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Chapitre 2. Histoire du hasard raisonné : la découverte et l’expansion de la DBS.

I. Apparition et disparition de signes : une investigation et une sémiologie outillées

1. La naissance d’une neurophysiologie expérimentale

A l’invention de la DBS, les propriétés excitables des tissus nerveux par l’électricité étaient connues depuis plus d’un siècle suite aux expériences de l’italien Luigi Galvani

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. La stimulation cérébrale électrique était utilisée dès le XIXème afin de provoquer des signes cliniques dans l’objectif d’identifier les fonctions cérébrales correspondantes et d’établir une cartographie fonctionnelle du système nerveux. En 1825, Marie-Jean-Pierre Flourens, physiologiste français (1794-1867), avait développé des travaux sur les effets de lésions chimiques ou mécaniques sur le système nerveux de lapins et de pigeons. En provoquant la disparition d’une fonction cérébrale, la lésion faisait apparaître le rôle de la structure touchée118. Si ses résultats seront par la suite critiqués, sa méthodologie fera date119. Avec ces travaux, il devient alors (avec François Magendie120

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Pour la reconstitution de cette histoire, en plus des sources de première main, je recoupe plusieurs sources secondaires, notamment : Brazier (1988), Clarke et Jacyna (1987), Cunningham (2002 et 2003), Finger (1994), Jeannerod (1983 et 1996), Missa (2004), Morgan (1982), Université d’Oxford (1993) et Walker (1957a et b).

) l’un des fondateurs de la physiologie expérimentale moderne et de la méthode expérimentale de Claude Bernard (1813-1878) : avec eux les recherches expérimentales sur les fonctions du cerveau ne relèvent plus uniquement du domaine de l’anatomiste (Cunningham, 2002). La physiologie offre une dimension dynamique à l’anatomie qui se basait sur une observation et une description fine des organes pour en déduire leur fonction. A présent, il est méthodologiquement nécessaire d’intervenir

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Luigi Galvani, physicien et médecin italien (1737-1798), fut le premier à découvrir le rôle physiologique de l’électricité grâce à ses expériences menées sur la contraction musculaire de cuisses de grenouilles. Bien que son interprétation soit erronée (il pensait que l’origine de l’électricité qui provoquait les contractions était « animale », contenue dans l’organisme, alors qu’elle provenait de son dispositif expérimental), elles amenèrent Alessandro Volta (1745-1827) à les reproduire et à inventer la pile électrique en 1800. La pile Volta et le courant galvanique seront la base de nombreux procédés expérimentaux en neurophysiologie dans les années qui suivront. Sur l’histoire de la découverte de Galvani à l’origine de la fondation de l’électrophysiologie moderne : Piccolino (2006).

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Il publie en 1824 ses Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonctions du système nerveux dans les animaux vertébrés.

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Par ses travaux sur les conséquences de lésions cérébrales (notamment sur le cervelet affectant l’équilibre et la motricité des animaux) sur le comportement, Flourens souhaitait notamment vérifier la théorie du localisationnisme cérébral qui voulait que le cerveau soit constitué de régions fonctionnelles distinctes et spécifiques. Pour Flourens, les mêmes régions contrôlent différentes fonctions et le cortex fonctionne comme un tout dont l’activité de l’ensemble des parties produit l’intelligence (Voir Jeannerod, 1983, 31-36 et 1996, 33-38). Ses travaux lui vaudront d’être désigné en 1822 par Cuvier et l'Académie des sciences pour trancher le débat portant sur la phrénologie de Franz Gall (Renneville, 2000). Sur la base des conclusions de Flourens, l'Académie jugera la phrénologie comme scientifiquement infondée.

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sur un organe qui devient objet d’expériences, de provoquer pour découvrir la fonction. On ne se contente plus d’explorer ses structures en extrapolant leurs fonctions, puis d’expérimenter pour vérifier ses conclusions121

La stimulation électrique vient avantageusement compléter la technique lésionnelle ou ablative ainsi que la méthode anatomo-clinique

: La connaissance des fonctions de l’organisme devient expérimentale. Mais les découvertes deviennent alors dépendantes du développement des techniques qui les permettent (Canguilhem, 1965).

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dans l’investigation des fonctions cérébrales. La stimulation ne possède pas l’inconvénient de l’irréversibilité de l’ablation : par sa réversibilité et sa reproductibilité sur un même sujet, elle autorise de multiplier les expérimentations et les observations et permet une meilleure description des effets en allongeant le temps d’observation et en multipliant les expériences. La stimulation électrique permet l’ouverture à une étude fonctionnelle du système nerveux. Les deux figures pionnières de la discipline sont les berlinois Gustave Fritsch (1838-1927), psychiatre, et Eduard Hitzig (1838-1907), anatomiste. Ils présentèrent, en 1870, les premiers résultats expérimentaux de stimulation du cortex, notamment sur le chien. En activant des groupes de muscles spécifiques selon l’aire du cortex stimulée avec deux électrodes de platine diffusant un faible courant galvanique, ils démontrèrent son rôle moteur123. Ensuite, ils effectuèrent des résections des zones identifiées par stimulation électrique, provoquant le déficit fonctionnel localisé. Si ces travaux ne furent pas les premiers, ils furent les plus précis et systématiques, prouvant expérimentalement l’excitabilité électrique du cortex et son rôle dans la motricité 124

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Pour Claude Bernard, il est nécessaire de suivre le développement et le déroulement physiologique de cette fonction pour comprendre son rôle dans l’organisme et trouver l’organe qui la dirige.

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Les observations anatomocliniques de Pierre Paul Broca (1824-1880) et John Hughlings Jackson (1835-1911) dans la deuxième moitié du XIXème siècle ont très largement influencé la neurophysiologie expérimentale. En 1861, Broca publie le cas de Leborgne, un patient aphasique qui n’émet que la monosyllabe « Tan » et dont l’autopsie révèle une lésion du lobe frontal inférieur gauche. Il en déduit que c’est dans cette petite aire, qui deviendra l’aire de Broca, qu’est localisée la fonction du langage (d’autres cas soutiendront par la suite ses conclusions). Ce cas marquera le début de la théorie des localisations (pour la première fois une aire cérébrale se voit attribuer le contrôle d’une fonction spécifique) et de la conceptualisation nouvelle des rapports entre structure du cerveau et fonction (ces travaux seront complétés par ceux de Carl Wernicke – 1848-1905 – sur la localisation d’une nouvelle aire du langage en 1876).

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Fritsch, G. et Hitzig, E. (1870) “Ueber die elektrische Erregbarkeit des Grosshirns”, Archiv fur Anatomie, Physiologie und wissenschaftliche Medizin, 37, 300-332. Non consulté. Ils obtiennent en stimulant des aires différentes des contractions musculaires distinctes (cou, membres…). Ils ont entre autres mis en avant la controlatéralité des mouvements observés par rapport au site de stimulation de la partie antérieure du cerveau (contractions de muscles dans la moitié du corps opposée à la région cérébrale stimulée).

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Le médecin et anatomiste italien Luigi Rolando (1773-1831) fut le premier, en 1809, à appliquer une stimulation électrique directement sur le cerveau d’animaux avec un courant galvanique. Mais le courant appliqué était trop intense pour ne pas exclure sa diffusion dans d’autres territoires cérébraux empêchant de tirer des conclusions sur le rôle fonctionnel des zones ciblées (Finger, 1994, 39).

Leur méthodologie va influencer et structurer l’ensemble des recherches en neurophysiologie qui suivront. Une nouvelle procédure expérimentale est née et la technologie de la stimulation électrique va connaître un grand succès dans le milieu médical et scientifique. En offrant des résultats permettant de nourrir la controverse de l’époque sur les théories localisationiste ou unitaire du fonctionnement cérébral, son succès est assuré et les expériences se multiplient.

Les deux Allemands influencèrent notamment le neurologue écossais David Ferrier (1843-1924). Ses travaux, débutés en 1873, sur le cortex moteur du singe (dont le cerveau est le plus proche de l’homme) reproduisent et consolident leurs découvertes. Ferrier souhaitait apporter des preuves expérimentales à la théorie du neurologue britannique John Hughlings Jackson (1835-1911) selon laquelle l’épilepsie aurait une origine corticale. En s’appuyant sur la corrélation d’observations cliniques de crises d’épilepsie et de l’anatomopathologie situant les lésions sur le cortex, celui-ci en avait déduit, dans les années 1860, l’existence du cortex moteur que les travaux de Fritsch et Hitzig ont, par la suite, expérimentalement confirmés. Avec un courant faradique produit par une bobine d’induction, Ferrier reproduit notamment par la stimulation de zones du cortex moteur des modèles animaux expérimentaux d’épilepsie en provoquant des convulsions. Il pratique, lui aussi, successivement, la technique de stimulation et d’ablation sur les mêmes régions et les mêmes sujets, provoquant un mouvement puis détruisant la fonction. Sa série d’expériences avec des stimulations plus finement contrôlées vient à nouveau confirmer la fonction motrice du cortex cérébral, ce qui allait à l’encontre des conceptions de l’époque (Jeannerod, 1983, 81-82 ; Missa, 2004)125

Roberts Bartholow, neurologue américain (1831-1904), sera le premier à expérimenter les effets de la stimulation électrique cérébrale sur un humain en 1874 (Brazier, 1988, Harris et Almerigi, 2009, Morgan, 1982, Walker, 1957b)

. Surtout, Ferrier effectue une cartographie des fonctions du cerveau humain identifiées en transposant, par analogie, ses résultats chez le singe et propose d’utiliser ses résultats pour intervenir chirurgicalement sur l’homme. En 1876, The Functions of the Brain décrit ses résultats expérimentaux et sera reçu comme l’ouvrage localisationiste de référence.

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Ferrier s’opposera sur ce sujet dans une controverse célèbre avec Léopold Golz (1834-1902), neurophysiologiste allemand, qui, sur la base d’ablations sur des cerveaux de chiens défend la non-existence du cortex moteur. Leur divergence donnera lieu à une confrontation de leurs expérimentations et de leurs conclusions en 1881, au Congrès médical international de Londres, qui verra les théories de Ferrier l’emporter (Missa, 2004). Voir Jeannerod (1983, 79-100) pour une histoire de la découverte du cortex moteur.

. La patiente, Mary Rafferty, âgée d’une

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Il semblerait que Fritsch ait expérimenté en 1864 la stimulation électrique sur des cortex humains en marge des champs de bataille lors de la guerre des Duchés qui oppose l'Empire d'Autriche et le Royaume de Prusse au

trentaine d’année (sa date de naissance n’est pas certaine), était atteinte d’un ulcère cancéreux ayant entraîné en quelques mois l’érosion de la boite crânienne et un trou de deux pouces permettant l’accès au cerveau. Inspiré par les travaux de Ferrier, Fritsch et Hitzig, Bartholow stimula électriquement avec un courant faradique le cerveau de la femme en insérant des électrodes dans la dure-mère puis le cortex. Il rapportera six observations sur plusieurs journées, obtenant des mouvements controlatéraux des membres, des phénomènes de paresthésie (sensations de picotements ou fourmillements), sans que la patiente ne ressente la moindre douleur. En augmentant la stimulation, la patiente se plaint d’un état de « dépression » (« great distress ») puis est prise de convulsions et perd connaissance. Bartholow confirme donc, en pratique, que le cerveau humain est excitable électriquement et que le cortex possède une fonction motrice (en regard des états émotionnels et comportementaux induits, on peut penser qu’il n’a pas stimulé uniquement le cortex mais également des structures plus profondes comme le noyau caudé ou le thalamus). Si ses données sont peu exploitables (absence de détails sur les zones stimulées, les paramètres, le temps de stimulation), il relève surtout l’intérêt de l’observation chez l’homme qui peut, contrairement aux modèles animaux, décrire ses sensations et offrir des connaissances cliniques supplémentaires127

L’ensemble de ces recherches marque la naissance de la neurophysiologie expérimentale et de nouveaux modes de connaissances et d’actions sur le cerveau. La stimulation cérébrale vient alors en complément de l’anatomoclinique de cas de troubles et déficits neurologiques chez l’homme et de la chirurgie ablative sur les animaux. Que ce soit sur l’humain ou l’animal, l’objectif principal était donc une investigation des fonctions cérébrales : la stimulation électrique en excitant des zones du cerveau et en modulant leur fonctionnement permettait de provoquer des signes cliniques et ainsi de cartographier les zones fonctionnelles cérébrales. La technique est extrêmement efficace mais nécessite des conditions particulières et éthiquement difficiles à réunir pour des sujets humains. Les expérimentations de Bartholow seront interrompues par le décès de Mary Rafferty, peut-être

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Danemark (Jeannerod, 1996, 34 ; Yeomans, 1990, 6). Hitzig aurait fait de même en 1870 lors de la bataille de Sedan (Finger, 1994, 40). Ces expérimentations sont soumises à cautions (On-t-ils appliqué une stimulation directement sur le cerveau ?). Les expériences de Bartholow restent les plus détaillées. Elles seront suivies sur l’homme de celles d’Ezio Sciamanna en 1882 et Alberto Alberti en 1883, chacun sur un cas semblable à ceux de Bartholow de cerveau exposé (Morgan, 1982 et Walker, 1957b). En 1802, Giovanni Aldini (1762-1834), neveu de Galvani, avait pratiqué des stimulations électriques sur des têtes décapitées. Il rapportait que la stimulation corticale produisait des contractions faciales.

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Bartholow, R. (1874) “Experimental investigations into the functions of the human brain”, The American Journal of the Medical Sciences, 134, 305-313.

accéléré par les conditions de l’expérimentation (elle fut de nouveau prise de convulsions, perdant encore connaissance et décédant le lendemain). Bartholow, qui rappelait avoir obtenu le consentement de sa malade (bien qu’intellectuellement limitée), devra ainsi subir de nombreuses critiques sur son expérience (Walker, 1957)128

Quoiqu’il en soit, la stimulation électrique cérébrale et la méthodologie de la neurophysiologie vont radicalement transformer la clinique neurologique et les conditions de pratiques neurochirurgicales. En fournissant des preuves expérimentales des localisations, elles ont permis la naissance de la neurochirurgie moderne. La neurochirurgie au tournant du XXème siècle est encore une discipline médicale où se mêlent héroïsme et empirisme. Sans possibilité de localiser la source du mal, toute opération est vouée à l’échec, le neurochirurgien devant opérer « en aveugle ». La stimulation électrique cérébrale apporte deux révolutions :

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- Vers 1885, on ouvre la boîte crânienne avec l’objectif de s’attaquer à la cause du mal en se basant sur des données cliniques et expérimentales fiables. Les premières tumeurs et épilepsies commencent à être opérées car les atlas anatomo- fonctionnels qui succéderont à celui de Ferrier permettront de localiser avant l’opération les tumeurs cérébrales ou les foyers épileptogènes en fonction des signes cliniques observés chez les malades.

- De plus, la stimulation, en provoquant les manifestations cliniques de la fonction d’une structure cérébrale, sera utilisée comme outil pratique d’exploration neurochirurgical en conditions per-opératoires. Elle va permettre à la fois de localiser les fonctions sensori-motrices sur le cortex (et donc de les préserver lors de l’intervention et prévenir ou réduire les déficits neurologiques postopératoires) mais aussi de cibler les zones cérébrales à exciser en reproduisant les symptômes et effets de la lésion (en activant, par exemple, les sites épileptogènes). Le geste devient plus sûr.