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III. Entre le laboratoire et la clinique : le CIC, un centre intellectuel de recherche clinique et

3. Les réunions du CIC : des temps de mobilisation et de translation

Quand se déroulent les rencontres entre chercheurs et médecins ? Quand les problématiques se confrontent-elles ? Le rôle d’un CIC est aussi d’organiser des instants de rencontres pendant lesquels chercheurs et cliniciens s’accordent sur des objets, des problématiques et des outils (ou accordent les objets, les problématiques et les outils aux problématiques). Plusieurs réunions et staffs sont organisés chaque semaine au CIC. On peut distinguer deux catégories : la fonction des premiers est de réunir chercheurs et cliniciens dans un même lieu autour de problématiques communes dans la perspective de développement de protocoles de recherches cliniques ou fondamentales. La seconde catégorie vise à recentrer les acteurs sur des problématiques et des enjeux « purs » (ce qui n’exclut pas par intermittence l’insertion d’hybridations) afin de valoriser des éléments de savoir-faire, développer les projets ou aligner des politiques.

a. Vaincre l’adversité dans la diversité.

Nous avons identifié trois réunions qui sont organisées avec le premier objectif : tout d’abord les réunions du mardi à 14h, puis celle de 17h et enfin le brainstorming du mercredi midi.

Ces trois réunions sont complémentaires. Elles se déroulent dans une salle dédiée à cet effet. Située au centre du CIC, cette pièce tout en longueur est constituée d’une longue table aboutissant à un tableau et un écran sur lequel les intervenants projettent leur PowerPoint. Sur l’un des murs est située une petite bibliothèque garnie des trois principales revues internationales de neurologie (Neurology, Movement Disorders et Advances in Neurology) et de quelques ouvrages de base de la discipline et de méthodologie en recherche clinique. Le mur d’en face est constitué d’une large vitre donnant sur le couloir du service. Pour chacune de ces réunions, les programmes, élaborés par leurs responsables, sont envoyés par les secrétaires via une mailing-list qui recoupe tous les collaborateurs du CIC, médecins ou chercheurs. Elles réunissent un noyau dur qui sont les médecins et chercheurs du CIC, neurologues, psychiatres, psychologues, neuropsychologues, neurochirurgiens, anatomistes et neuroimageurs. Ce sont les responsables de chaque réunion qui décident du programme (en accord avec les participants). Chacun peut se proposer ou proposer spontanément un programme.

Au cours de la première réunion du mardi, on présente l’état d’avancement des protocoles du CIC. Y assistent, en plus, un ou plusieurs membres du personnel soignant et des techniciens (sont au moins présents l’infirmière et le technicien référents du protocole présenté). Pendant une heure, l’un des responsables d’une recherche qui se développe au CIC va exposer l’évolution de son travail quel qu’en soit le stade. Ce peut être un projet basé sur des observations cliniques qui auraient engendrées une série de problématiques qu’il paraîtrait intéressant de résoudre, ou bien les résultats d’une recherche terminée100

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C’est dans ce cadre que je présentais mes propres travaux.

. Dans les deux cas, et dans toutes les possibilités intermédiaires, l’objectif est double : informer l’équipe du CIC de l’état de sa recherche puis la soumettre aux critiques des différents membres, cliniciens et chercheurs, et cela à la fois pour la faire progresser mais aussi pour la conformer à la politique de la structure. Les membres présents débattent alors du fond et de la forme, de la faisabilité, revoient ou définissent les problématiques, la méthodologie, les objectifs, envisagent les extensions possibles, recadre vers une plus grande efficacité, etc… Ils peuvent également revoir les éléments administratifs ou élaborer le calendrier si la recherche est déjà avancée. Tout le génie étant de faire une recherche innovante et efficace, simple et rapide, avec des résultats significatifs, afin d’être publié le plus rapidement dans la meilleure revue scientifique possible. Régulièrement, la réunion se termine donc par la question de la publication qui définit le critère ultime de faisabilité : on ne fait aucune recherche qui ne peut

être publiée ou qui ne réponde à une question ou qui n’ouvre sur un champ de problématiques qui permettraient à des travaux futurs de se développer101

A la fin de cette réunion l’un des participants va rappeler que « tout à l’heure, [untel] vient présenter son travail ». C’est le deuxième temps de rencontre. Il a lieu un peu plus tard dans la journée, de 17h à 18h. Il réunit exclusivement le noyau dur des chercheurs et cliniciens du CIC avec parfois des chercheurs du réseau du CIC intéressés selon les thématiques. Cette réunion possède la même fonction politique et organisationnelle : faire se rencontrer cliniciens et chercheurs autour de présentations de travaux. Une ou deux fois par mois, les chercheurs de l’IFR de neurosciences de la Pitié Salpêtrière peuvent venir présenter leurs travaux à l’équipe du CIC. Ce sont donc généralement des recherches fondamentales, d’imagerie ou de modèles animaux, des études cliniques ou des résultats de protocoles de recherche terminés par un chercheur – rarement des cas cliniques – qui veut travailler avec le CIC. C’est aussi un moment pour inviter un chercheur étranger ou français ou bien pour étendre la réunion précédente. L’idée ici étant que ces présentations viennent nourrir les recherches en cours ou bien initient un nouveau protocole ou une collaboration. Cette réunion est un complément de la première : elle doit être une source d’inspiration pour de futurs protocoles ou donner des pistes de collaborations. Elle permet de valoriser les recherches du réseau de l’IFR en permettant de les incorporer dans les recherches du CIC. C’est une opportunité pour réfléchir avec des chercheurs plus « fondamentaux » sur les problématiques du CIC à partir des données présentées et de remettre en question des résultats ou conclusions.

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Le troisième moment de rencontre se fait le lendemain, mercredi midi, autour de sandwichs et de boissons payés par un laboratoire pharmaceutique. Pour des raisons pratiques, il a été déplacé récemment au mardi midi, juste avant la première réunion. On y retrouve notre noyau dur accompagné de chercheurs fondamentaux neurobiologistes de l’IFR travaillant sur les ganglions de la base et les modèles animaux du Parkinson. Ici, on ne se penche pas sur les travaux de l’équipe ou du réseau mais sur ceux des « concurrents » en étudiant leurs publications. Un chercheur ou médecin collaborant avec le CIC présente un ou plusieurs articles parus dans une revue scientifique sur un thème de sa spécialité. Les articles recoupent l’ensemble des disciplines des neurosciences et des domaines d’intérêts du CIC : cela va du rôle de l’adénosine dans l’amélioration du tremblement essentiel par la DBS, à des tâches

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Dans ces réunions, peut de décisions définitives sont prises. On y donne des lignes de conduite lors d’échanges officiels, mais les décisions finales auront le plus souvent déjà été prises auparavant ou le seront après, lors de conversations informelles ou de réunions non programmées dans le planning du service. Les réunions ne servent alors généralement qu’à entériner (ou à introduire les thèmes de discussions) ces instants.

cognitives pour des enfants souffrant d’un Syndrome de Gilles de la Tourette, en passant par l’impulsivité dans la maladie de Parkinson, les dernier résultats de protocoles de recherche sur les effets de la DBS dans différentes pathologies neurologiques ou psychiatriques, des études d’imageries fonctionnelles sur l’activité de la substance noire, jusqu’à la reconnaissance des émotions chez le troisième âge australien ou le rôle de la dopamine dans les mœurs monogames du campagnol de prairie. Ceci, avec deux objectifs : savoir ce qui se fait dans le monde d’intérêts scientifiques de l’équipe pour savoir quoi faire et comment le faire. Chaque article est résumé : problématiques, objectifs, méthodologie, résultats ; puis discuté. Chaque participant intervient dans son domaine de spécialisation, discute et critique les différents éléments, fait référence à d’autres recherches ou aux siennes propres, à l’histoire de la discipline. Il faut donc apprendre ce qui se fait pour pouvoir se situer dans le contexte de la recherche : ne pas reproduire, mais compléter ou se démarquer de ces recherches en les améliorant ; mais aussi pour comprendre comment il faut faire : définir la meilleure méthodologie, articuler les problématiques, construire un article. Lors de cette réunion, l’équipe se situe et apprend. Elle apprend ce qui se fait (des recherches qui vont dans le sens de leurs intérêts pourront être reprises et inspirer des protocoles) et comment faire. On stigmatise les mauvais papiers, on envie les bons, on râle sur les mauvais publiés dans les meilleures revues et on en profite pour refaire la géopolitique des comités de lecture. On se penche donc sur l’un des objets ultimes de toute recherche, l’un des plus prisé (pour un chercheur, il est important d’avoir son nom parmi les deux premiers ou derniers auteurs d’un article d’une revue à fort facteur d’impact : Science, PNAS, New England, Nature, The Lancet…, nous allons le voir) que l’on tente de déconstruire

Lors de ces trois réunions on soude donc les intérêts et les alliances : on se retrouve autours des problématiques, on fait référence à ses propres travaux, on s’aide, on se réunit, on se situe et on s’aligne. Pour cela, on amène tout ce que l’on a chez soi : ses outils, ses recherches et ses savoirs qui pourront être remobilisés. L’objectif est de produire des rencontres entre des acteurs qui ne se croiseraient pas autrement. Il faut vaincre l’éloignement géographique en rapportant l’essentiel. C’est là que les premières tensions entre la clinique et la recherche transparaissent dans les stratégies de construction des protocoles, dans le choix des problématiques, dans la définition des objectifs, sur les problèmes éthiques, chacun se basant sur des registres variés selon les thèmes. Ces tensions ne recoupent pas toujours l’opposition fondamentaliste/clinicien. Nous verrons cela en détails dans la prochaine partie, lors de la construction et le déroulement du protocole STOC. Le CIC se doit aussi d’organiser

ces temps de rencontres pour assurer son fonctionnement. Le trait commun de tous les participants, quels qu’ils soient (chercheurs, cliniciens de tous bords, objets techniques ou cohortes de malades), est de s’inscrire dans les centres d’intérêts de la structure (comme ce fut mon cas).

b. Se reproduire.

Entre ces réunions de rencontres, d’autres instants de mobilisation de clinique ou de recherche prennent place. Nous en avons choisi trois qui se déroulent le mardi (le mardi, c’est jours de réunions au CIC).

Le staff des mouvements anormaux prend place dans « la grande salle » de réunion, de midi à 13h30. La « grande salle » est située face à la salle de l’équipe du CIC précédemment décrite. Elle est peu utilisée par l’équipe qui y bat en retraite lorsque « la petite » est prise (en réalité, c’est elle qui détient l’appellation de « salle de réunion », l’autre étant défini en comparaison comme « la grande », « la salle de cours » ou « en face »). « La grande » est connotée plus officielle : C’est la salle de la Fédération de neurologie dans laquelle on dispense les cours aux internes et externes. On ne s’y retrouve pas autour d’une table, mais sur des rangées de chaises face à un tableau ou un écran de projection. Rien de commun donc avec l’intimité de la précédente dans laquelle l’équipe se réunit, se soude, fête Noël et les pots de départ. Dans la grande, on reçoit Bernadette Chirac et les ministres en visite, on organise les conférences de presse, les cours et les événements importants. On pourrait penser que espace neutre devrait alors convenir aux délicates rencontres entre médecins et chercheurs, mais en réalité il est trop neutre et impersonnel. Il faut de la convivialité et de la proximité pour rapprocher les intérêts.

Pour revenir au staff des mouvements anormaux, c’est une réunion au cours de laquelle les neurologues de la Fédération peuvent présenter les cas les plus complexes qu’ils rencontrent. Menée par « le Professeur », c’est une consultation collégiale réunissant sur les deux premiers rangs les cliniciens de la Fédération (neurologues, généticiens, psychologues, psychiatre). Sur les rangs suivants, s’installent les internes et externes pour assister à cette présentation clinique. « Le professeur » orchestre : il fait entrer le malade, lui présente le lieu et l’installe sur une chaise face à l’assemblée102

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Parfois ce peuvent être des vidéos de cas publiés dans la littérature neurologique.

. Lui-même s’installe à côté et invite le clinicien, statutaire ou interne, à venir présenter le cas (ce sont des patients dystoniques, des

malades parkinsoniens, des cas de tremblement essentiel, des patients atteints de la maladie de Huntington, etc.). Défilent l’histoire clinique du patient, ses antécédents, les différents diagnostics posés et les traitements administrés. La question peut être celle du diagnostic ou celle du traitement approprié. « Le Professeur » entame alors une leçon de clinique (parfois, il semble avoir entièrement analysé la situation lorsque le malade a traversé les 5 mètres qui le mènent de la porte à la chaise). Il fait se lever le malade, le questionne, provoque les signes, les décrit, parfois les reproduit lui-même avec un mimétisme d’une minutie fascinante103, interroge l’assemblée, pose des colles, récapitule pour les étudiants certains syndromes, l’étiologie d’autres, renvoie à la littérature, etc. Dans le même temps, les cliniciens posent des questions au malade, à son entourage ou à celui qui présente le cas. On reprend les résultats d’examens, s’il y en a. Puis tous établissent un diagnostic et/ou un plan de prise en charge ou de traitement. Le malade est raccompagné dans son service et le patient suivant, attendant dans le couloir, entre à son tour. On assiste à une leçon de sémiologie. Il ne manque que le cadre de l’amphithéâtre104

Une deuxième réunion a lieu entre les deux staffs du mardi après-midi. Elle mobilise les membres d’une équipe de recherche montée par Hadrien, le psychiatre, et Charlie, le neuroanatomiste. Nous reviendrons dans la troisième partie de la thèse sur cette équipe. C’est une équipe INSERM-Avenir qui a pour thématique la recherche des bases neuronales des

comportements et émotions et le développement de thérapeutiques innovantes pour leur traitement, dont la DBS. Elle est composée d’Elizabeth, neurologue, d’Emeline et Sarah psychologues, de Charles, neuroimageur et d’Archie, un ingénieur co-inventeur d’un atlas neuroanatomique avec Charlie (qui est l’objet de la seconde partie du chapitre 3). C’est une réunion qui porte strictement sur les recherches du groupe ou ses centres d’intérêts. Chaque semaine, Hadrien envoie le programme de la séance aux membres ainsi que quelques articles en pièce jointe sur les thématiques du groupe. La réunion – condensé des précédentes – sert à coordonner les activités de l’équipe : faire l’état des lieux des recherches, établir les calendriers, organiser les différentes étapes, gérer l’administration, revoir les publications, etc. Occasionnellement, l’un des participants peut présenter certains des papiers reçus et la

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Il est difficile de décrire un mouvement anormal, plus simple de le reproduire. 104

Le jeudi midi a lieu dans une optique commune la réunion de la Fédération pendant laquelle un service vient exposer le cas d’une pathologie rare (des parasites exotiques, des syndromes exceptionnels, des variations de symptômes, etc.). Il n’y a pas de patient, la présentation se fait par PowerPoint. L’orateur déroule l’histoire du cas tel qu’il a été vécu par l’équipe, suit l’enchaînement des examens, hypothèses, traitements, etc. pendant que l’assemblée essaye, sur le mode de l’investigation policière et avec une certaine émulation collective, de découvrir la pathologie avant la révélation finale.

réunion se calque alors sur le brainstorming décrit plus haut. Ils peuvent aussi inviter un chercheur pour qu’il présente ses travaux s’ils sont susceptibles d’intéresser le groupe.

Enfin, le dernier moment est le staff d’inclusion. En alternance avec la réunion de 17h du mardi, une fois par mois, les neurologues, un neurochirurgien, un représentant du service de neuroimagerie, le psychiatre, la neuropsychologue et une psychologue, se retrouvent pour reprendre les dossiers des malades parkinsoniens candidats à la stimulation cérébrale. Chaque malade est suivi et évalué depuis une ou plusieurs années par l’ensemble de l’équipe et doit répondre a des critères stricts pour être implanté. Nous reviendrons sur les particularités des critères d’inclusion et le suivi de ces malades en troisième partie. Notre propos, ici, est d’observer que chaque discipline est mobilisée pour reprendre plusieurs mois de suivi d’un malade et évaluer s’il peut être opéré ou non selon les critères définis. L’équipe reprend les dossiers des malades en liste d’attente qui pourront être opérés dans les semaines à venir. On y revoit l’histoire clinique de ces malades (mais ils sont le plus souvent connus de la plupart des cliniciens). C’est la conjonction et la coordination de mois de travail et d’un suivi sur plusieurs années, d’évaluations, d’examens cliniques, d’imagerie, de psychologie et de neuropsychologie, dont il ne reste que quelques notes et chiffres sur une feuille standardisée. Tout doit être réunit le tout dans la même salle, autour d’une table. C’est alors en partie ici que se fait la régulation de la pratique de stimulation des parkinsoniens. Les critères d’inclusion ont été pensés à partir de l’expérience de leur prise en charge par l’équipe avec pour objectif de la simplifier. La technique est encore dans le domaine de la recherche. Comme nous le verrons, tous ses effets ne sont pas encore connus alors, pour inclure un malade, l’équipe se base sur ses connaissances cliniques mais aussi sur des savoirs encore expérimentaux ou non validés comme la réaction à la stimulation de certains profils de malades psychiatriques, psychologiques ou neuropsychologiques. Cette constante problématisation des critères dans l’inclusion valorise les compétences cliniques et les modes de coopération des médecins.

Comme les staffs précédents participaient à la coordination des acteurs et des objets, lors de ce second groupe de réunion, on valorise les savoirs et savoir-faire, notamment cliniques. On participe à la reproduction des pratiques, à leur régulation, on tire profit des structures, on récolte les fruits de l’expérience de chacun, de ce qui a été installé pour soigner et chercher. On transmet les compétences et on anticipe pour fluidifier l’activité et le fonctionnement du CIC.

Le CIC est donc un centre intellectuel et administratif qui coordonne des activités de recherche. Il n’est dévolu qu’à la recherche clinique, le reste de la pratique (clinique ou recherche fondamentale) est décentralisé en d’autres lieux dans la Fédération de neurologie ou sur le site hospitalier. Si on suit les malades ou les chercheurs, comme nous le ferons, nous pourrons les découvrir. Au CIC de savoir ensuite les mobiliser lors de ces instants de rencontre et de développer un réseau pour diversifier et consolider sa pratique.

IV. Organiser un réseau de biomédecine et de neurosciences pour