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IV. Organiser un réseau de biomédecine et de neurosciences pour transcender une

4. Du « laboratoire dans l’hôpital » à « l’hôpital dans le laboratoire »

Ce réseau neuroscientifique doit trouver dans le futur Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM par la suite)111 une consistance institutionnelle en palliant en partie à l’éclatement géographique de ses unités constituantes. Quand bien même aujourd’hui le CIC de la Pitié-Salpêtrière se soit classé parmi les premiers lors de la dernière évaluation quadriennale et développe une trentaine de protocoles originaux en cours112

L’objectif de l’ICM, initié par « le Professeur », avec les Professeurs Gérard Saillant et Olivier Lyon-Caen, est de « concentrer l’élite de la recherche sur le cerveau et ses pathologies » (« le Professeur ») sur la Pitié-Salpêtrière en attirant près de 600 chercheurs de ces domaines au sein d’une dizaine d’équipes. Son ouverture est prévue pour 2010. Avec un financement mixte semi-public et semi-privé

, cela reste pour « le Professeur » un relatif échec de son projet. Aujourd’hui, ce lien est « trop lâche » : « Les vrais scientifiques (PHD et non MD) ne font pas de recherche ici. L’idéal serait que les scientifiques proposent une hypothèse et que ce soit les médecins qui réalisent. » Seulement les scientifiques ne viennent pas au CIC pour proposer et initier, mais uniquement pour entourer les recherches de leurs connaissances. Avec l’ICM, ce rapport devrait alors être inversé.

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Les données générales qui suivent proviennent d’entretiens avec « le Professeur », de réunions de présentations, du site Internet de l’Institut :

, il allierait recherche fondamentale et recherche clinique visant toujours le modèle idéal des Instituts de recherche (comme eux, il aurait le statut de fondation privée reconnue d’utilité publique). L’ICM réunirait en définitive, sur un même site de 22000 m2, les différentes composantes du réseau du CIC : des laboratoires de recherche fondamentale et des plateformes techniques (plusieurs IRM de recherche, des banques de données biologiques et une animalerie). Dans cette perspective, le CIC serait alors lui-même intégré dans la structure. Il se situerait au coeur du bâtiment : « Il y aura trois parties essentielles : des laboratoires de recherche, des plateformes technologiques et un petit hôpital », soit « deux grosses structures de recherche et de

www.icm-institute.org (dernière consultation le 28 janvier 2008), ainsi que des différentes brochures produites comme « La lettre d’information de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière » (cinq numéros entre février 2006 et novembre 2007).

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Ils sont multicentriques et internationaux, avec l’INSERM, inter-CIC ou avec les membres de la Fédération. Ils sont essentiellement centrés sur les « mouvements anormaux » (Parkinson, dystonie, tics, syndrome de Gilles de la Tourette, physiologie de la marche, etc.), sur les problèmes psychologiques associés (apathie) et sur des troubles psychiatriques (hypomanie, TOC, dépression). Ces protocoles sont financés par l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, le CNRS, l’INSERM ou l’industrie.

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Le financement de l’Etat serait complété par un financement privé provenant des brevets déposés, du mécénat ou de dons.

cliniciens avec au milieu une structure dans laquelle ils se rencontrent avec des malades pour appliquer immédiatement les innovations à l’homme » explique « le Professeur ». Le CIC serait la plateforme technique de recherche clinique assurant à nouveau le lien entre chercheurs et médecins. Il s’étendrait à 6 chambres d’hospitalisation de semaine et 18 places d’hôpital de jour.

Cette intégration à l’ICM permettrait alors au CIC de retrouver sa fonction première : un espace et une structure prestataire de service à disposition des chercheurs. C’est-à-dire que des chercheurs fondamentaux, des « vrais scientifiques » comme « le Professeur » les distingue, viennent eux-mêmes proposer des protocoles de recherche clinique élaborés à partir d’observation de recherche fondamentale et trouvent dans le CIC la compétence clinique et méthodologique pour les accompagner. Ce serait « étendre le CIC et l’amener à des chercheurs vrais. Ce sera un laboratoire avec l’homme pour modèle. Il aura une évolution extérieure mais le coordonnateur sera dans l’ICM pour en faire une plateforme de recherche clinique. » Si, jusqu’à présent, le « continuum » entre la recherche fondamentale et la clinique tenait par la volonté d’une politique scientifique inscrite dans une structure et incarnée dans son fondateur, l’lCM la transformerait en logique scientifique institutionnelle en raison de la proximité spatiale des domaines. Il la matérialiserait dans ses murs. Nous n’aurions plus avec le CIC une unité géographique au centre d’un réseau qui accueille, vers laquelle les acteurs convergent, mais une unité géographique, l’ICM, qui concentre ce réseau. Avec ce renversement, ce ne serait plus le laboratoire qui serait à l’hôpital, avec un CIC intégré dans une aile d’un service hospitalier, mais l’hôpital qui viendrait intégrer le laboratoire. La finalité des équipes de recherches étiquetées « ICM » sera le développement d’applications thérapeutiques (c’est ainsi que le projet scientifique est vendu aux financeurs). Les chercheurs fondamentaux devront adapter leurs problématiques et leurs recherches à l’homme dans une perspective thérapeutique. L’ICM n’est pas un IFR plus développé qui intégrerait les unités de recherches dans un même bâtiment mais le réseau du CIC étendu dans une perspective idéalisée, telle que le souhaitait « le Professeur » dans sa politique de fonctionnement : un continuum de recherche dirigée vers des applications cliniques et thérapeutiques. Dès lors, la peur serait que « les médecins ne viennent plus » (« le Professeur ») quand bien même l’ICM serait lui-même au centre de l’hôpital.

Les difficultés du « Professeur » à réunir médecins et chercheurs autour d’un même projet scientifique, que ce soit dans l’échec relatif du CIC ou les peurs évoquées malgré la puissance des moyens déployés, viennent recouper ce que nous avions évoqué en retraçant

rapidement le contexte d’installation de la recherche et du laboratoire à l’hôpital et la conciliation d’intérêts parfois antinomiques et épistémologiquement incompatibles dans un même projet. « Le Professeur » le dit lui-même, les chercheurs et les médecins n’ont ni le même langage ni les mêmes méthodes, et nous pourrions ajouter : pas toujours les mêmes objectifs.

Conclusion du chapitre 1.

Si, comme nous l’avons expliqué, la politique scientifique et le fonctionnement de ce CIC ont été modelés depuis 13 ans par celui qui l’a établi et ne peuvent être dissociés de son parcours individuel et de ses ambitions scientifiques propres (c’est qui ressort des témoignages de certains de ses membres lorsqu’ils évoquent l’avenir de la structure une fois que « le Professeur » partira à la retraite, non qu’elle disparaisse, mais que son fonctionnement et sa politique prennent une autre orientation), « le Professeur » n’a pour autant pas « créé » le CIC de la Pitié-Salpêtrière. Il a initié sa fondation parce qu’il correspondait, dans la politique de l’INSERM, à ce qu’il souhaitait faire depuis plusieurs

années et à l’image de ce qu’il avait récolté au cours de son parcours et de son apprentissage scientifique. Il l’a ensuite « thématisé », lui a donné l’impulsion scientifique et l’a inscrit comme zone d’échange dans un réseau de pratiques à l’intersection d’un ensemble d’acteurs, de politiques, d’histoires, de technologies, de savoirs et de chercheurs, vers lequel ils ont convergés pour participer à sa construction. Sans pour autant être une « coquille vide », dépendante d’un réseau, « le Professeur » en a fait l’outil de sa politique neuroscientifique partagée entre recherche et clinique. Entre ces deux faces d’une même pièce, le CIC devait être le corps de la pièce. Nous verrons alors, dans les prochaines pages, que la DBS comme objet frontière a permis d’entériner en pratique ce réseau et cette politique et comment suivre son application permet de le mettre en valeur.

Ce réseau dans sa forme étendue allie donc toutes les composantes de la recherche biomédicale spécialisée dans les neurosciences et de ses applications thérapeutiques, expérimentales ou non. Si cette forme de coopération entre expérimentation et thérapeutique, recherche et clinique dans des institutions n’est pas originale – on la retrouve notamment dans le domaine du cancer ou en génétique (Baszanger, 2000, Lowy, 2002) –, la particularité du CIC provient ici du fonctionnement de la structure : le CIC est un centre intellectuel et administratif dont une grande partie de la pratique médicale (chirurgie, consultations) ou de recherche est décentralisée dans d’autres lieux (services hospitaliers ou unités de recherches).