• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Histoire du hasard raisonné : la découverte et l’expansion de la DBS.

II. Un empirisme éclairé : la DBS dans une histoire pratique

3. La recherche en soutien et l’expansion empirique de la technique

Seulement, dans la maladie de Parkinson, la stimulation de cette cible n’a d’effet que sur le tremblement. Les autres symptômes, la rigidité et l’akinésie, ne répondent pas. En 1990, l’équipe américaine de Bergman et DeLong démontre alors expérimentalement sur un modèle animal, le singe MPTP151

147

Demonfaucon, C. et Hantouche, E. (2003)« Entretien avec le Professeur A.L. Bénabid »,Bulletin trimestriel de l’AFTOC, 39, 5-9 : 6.

, le rôle d’une structure cérébrale profonde, le noyau sous- thalamique (NST par la suite), dans la maladie de Parkinson : une lésion de ce noyau entraîne

148

« À cette période, j’ai un malade qui est revenu me voir. Je l’avais opéré d’un seul côté il y a deux ou trois ans, et comme l’histoire le veut habituellement pour le Parkinson, il s’est mis de nouveau à trembler et m’a signalé qu’il venait pour le deuxième côté » Demonfaucon, C. et Hantouche, E. (2003) « Entretien avec le Professeur A.L. Bénabid », Bulletin trimestriel de l’AFTOC, 39, 5-9 : 6. Une lésion bilatérale entraînait trop de complications (déficit moteur, altérations cognitives, dysarthrie…). La thalamotomie ne se pratiquait donc que du côté le plus touché par le tremblement.

149

Benabid, A. L. et al. (1987) “Combined (thalamotomy and stimulation) stereotactic surgery of the VIM thalamic nucleus for bilateral Parkinson’s disease”, Applied Neurophysiology, 50, 344-346.

150

Benabid, A. L. et al. (1991) “Long-term suppression of tremor by chronic stimulation of the ventral intermediate thalamic nucleus”, Lancet, 337, 403-406. Puis une série de 117 patients : Benabid, A. L. et al. (1996) “Chronic electrical stimulation of the ventralis intermedius nucleus of the thalamus as a treatment of movement disorders”, Journal of Neurosurgery, 84, 203-214.

151

Le MPTP est une neurotoxine (1-methyl-4-phenyl-1,2,3,6-tetrahydropyridine) qui provoque les symptômes de la maladie de Parkinson en détruisant les neurones dopaminergiques de la substance noire. Elle est injectée au singe pour constituer le modèle primate de la maladie.

l’amélioration de tous les symptômes parkinsoniens chez ces singes152. En 1993, une équipe bordelaise confirme les attentes que l’on pouvait placer dans cette découverte en démontrant l’efficacité de la stimulation électrique sur deux de ces mêmes modèles animaux, ouvrant la voie à une application thérapeutique sur l’homme en la légitimant scientifiquement153

Un premier cas de stimulation du NST (mais avec des résultats à très court terme) est publié la même année par l’équipe de Bénabid

. C’est le tournant de l’application de la DBS à la maladie de Parkinson.

154

. Trois cas sont ensuite publiés dans The Lancet en 1995 qui démontrent, faute de résultats probants, « le rôle joué par le noyau sous- thalamique dans la physiopathologie de la maladie de Parkinson » chez l’homme155. Les effets thérapeutiques seront prouvés en 1998, « à la surprise générale » selon un neurologue du CIC, avec la publication par l’équipe grenobloise des résultats d’un protocole expérimental sur une série de 24 patients (dont 20 avec un suivi de 12 mois)156. D’autres équipes publiant dans les années suivantes des résultats probants157

Au fur et à mesure des protocoles et de leur développement, les indications de la DBS pour la maladie de Parkinson se sont affinées et les cibles ont varié selon les formes étiologiques de la maladie. Bien que ses modalités d’actions soient encore peu connues, la thalamotomie est alors abandonnée au profit de la DBS. A partir du premier cas stimulé de 1987, l’équipe grenobloise ne pratiquera plus de lésions pour cette indication. A un effet thérapeutique égal ou meilleur par rapport à la chirurgie lésionnelle, les avantages de la DBS , dès 2000, les protocoles de recherches et le nombre de parkinsoniens implantés allaient se multiplier dans le monde.

152

Bergman, H. et al. (1990) “Reversal of experimental parkinsonism by lesions of the subthalamic nucleus”, Science, 249, 1436 –1438. Ils démontrent l’hyperactivité du NST, sachant que les GB dysfonctionnent en raison de la perte de neurones dopaminergiques dans la substance noire.

153

Benazzouz, A. et al. (1993) “Reversal of rigidity and improvement in motor performance by subthalamic high-frequency stimulation in MPTP-treated monkeys”, European Journal of Neuroscience, 5, 382-389.

154

Pollak, P. et al. (1993) “Effets de la stimulation du noyau sous-thalamique dans la maladie de Parkinson », Revue Neurologique, 149(3), 175-176.

Le cas est repris dans Benabid, A. L. et al. (1994) “Acute and long-term effects of subthalamic nucleus stimulation in Parkinson's disease”, Stereotactic and Functional Neurosurgery, 62(1-4), 76-84.; puis avec un suivi de 15 mois dans Limousin, P. et al. (1995) “Bilateral subthalamic nucleus stimulation for severe Parkinson's disease”, Movement Disorders, 10(5), 672-674.

155

Limousin, P. et al. (1995) “Effect on parkinsonian signs and symptoms of bilateral subthalamic nucleus stimulation”, Lancet, 345, 91-95.

156

Limousin, P. et al. (1998) “Electrical stimulation of the subthalamic nucleus in advanced Parkinson's disease”, The New England Journal of Medicine, 339(16), 1105-1111.

157

Kumar, R. et al. (1998) “Double-blind evaluation of subthalamic nucleus deep brain stimulation in advanced Parkinson’s disease”, Neurology, 51, 850-855. Burchiel, K. J. et al. (1999) “Comparison of pallidal and subthalamic nucleus deep brain stimulation for advanced Parkinson’s disease: results of a randomized, blinded pilot study”, Neurosurgery, 45, 1375-1382.

sont immédiatement relevés (certains l’avaient été dès les premières stimulations en conditions opératoires158). La DBS offrirait en effet l’avantage majeur de réduire la morbidité et les effets indésirables comparée à une chirurgie lésionnelle159. Il n’y aurait pas de destruction de matière cérébrale pendant l’implantation et ses effets seraient donc réversibles, contrairement à la lésion : si on arrête la stimulation, le malade retrouverait son état pathologique initial (il existe, dans certains cas, un effet lésionnel : après l’opération, ils observent une amélioration symptomatologique due à la lésion provoquée par l’implantation, mais cet effet disparaît en quelques jours)160. De plus la DBS est ajustable : le neurologue peut faire varier les paramètres de stimulation en fonction des effets secondaires, fluctuations motrices et dyskinésies*. Enfin, dans la maladie de Parkinson, la DBS améliore considérablement la symptomatologie et permet une réduction significative de la prise de médicaments161

En 1997, la Food and Drug Administration approuve, pour une implantation unilatérale, l’utilisation du système de stimulation cérébrale Activa Tremor Control Therapy de la société Medtronic dans le tremblement essentiel et le tremblement dans la maladie de Parkinson. En 2002, celle d’une implantation bilatérale dans la maladie de Parkinson. En 2003, celle de l’implantation pour la dystonie. En France, c’est un arrêté de 2005 autorisant le remboursement du matériel par la sécurité sociale qui a régulé son utilisation

.

162

158

Andy, O. J. (1983) “Thalamic stimulation for control of movement disorders”, Applied Neurophysiology, 46(1-4), 107-111.

. La régulation s’est faite sur la procédure chirurgicale et le matériel ainsi que sur les critères d’inclusion des malades. La neurologie, « parent pauvre » de la médecine, qui traînait l’image d’une

159

La chirurgie lésionnelle augmente les risques de 3 à 15% par rapport à la DBS. Les principaux effets secondaires sont les syndromes pseudo-bulbaires, les troubles cognitifs, les hémiparésies, etc…

Pour la pallidotomie dans la maladie de Parkinson : Kumar, R. et al. (1998) “Pallidotomy and deep brain stimulation of the pallidum and subthalamic nucleus in advanced Parkinson’s disease”, Movement Disorders, 13 (Suppl. 1), 73-82 ; et pour la thalamotomie dans le tremblement : Schwalb, J. et Lozano, A. (2004) “Surgical management of tremor”, Neurosurgery Quaterly, 14, 60-68.

160

Si le patient le désire, il est même possible d’ôter les électrodes. Cependant, les neurochirurgiens préfèrent les laisser s’il n’y a pas d’infection afin d’éviter le risque inhérent à un geste chirurgical supplémentaire.

161

Amélioration des troubles moteurs de 33 à 67% (l’amélioration de l’akinésie est supérieure à 55%, à 50% pour la rigidité, d’environ 80% pour le tremblement et de 49% pour la marche), des fluctuations motrices de 73 à 83%, des dyskinésies dopa-induites de 55 à 88%. Diminution de la médication de 40 à 80%. Les résultats se maintiennent sur 5 ans. Seule la DBS du NST (par rapport à d’autres cibles) permet de réduire la médication avec des effets secondaires moindres et une intensité de stimulation plus faible. La stimulation étant continue, contrairement aux médicaments, il n’y a pas de fluctuations des effets sur la journée.

162

« Arrêté du 23 décembre 2005 relatif à l’inscription du système ACTIVA de la société MEDTRONIC France au chapitre 4 du titre III de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l’article L. 165-1 du code de la sécurité sociale », Journal Officiel de la République Française, 10 janvier 2006.

médecine palliative, incapable de soigner, se contentant d’accompagner la détérioration des malades, trouve une efficacité thérapeutique163

Pour Bénabid, c’est l’observation de la fréquence nécessaire afin d’obtenir un effet thérapeutique qui est la clé de l’innovation. Si Bénabid n’a pas « inventé » la DBS (il n’a pas inventé l’utilisation thérapeutique de la stimulation cérébrale électrique, ni le procédé technique), c’est lui qui, le premier, a étendu son application au tremblement essentiel et à la maladie de Parkinson en corrélant des observations cliniques, un savoir de neurologie fonctionnelle et un procédé technique. Il a découvert (en reproduisant et ne faisant qu’observer) l’effet inhibiteur de la stimulation à haute fréquence. Les équipes précédentes n’avaient jamais fait le lien entre la haute fréquence et l’effet inhibiteur et reproduisaient donc rarement leurs observations (la fréquence des stimulations des premiers essais thérapeutiques dans les autres équipes variait entre 50 et 150 Hz, alors que l’effet thérapeutique optimal est atteint à 200Hz selon Bénabid

. La DBS apparaît au moment de l’explosion des neurosciences et du renouveau de la recherche sur le cerveau, profitant de la croissance exponentielle des innovations technologiques et des recherches.

164

). Ce sont donc ses observations empiriques au bloc opératoire répétées et systématisées, associées à leur interrogation qui ont conduit à l’invention165

La découverte et les premières utilisations de la DBS la situent donc immédiatement dans un cadre empirique. Un empirisme autorisé par la particularité du procédé expérimental de l’utilisation de la stimulation électrique que nous avons décrit précédemment. La DBS n’est pas l’aboutissement de cette histoire mais elle est issue des conditions ouvertes par les paradigmes méthodologiques de l’utilisation de la stimulation électrique comme mode

. C’est enfin lui et son équipe, dont le neurologue Pierre Pollak, qui ont développé la technique et publié les résultats des premières expérimentations thérapeutiques sur l’homme. C’est l’effet d’une stimulation électrique profonde, chronique à haute fréquence, qui a été démontrée.

163

Sophie, la cadre infirmier du CIC, raconte que son expérience d’infirmière en neurologie ne lui avait pas plu : « J’en ai conservé l’image de la neurologie dramatique (des grabataires, des SEP [sclérose en plaque] finale, des chambres avec quatre lits, des conditions épouvantables…), une image archaïque. La neurologie c’était le parent pauvre, pas un service où on investit. »

164

Les résultats des premiers patients sont, par ailleurs, décevants puisque les premiers stimulateurs ne pouvaient atteindre que 130Hz. Benabid, A. L. et al. (1987) “Combined (thalamotomy and stimulation) stereotactic surgery of the VIM thalamic nucleus for bilateral Parkinson’s disease”, Applied Neurophysiology, 50, 344-346.

165

« Le phénomène existait, a été observé, voire rapporté mais n’a pas été reconnu en tant que tel tant que la relation avec la fréquence n’a pas été faite. C’est là que réside en fait ma véritable découverte, tout ce qui suivit ne fut qu’adaptation à des cibles connues, et perfectionnement de systèmes existants. » Bénabid, A. L. (2004) « Les vertus thérapeutiques de la stimulation électrique à haute fréquence », La lettre des neurosciences, 26, 16- 18.

d’exploration fonctionnel du cerveau humain. Ce n’est pas une science hypothético-déductive, fondamentale et rigoureuse, mais empirique, au sens « noble », comme mode de connaissance, qui ne stigmatise pas l’absence de rationalisation préalable à l’acte, mais relève un savoir et un raisonnement pratique, une qualité d’observation et d’analyse corrélée à une connaissance de fond. C’est aussi la valorisation d’une convergence d’acteurs et d’outils, de preuves, mobilisés a posteriori pour servir la cause. Les conditions de la reproductibilité de l’observation hasardeuse ne sont pas rationalisées et théorisées, c’est à la médecine expérimentale qu’il reviendra de le faire166. A. L. Bénabid utilise fréquemment le terme anglo-saxon de « serendipity », que l’on pourrait traduire par « heureux hasard », pour qualifier sa découverte. Cependant, pour Bénabid, ce terme trouve ici le sens d’un « hasard raisonné » qui renvoie à une constatation clinique que l’on tire de la pesanteur empirique pour la transformer en découverte scientifique. Comme le résume Isabelle : « Le hasard vient pour un esprit prêt. C’est quand tu connais que le hasard apparaît ».

166

Les modes d’action de la DBS sont toujours l’objet de débat : Est-ce qu’elle excite ? Est-ce qu’elle inhibe ? Qu’est-ce qu’elle excite ou inhibe ? Il semblerait que cela varie selon les cibles, les structures cérébrales implantées, voir des pathologies.

Martin, W. R. et Wieler, M. (2008) “Subthalamic nucleus stimulation in Parkinson disease. Exciting or depressing?”, Neurology, 71, 704-705.

III. Au cas par cas : histoire de l’application de la DBS au CIC, du