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III. Une ethnographie de l’expérimentation à hôpital : bienfaits et incompréhensions de la

1. Une blouse, un badge, une caméra et des vacations

Le terrain dans ce Centre d’investigation clinique a donc débuté en septembre 2004, quatre mois avant le début du protocole qui m’intéressait. J’avais rencontré Hadrien, le psychiatre, les mois précédents pour lui présenter mon projet, mon directeur de thèse, Alain Ehrenberg, rencontrant en parallèle le chef de ce service, celui que je nommerai « le Professeur ». L’accord définitif devait m’être donné par celui-ci début septembre lors d’un rendez-vous. Il me fit visiter le service dans la foulée en me présentant à quelques membres et nous nous mîmes d’accord pour que je commence le lendemain.

Ce CIC se veut pluridisciplinaire dans sa politique de fonctionnement en associant chercheurs et cliniciens, neurologues, psychiatres, psychologues, neuropsychologues, neurochirurgiens, neuropharmacologues, anatomistes, techniciens, aides-soignantes ou infirmières. Il avait déjà accueilli une sociologue pendant l’année précédente et l’intégration d’un ethnologue devait participer à cette politique. J’ai donc été incorporé, dans la structure et dans l’équipe, avec pour objectif de constituer un regard supplémentaire dans et sur les pratiques du service. Plusieurs éléments matériels ont marqué cette position.

La cadre infirmier m’a tout d’abord remis la classique blouse blanche ainsi qu’un badge avec mon identité et mon statut. Ces éléments marquaient le premier temps de mon incorporation : une incorporation institutionnelle au sein de l’hôpital. Mon expérience des terrains hospitaliers m’avait appris que la blouse comme marqueur identitaire intra-hospitalier est essentielle à une bonne pratique ethnographique sur ces terrains. Si on ne me l’avait pas proposée, je l’aurais demandée. En entretenant une ambiguïté de position (celle d’être membre du personnel soignant), elle offre une relative liberté d’aller et venir dans l’enceinte de l’hôpital et favorise parfois les contacts avec les malades pour les entretiens (même si cette identification peut être gênante en laissant penser aux malades que vous serez un bon informateur)44. Le badge doit alors pallier cette ambivalence : il vous situe dans la hiérarchie des « blouses blanches ». Si confusion il devait y avoir, le badge en m’identifiant comme ethnologue m’ôtait l’autorité médicale ou ses avantages que la blouse aurait pu me fournir45

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Lors des consultations, j’étais toujours présenté aux patients par les praticiens comme ethnologue ou sociologue (et plus rarement comme « un collègue » ou un « étudiant »). J’étais généralement « là pour observer comment on travaille ». Lors des entretiens, je me présentais et exposais les grandes lignes de mon travail. J’avais également préparé un texte de consentement avec les membres du CIC à faire signer aux malades du protocole (annexe 4).

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Sur mon premier terrain en hôpital en 2001 (Moutaud, 2002), un cadre infirmier m’avait donné un badge en me précisant que cela éviterait « que l’on vous demande sans arrêt qui vous êtes ». Effectivement, tout le monde lit le badge ou écusson des personnes qu’il croise. Cependant, il me semble que ce badge n’était pas un service

Mon incorporation dans le service se fit en premier lieu sur un domaine administratif. Je dus signer une clause de confidentialité m’interdisant de révéler des données non publiées. Je pouvais observer mais ne pouvais « sortir » n’importe quoi du « laboratoire ». Au quotidien, on me permit ensuite d’utiliser les ordinateurs mis à la disposition des membres du service, on alla plus tard jusqu’à évaluer mon temps de présence lorsqu’il fallut repenser l’organisation des bureaux et leur utilisation. On m’indiqua également la cachette du passe- partout si jamais je devais être le premier à arriver ou le dernier à partir du service. Lors de l’évaluation quadriennale du CIC en 2005, on ne manqua pas de signaler ma présence en m’incluant dans l’organigramme. Cela participait à la politique de pluridisciplinarité revendiquée et marquait une forme d’intérêt pour leurs pratiques. Je fus alors placé dans l’équipe du psychiatre et aux côtés de psychologues (ce qui relevait d’une forme de logique institutionnelle – puisque c’est son protocole que je devais étudier et qu’il était mon interlocuteur privilégié – et d’un rapprochement méthodologique dans la manière dont ils appréhendaient mon travail, plus proche de l’entretien psychologique ou psychiatrique que de la clinique neurologique et relevant d’une compétence dans les « affaires humaines »). J’étais donc membre du service, recensé comme tel et je pouvais dénombrer les faits administratifs et matériels, les droits et devoirs qui m’y rattachaient. D’autres éléments plus ou moins formels devaient marquer mon intégration sur le plan social : j’étais convié lors des fêtes du service ou aux soirées karaoké annuelles, ainsi qu’aux séjours de vacances.

Une fois incorporé, j’ai disposé d’une totale liberté en tant qu’ethnologue sur ce terrain et dans tous les services annexes, dans la limite où je respectais les conditions de confidentialité de certaines pratiques ou données. Cette liberté n’a jamais été formalisée (elle découlait de la position que l’on m’avait accordée : en tant que membre du CIC j’étais traité comme tel sur ce plan) mais je n’ai jamais trouvé ce à quoi je n’avais pas accès. Après quelques mois d’observation quotidienne, ma présence semblait naturelle46. Le CIC a même agi en conséquence en me permettant d’observer le plus d’activités possibles47

que l’on me rendait en évitant ainsi d’avoir à me présenter à chaque nouvelle rencontre, la moindre des politesses étant de le faire par moi-même, mais qu’il était un signe de marquage de l’institution qui ainsi s’assurait de mon cantonnement dans ce rôle d’ethnologue vis à vis des membres du service et des patients.

. A la demande du psychiatre, on me finançait par exemple les voyages en province pour que je puisse assister

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Dans les derniers mois du terrain, j’avais fait lire à Hadrien un article que j’avais publié sur cette recherche (Moutaud, 2008a). Je lui avais demandé d’y réagir et l’une de ses remarques fût qu’en le lisant il s’était dit : « Ah mais c’est vrai qu’il a vu tout ça ! Il était là ! ».

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Durant l’intégralité du terrain je n’ai essuyé qu’un seul refus, celui d’assister à une réunion du Comité de Surveillance du protocole (chapitre 3). Ce refus fut le fait du comité lui-même, extérieur au service, et non du CIC qui m’a soutenu dans cette entreprise en la personne du « Professeur » et d’Hadrien.

aux blocs opératoires et leurs préparatifs. En contrepartie, je devais filmer l’opération chirurgicale afin de réaliser un montage de cinq minutes « selon [m]on point de vue » (Hadrien), ce qui semblait intéresser le psychiatre. Ceci me permit d’assister aux opérations dans cinq centres sur les huit qui ont implanté des malades, soit neuf malades sur dix-sept.

Enfin, le service m’a versé 21 vacations de l’INSERM (environ 150 euros par mois de janvier 2005 à septembre 2006). Ce travail de recherche n’ayant pas eu de financement lors des deux premières années, j’avais demandé au psychiatre et au « Professeur » s’ils pouvaient m’aider à en trouver dans l’industrie pharmaceutique ou auprès de la compagnie produisant les stimulateurs et finançant certains de leurs protocoles. Le chef de service m’annonça quelques semaines plus tard qu’on avait réussi à débloquer ces vacations pour moi. Naïvement, je pris cela comme une première marque de l’ambivalence de mon rôle, considérant que ce n’était pas à eux de financer ce travail, qu’elle qu’en soit la proportion. La place qui m’était assignée par cette rémunération – pour un travail dont, à mon sens, ils ne recevraient pas les conséquences directes, ou du moins de manière disproportionnée – ne correspondait plus au cadre que j’avais essayé de construire. Ayant analysé l’intelligence politique et relationnelle du chef de service et du psychiatre, cela n’était pas un signe neutre ou une erreur de jugement. C’est à partir de cet instant que j’analysais l’ensemble de ces signes afin de comprendre le lieu où ils souhaitaient m’emmener. Que me communiquaient-ils par ces marques institutionnelles et formelles ?