrique et aucun symptôme psychiatrique ou comportemental n’est référencé dans ses critères diagnostiques. La problématique entourant sa classification provient de la forte comorbidité des tics avec des troubles psychiatriques ou du comportement (automutilations, troubles de l’humeur, troubles anxieux, troubles de la personnalité, syndrome d’hyperactivité et trouble attentionnel, par exemple). Le trouble s’est historiquement constitué à la frontière de la neurologie et de la psychiatrie pour devenir un modèle de trouble neuropsychiatrique. Si les tics moteurs relèvent de la neurologie, la comorbidité psychiatrique relève de la psychiatrie. Cependant, l’ambiguïté dans la valeur accordée aux coprolalies et copropraxies qui se rapprochent de troubles du comportement (ce sont des tics mais qui sont adaptés au contexte de production190) vient complexifier le tableau. Les théories actuelles tendraient à les définir comme des désinhibitions motrices se basant sur des répertoires comportementaux particuliers, mais asémantiques. Dans les revues de littérature sur les applications de la DBS, le trouble est par ailleurs alternativement catégorisé dans les troubles psychiatriques ou neurologiques191

La fréquence de sa comorbidité avec le TOC ainsi que la proximité et la similarité clinique des compulsions et des tics dans leurs modes d’expressions, a eu tendance à amener une confusion des deux troubles dans les représentations populaires

.

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Pour une revue des traitements : Diallo, R. et al. (2007) « Prise en charge thérapeutique des tics dans la maladie de Gilles de la Tourette », Revue Neurologique, 163(3), 375-386.

. TOC et SGT apparaissent tous les deux comme deux formes de « folies » conscientes qui se distinguent par des comportements étranges et souvent objets de moqueries. Depuis une dizaine d’années, ils font

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Les insultes sont accordées en genre et nombre selon les individus qui font face au malade, ou bien il peut même changer de répertoire selon le contexte (par exemple, Laurent, neurologue dont le nom est à consonance allemande, se fera traité de « sale Allemand » par un patient).

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Pour une histoire de la situation singulière de ce trouble et de ces malades, voir H. Kushner, 1999. Notamment sur la distinction entre maladie et syndrome. Voir également : Castel, 2008a.

Voir aussi les deux portraits réalisés par le neurologue américain Oliver Sacks : celui d’un chirurgien qui aborde l’idée d’une identité de tourettien et montre comment ces malades peuvent retenir leurs tics (« Une vie de chirurgien ») ; et celui d’un batteur qui montre comment s’adapter au trouble (« Ray, le tiqueur blagueur ») : Sacks, O. (1999, éd. originale 1988) L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, Paris, Le Seuil. Sacks, O. (1996, éd. originale 1995) Un anthropologue sur Mars, Paris, Le Seuil.

Je renvoie également aux portraits de malades dans : Seligman, A. W. et Hilkevich, J. S. (1992) Don't Think About Monkeys: Extraordinary Stories by People With Tourette Syndrome, Duarte, Hope Press ; ainsi qu’au roman de Jonathan Lethem, dont le héros souffre du syndrome, 2003 (éd. originale 2000) Les orphelins de Brooklyn, Paris, Editions de l’Olivier.

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Soutenu par leur étroite imbrication clinique. Nous allons voir cela dans le chapitre 4. Il est à noter, par ailleurs, que les associations de patients souffrants de TOC ou de SGT en France, ne faisaient qu’une seule à leur création en 1992 (c’était l’AFTOC-Tourette, devenues AFTOC et AFSGT en 1997, voir le chapitre 6).

le succès de reportages et d’émissions de télévision, de pièces de théâtre dans lesquels tics et TOC sont mêlés193.

Pour cette équipe, ce cas de SGT composé de troubles moteurs et comportementaux constitue un « modèle à l’interface de la psychiatrie et de la neurologie » (Stéphane). Le SGT étant effectivement situé à la frontière de la neurologie et de la psychiatrie, il offre non seulement un modèle théorique d’application de la neurostimulation dans une perspective d’extension, mais également de coopération entre psychiatrie et neurologie, la malade nécessitant d’être prise en charge par les deux champs. L’équipe pouvait démontrer expérimentalement l’efficacité de la DBS dans la diminution de symptômes comportementaux et émotionnels et ouvrir un nouveau champ de pratiques.

En 2000, ce sont donc les deux malades parkinsoniens avec leurs TOC qui sont implantés. On est à présent dans le trouble psychiatrique « pur » et, en 2002, se met en place le protocole STOC (pour « Stimulation du TOC ») suivi, en 2004, du protocole STIC (pour « Stimulation des Tics » – stimulation du syndrome de Gilles de la Tourette –, étendu aujourd’hui à un protocole national) sur le même modèle. En parallèle, d’autres centres dans le monde implantent des cas de dépressions sévères et des protocoles de recherche internationaux sont maintenant lancés194

Si la DBS réunit chercheurs et cliniciens autour de ses potentialités, elle est donc également un enjeu majeur dans les rapports entre la neurologie et la psychiatrie en proposant une thérapeutique commune aux deux champs nécessitant leur collaboration. La DBS a

. Aujourd’hui, la DBS est devenue un enjeu majeur dans le traitement des troubles psychiatriques. Dans les couloirs des colloques ou dans les discussions entre chercheurs, dans les paragraphes des articles réservés aux perspectives et à l’avenir de la DBS, on parle de l’appliquer aux addictions, au jeu pathologique, à des formes d’autismes avec auto-agressivité ou à l’anorexie et la boulimie.

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L’une des tendances récente des émissions de divertissements télévisées étant de demander aux invités quels sont (car nous en aurions tous) leurs « tic » ou leurs « TOC ». Les réponses alternent entre des manies, des habitudes plus ou moins étranges, voire des superstitions (se ronger les ongles, ne pas porter telle couleur ou boire telle quantité de café quotidiennement).

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Mayberg, H. et al. (2005) “Deep brain stimulation for Treatment-Resistant Depression”, Neuron, 45, 651-660. Malone, D. A. Jr. et al. (2009) “Deep Brain Stimulation of the Ventral Capsule/Ventral Striatum for Treatment- Resistant Depression”, Biological Psychiatry, 65(4), 267-275.

ANS, le principal concurrent de Medtronic dans la fabrication des appareils de stimulation, souhaite financer un protocole multicentrique international pour reproduire la recherche développée par l’équipe d’Helen Mayberg sur la dépression : http://www.broadenstudy.com/sb/index.html Dernière consultation le 10 mai 2008.

apporté dans sa courte histoire (mais qui est déjà l’objet de nombreuses attentions195

Si « le Professeur » dit qu’il avait saisi dès le début l’enjeu majeur que pouvait représenter la DBS : « J’avais compris que c’était un moyen formidable de faire de la science car on manipule de manière très précise des circuits neuronaux », il n’en reste pas moins que la puissance de la technologie, son succès dans ce centre de recherche thérapeutique, sont venus de sa capacité à rassembler les intérêts autour de son application. En étant un outil se situant au carrefour de la recherche, de la clinique et des neurosciences, la DBS permettait, en pratique, dans le cadre de protocoles de recherche clinique et autour de la prise en charge de malades, d’entériner les liens entre les différents chercheurs, praticiens et domaines de pratiques mobilisés. Le CIC devait alors offrir l’unité de lieu, celle dans laquelle les différents acteurs se retrouveraient, et la DBS le lien pratique, la technologie, qui permettrait de les intéresser mutuellement.

) un profond renouvellement des problématiques en neurologie et en psychiatrie. Hadrien, le psychiatre, explique : « J’ai toujours raisonné en terme de neurosciences, j’ai toujours pris en compte le cerveau et son fonctionnement, mais ça restait flou. Là, c’est incarné avec la DBS et au travers des exemples de parkinsoniens. » Les problématiques ne doivent pas seulement être traduites entre médecins et chercheurs mais aussi entre neurologues et psychiatres qui trouvent, grâce à la DBS, des objets communs sur lesquels s’entendre et coopérer. Elle permet d’entériner leur association en pratique dans une application thérapeutique pour développer des protocoles de recherches, prendre en charge des malades, analyser des données cliniques et élaborer des hypothèses physiopathologiques. Le CIC a débuté en l’appliquant à des maladies neurodégénératives pour étendre son domaine de pratique à la neuropsychiatrie et à la psychiatrie, à l’intrication du moteur, de l’émotionnel et du cognitif, trouvant un intérêt, comme nous allons le voir au chapitre 4, à appréhender l’ensemble des troubles dans ces diverses composantes.

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Depuis 2005, les articles et numéros de revue sur l’histoire de la DBS et ses possibles applications se multiplient. Voir, pour les plus complets : Benabid, A. L. et al. (2005) “Functional neurosurgery: past, present, and future”, Clinical Neurosurgery, 52, 265-270. Danish, S. et Baltuch, G. (2007) “History of Deep Brain Stimulation”, in Baltuch, G. et Stern, M., Deep Brain Stimulation for Parkinson's Disease, New York, Informa Healthcare, 1-16. Perlmutter, J. S. et Mink, W. (2006) “Deep Brain Stimulation”, The Annual Review of Neuroscience, 29, 229-527. Schwalb, J. et Hamani, C. (2008) “The history and future of deep brain stimulation”, Neurotherapeutics, 5(1), 3-13.

D’autres articles se sont spécialisés selon les troubles (épilepsie, dystonie, SGT, TOC, douleur, etc.). Plus généralement, pour les troubles psychiatriques : Larson, P. S. (2008) “Deep brain stimulation for psychiatric disorders”, Neurotherapeutics, 5(1), 50-58; pour les troubles moteurs : Halpern, C. H. et al. (2008) “Deep brain stimulation for epilepsy”, Neurotherapeutics, 5(1), 59-67; Yu, H. et Neimat, J. S. (2008) “The treatment of movement disorders by deep brain stimulation”, Neurotherapeutics, 5(1), 26-36.

En cela, la DBS constitue un « objet frontière » (boundary object) au sens de Susan Leigh Star et James Griesener (1989). Dans la lignée du courant de la sociologie des sciences et des techniques et des travaux de Michel Callon et Bruno Latour, ainsi que de la sociologie interactionniste, ces deux auteurs ont décrit ce concept à propos d’un muséum zoologique et de ses collections élaborés par un biologiste, Joseph Grinnell. Ce chercheur a réussi à mobiliser et à faire coopérer des acteurs hétérogènes autour de la réalisation d’un même objet tout en réussissant à servir leurs intérêts respectifs. Un objet frontière est donc un objet technique, dans le cas de la DBS, qui se situe à la croisée de plusieurs mondes sociaux et/ou scientifiques, plusieurs cultures de pratiques, plusieurs sites, mais qui est suffisamment puissant, solide et adaptable pour intéresser tous les acteurs de ces mondes et maintenir les identités dans leur coopération (ibid.). C’est donc un objet au cœur de tensions mais qui traduit les intérêts de chacun pour que tous y trouvent leur compte, collaborent et s’articulent. B. Latour et M. Callon parleraient « d’alliés » qui sont « mobilisés » autour d’un processus de « traduction » par un objet « mobile » et « malléable ». Le premier intérêt d’un objet frontière est de pallier l’hétérogénéité des acteurs, des points de vue, des problématiques, des objectifs et finalités (Clarke et Fujimora, 1996, introduction, Löwy, 1992 et 1995).

La DBS agit ainsi en permettant de créer et d’instituer un corps expérimental qui autorise la traduction des problématiques des médecins et chercheurs mais aussi des neurologues et psychiatres, des anatomistes et neurophysiologistes, des imageurs et neurobiologistes, des neuropsychologues et neurochirurgiens. Elle ouvre de nouvelles perspectives de recherches que ce soit en recherche fondamentale sur ses effets sur le système nerveux (plasticité neuronale, neuroprotection, volume de diffusion du courant…), en recherche animale (les modèles animaux sont soumis à la stimulation cérébrale comme nous l’avons vu pour la maladie de Parkinson et comme nous le verrons pour les modèles psychiatriques), en neuropsychologie ou neuroimagerie (où on étudie les effets de la stimulation sur la cognition et les fonctions cérébrales) mais aussi, pour les cliniciens, en offrant donc des cas cliniques inattendus sur lesquels doit s’appliquer leur expertise pour, peut-être, étendre les applications thérapeutiques de la technique (il faut, en effet, une grande expertise clinique pour identifier les effets secondaires et les lier aux paramètres de stimulation). La force de la DBS provient donc de son adaptabilité à différents procédés expérimentaux et cliniques. Elle se base sur une technique et une méthodologie que beaucoup maîtrisent : la stimulation cérébrale électrique qui assure sa mobilité. Elle peut être reproduite partout, dans différentes conditions, sur différents objets, ou peut être modélisée : sur un

malade au bloc opératoire, dans une animalerie sur un singe, sur un patient implanté en consultation, ou pendant un test neuropsychologique ou un examen de neuroimagerie, sur des cellules dans un laboratoire. Les intérêts s’alignent du fait de l’adaptabilité de la technique et sa capacité à traduire les objets aux problématiques de chacun et à les standardiser. Si le travail scientifique est hétérogène et que le consensus n’est pas la règle, la DBS est un outil suffisamment solide et puissant pour apporter de la cohérence dans la pratique pour pallier l’hétérogénéité des points de vue sur les objets de soins ou de connaissance. Elle s’adapte mais maintient les identités scientifiques tout en les liant et en les valorisant. Elle répond aux attentes de tous et tout le monde s’y retrouve. Des pratiques peuvent alors se développer pour elle et indépendamment d’elle. La stimulation électrique du XIXème n’est donc pas l’ancêtre de la DBS mais c’est elle qui a posé les bases et paradigmes méthodologiques qui permettront sa découverte et son utilisation. La DBS est bien plus puissante car elle unit les intérêts de personnes qui auparavant n’en faisaient qu’une (neurochirurgien, neurophysiologiste et clinicien). Surtout, là où la stimulation électrique ouvrait une nouvelle temporalité au bloc opératoire, la DBS arrête le temps et abolit les espaces.

Conclusion du chapitre 2.

Nous pouvons maintenant répondre à l’une de nos interrogations : Pourquoi la DBS et pas autre chose ? La stimulation magnétique transcrânienne (TMS), par exemple. Descendante des électrochocs, la TMS permet une stimulation de zones du cortex par l’envoi d’impulsions électriques par des bobines placées sur le crâne du malade. Elle est donc non- invasive et sans effets secondaires et par conséquent semble plus facilement applicable éthiquement à des patients et avec des critères d’inclusion moins stricts. Le CIC aurait pu diriger ses recherches vers cette technique dont l’évaluation de l’efficacité pour le traitement du TOC et du SGT ou de la dépression est aussi en cours196. De nombreux protocoles se développent et les publications, bien que peu nombreuses, croissent depuis les années 2000197. Avec cette technique, les protocoles sont plus rapides et aisés à mettre en place puisqu’ils nécessitent moins d’intervenants et que les séances de stimulation peuvent être réalisées en quelques semaines. Mais ces caractéristiques sont également les raisons pour lesquelles la TMS intéresse peu notre équipe du CIC. D’abord, ces facilités rendent la concurrence trop grande et donc les résultats ont moins de chance d’être publiés dans les meilleures revues. Ensuite, la TMS ne permet pas, dans sa procédure, d’intéresser tous les acteurs de notre site : il n’y a pas d’investigation du cerveau (les études de TMS ne sont couplées qu’avec de l’imagerie et la technique ne peut pas stimuler de structures cérébrales profondes) et elle ne valorise donc pas le savoir-faire de l’équipe et son réseau. La seule indication pour laquelle le CIC lui prête peut être un intérêt est pour le SGT. En tant que maladie rare, il y a peu de