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Chapitre 2. Histoire du hasard raisonné : la découverte et l’expansion de la DBS.

I. Apparition et disparition de signes : une investigation et une sémiologie outillées

2. L’héritier et le précurseur : Wilder Penfield

Cette nouvelle méthodologie opératoire bouleverse alors les conditions d’observation clinique. Chaque cas de neurochirurgie ouvre maintenant potentiellement un temps

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Pour une tentative d’éclaircissement de l’expérimentation de Bartholow, voir le récent et très complet article de Harris et Almerigi (2009).

d’exploration fonctionnelle. A la suite de nombreuses avancées techniques permettant d’améliorer les conditions d’opération et la précision des gestes et des observations (amélioration des techniques d’anesthésie locale, découverte des rayons X en 1895, de la ventriculographie en 1918), la technique d’investigation neurophysiologique par stimulation électrique connaîtra son aboutissement méthodologique avec le neurochirurgien canadien Wilder Penfield (1891-1976). Penfield composera la figure emblématique du neurochirurgien- chercheur, point de jonction des évolutions de la neurophysiologie du XIXème siècle et modèle paradigmatique des pratiques futures qui s’institutionnalisera en 1934 dans le Montreal Neurological Institute. Il en sera le fondateur et premier directeur pendant 25 ans. Cet Institut, le premier dédié aux neurosciences, associera, selon son souhait, laboratoire et hôpital, recherche fondamentale, neurophysiologie, neurologie et neurochirurgie (Eccles et Feindel, 1978)129

A la suite de ses maîtres et prédécesseurs fondateurs de la neurochirurgie moderne (Victor Horsley, Harvey Cushing ou René Lériche), Penfield, avec une double formation de chercheur et de médecin, développe une approche de recherche scientifique en neurochirurgie et neurologie. Il a été formé à la recherche fondamentale à Madrid avec les élèves de Ramon y Cajal, aux techniques de localisations cérébrales fonctionnelles chez le primate du physiologiste Charles Schott Sherrington et aux techniques opératoires sous anesthésie locale chez l’humain du neurochirurgien Otfrid Foerster, associées à la stimulation électrique fonctionnelle du cortex sensori-moteur pour guider le geste. Il combine ces approches dans une chirurgie neurophysiologique, notamment pour le traitement de l’épilepsie et la recherche de ses mécanismes pathologiques (Eccles et Feindel, 1978).

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Il réalise alors systématiquement lors des interventions neurochirurgicales sur des épileptiques sous anesthésie locale une série de stimulations du cortex : lors d’une opération, une fois le cortex accessible, Penfield stimule une zone. Un neurologue qui l’assiste se tient auprès du malade anesthésié localement, donc conscient, pour observer les signes cliniques et l’interroger sur ses sensations. Souvent, le malade et le neurologue sont « en aveugle » : ils ne savent pas si le neurochirurgien stimule, ni où il stimule, afin d’être les plus objectifs possible. Penfield marque ensuite la zone stimulée avec une étiquette dont le numéro est rapporté aux observations cliniques dactylographiées par une assistante. Ce « balisage » fonctionnel est ensuite photographié. Cette approche clinique et scientifique exécutée sur des centaines de cas et nommée la Montreal-Procedure, aboutira, à partir de 1937, à de nouvelles cartographies

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des fonctions sensori-motrices du cortex130

Cette méthodologie, le modèle expérimental humain de signes cliniques et de fonctions neurologiques, transforme radicalement la temporalité des observations. Si nous avons dit que, contrairement à la lésion, la stimulation électrique permet la reproduction du modèle expérimental sur un même sujet humain ou animal, elle offre surtout – contrairement à la clinique et à la démarche anatomopathologique fondée sur des cas de troubles et déficits neurologiques – d’observer le signe, de recueillir le témoignage et d’avoir la cause physiopathologique dans un même temps maîtrisable et reproductible. Comme l’explique Denis Forest à propos des expériences de localisation des aires de langage sur le cortex par Penfield :

, ainsi qu’à un ensemble d’observations et de nombreuses découvertes sur les fonctions du langage, de la mémoire, des comportements ou des émotions. Elle marque un tournant dans la connaissance et surtout les modes de connaissance du cerveau : La connaissance expérimentale du cerveau ne se limite plus au laboratoire de physiologie.

« ‘‘En dix ou quinze minutes du temps opératoire’’, Penfield définit l’aire du langage par le rapport des stimulations locales aux réponses suspendues ou provoquées par l’opérateur. Celui-ci réunit ainsi le rôle de la cause du mal et celui de l’anatomiste localisateur ; au lieu que le trouble de la parole se situe, comme chez Broca, dans un présent situé à mi-chemin de l’événement traumatique passé et de l’inspection à venir du cerveau du mort, c’est dans le même instant que sont réunis l’essai de l’interférence et le constat de son succès. L’ingéniosité de Penfield tient à la bénignité de l’indice qui désigne désormais, par une brève interruption ou une brève vocalisation, ce que jusque- là signalaient seulement et plus vaguement l’hémorragie ou la destruction, par un dommage imprévisible, sinon irréversible. » (2005, 69).

Penfield recoupe déjà, dans un même individu et un même temps, la recherche et la clinique. Il mêle, dans un même procédé opératoire, neurologie fonctionnelle, neurophysiologie, expérimentation et thérapeutique. Il pose les fondations et surtout systématise les paradigmes méthodologiques de la neurochirurgie fonctionnelle s’inscrivant dans cette lignée de complémentarité des approches et des techniques développées depuis le XIXème siècle (pré-cliniques, cliniques, anatomopathologiques, neurophysiologiques, neurologiques, neurochirurgicales, etc.).

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Penfield, W. et Boldrey, E. (1937) “Somatic motor and sensory representation in the cerebral cortex of man as studied by electrical stimulation”, Brain, 60, 389-443. Ses observations avec Theodore Rasmussen dans The Cerebral Cortex of Man, en 1950, resteront célèbres pour leurs représentations sur l'homonculus moteur et l'homonculus sensoriel. Voir aussi la carte de l'anatomie fonctionnelle du cerveau avec Herbert Jasper : (1954) Epilepsy and the Functional Anatomy of the Human Brain. Boston, Little, Brown & Co. Ainsi que Penfield, W. et Lamar, R. (1963) Langage et mécanismes cérébraux, Paris, Presses Universitaires de France : 203-204

Dans l’après-guerre, les techniques neurochirurgicales évolueront considérablement, de nouvelles découvertes technologiques permettront de développer ces approches et de les préciser, assurant un geste plus sûr, plus profond et basé sur des connaissances plus développées (amélioration des techniques d’anesthésie, développement du cadre stéréotaxique pour l’homme qui permet une investigation des structures profondes du cerveau131, inventions de l’électroencéphalographie, de l’enregistrement neurophysiologique et enfin de la neuroimagerie dans les années 80), mais la méthodologie de base restera inchangée. C’est dans ces conditions empiriques et expérimentales d’une stimulation électrique comme technique d’investigation clinique et de recherche dans une finalité thérapeutique que naît la DBS.

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Il existait pour l’animal depuis l’appareil conçu par Horsley et Clarke en 1908 (Horsley, V. et Clarke, R. H. (1908) “The structure and functions of the cerebellum examined by a new method”, Brain, 31, 45-124). Pour l’homme: Spiegel, E. A. et al., (1947) “Stereotaxic apparatus for operations on the human brain”, Science, 106, 349-350.

II. Un empirisme éclairé : la DBS dans une histoire pratique.