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I. Un « continuum » entre recherche et clinique en neurosciences : « le Professeur » et son

1. Associer la recherche et la clinique en neurosciences

En débutant mes entretiens avec « le Professeur »59

Tout au long de son parcours de médecin-chercheur, de sa « carrière double », « le Professeur » a associé les deux facettes dans sa pratique scientifique

, celui-ci m’expliqua que ce CIC était « le genre de structure qu[’il avait] toujours recherché ». Il me raconta qu’il souhaitait depuis son premier poste de chef de clinique, en neurologie à la Pitié-Salpêtrière en 1973, développer une pratique qui associerait la recherche fondamentale à la clinique dans une même structure en faisant se rencontrer médecins et chercheurs autour de malades et de problématiques communes en neurosciences.

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: clinicien neurologue de renommée internationale, il est également reconnu pour ses recherches fondamentales en neurobiologie sur la mort cellulaire dans la maladie de Parkinson (l’apoptose) et est le neuroscientifique français dont les articles scientifiques sont les plus cités de ces 20 dernières années61 (ce qui est le critère de référence pour juger de la qualité et de l’importance du travail d’un scientifique aujourd’hui). En parallèle d’un parcours hospitalo-universitaire classique à la Pitié-Salpêtrière62, il a par ailleurs occupé plusieurs hauts postes de recherche et de multiples fonctions administratives dans des Instituts de recherches ou des commissions, a été primé pour ses travaux63

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J’ai choisi ce surnom car c’est ainsi (avec « Monsieur »), compte tenu de nos statuts respectifs, que je l’interpellais sur le terrain (évitant le plus souvent d’avoir à utiliser ce terme). J’appelais tous les autres membres du service par leur prénom et les tutoyais. Ce surnom, qui ne se veut surtout pas ironique, ne traduit pas uniquement sa position institutionnelle mais, plus globalement, sa posture prestigieuse dans le monde neuroscientifique que nous allons décrire dans cette partie et qui agira tout au long de ce travail en influant sur la pratique.

et élu à l’Académie des Sciences en 2008. Après une thèse de biochimie, en 1973, dans le laboratoire de neuropharmacologie biochimique de Jacques Glowinski au Collège de France, pionnier dans la recherche des bases neurobiologiques de la

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C’est ce que relève notamment le titre d’un article que lui a dédié la prestigieuse revue scientifique The Lancet en 2007 et que nous pourrions reprendre ainsi : “‘Le Professeur’: from bench to bedside and back”.

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Il est lauréat du Prix INIST-Thomson Scientific 2004 du neuroscientifique français le plus cité au cours des 20 dernières années (sources : le site ISIHighlyCited.com, ainsi que « La lettre des neurosciences » (2006) printemps-été, 30 : 11).

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L’intégralité de son parcours ayant été réalisé dans la clinique de neurologie et neuro-psychologie du CHU de la Pitié-Salpêtrière à Paris.

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Ces prix recouvrent aussi bien sa carrière de clinicien que ses travaux de recherche fondamentale. Parmi les différents prix reçus, en plus du JSJ-Thomson déjà cité : Prix de l'Académie des Sciences en 1984, Grand Prix INSERM de la Recherche Médicale en 2001 et Career Award de la Movement Disorder Society en 2004.

maladie de Parkinson, il prolongera sa formation scientifique lors d’un séjour dans le laboratoire américain de Thomas Chase au National Institutes of Health en 1974. Avec ces deux expériences, il « découvre la science, la rigueur et le déterminisme ». Il les combine avec son « attrait pour le cerveau » qui l’avait conduit vers la neurologie et la psychiatrie (la formation aux deux disciplines n’était pas séparée à l’époque de son internat). C’est Jacques Glowinski qui lui donne « la conviction que la chimie allait changer la compréhension du cerveau. » En revenant de son séjour, il intègre le groupe de recherche INSERM qui se constitue en 1977 à la Pitié-Salpêtrière puis crée sa propre équipe de recherche en 1985 dont il deviendra le directeur jusqu’en 200064

Régulièrement il rappelle en effet que la finalité de la recherche doit être le malade. Et pour cela il est nécessaire « d’associer la recherche, la clinique et l’enseignement »,explique- t-il. « Il faut avoir une bonne clinique (pour cela nous avons la chance d’avoir un large recrutement de malades ici à la Pitié) qui s’appuie sur l’enseignement qui doit former les futurs cliniciens. Mais cet enseignement doit lui-même s’appuyer sur la recherche. » Enseignement fondamental mais qui doit être soutenu par un enseignement autour du malade. Le tout ne peut donc se faire que dans le cadre hospitalo-universitaire. Il continue en expliquant le deuxième point qui est que « l’approche de chaque problème doit être multidisciplinaire » : « La recherche clinique doit se situer dans un continuum avec la biologie cellulaire, la neuropsychologie, la clinique, la physiologie et la prise en charge des malades. » Il faut donc pouvoir « immédiatement transposer les problèmes rencontrés dans la clinique dans la recherche pour trouver des solutions ». C’est ce qu’il a appris lors de son séjour aux Etats-Unis : “Thomas [Chase] had a laboratory right next to the wards, so he would encounter problems in the clinic and then try to find the solution through basic . Il peut alors « monter un groupe », une unité de recherche neuroscientifique qui associe la biologie cellulaire et la recherche fondamentale à la recherche clinique sur un modèle qu’il appliquera par la suite aux protocoles thérapeutiques du CIC. Ce n’est donc pas uniquement qu’il se considère autant scientifique que médecin, mais c’est l’association des deux qui a conduit à la réussite de son entreprise et reste la voie à suivre : « I have been a clinician as well as a real scientist, and that dual role has been the key to our success », dit-il dans une interview réalisée suite à la réception d’un prix pour ses travaux.

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L’unité de recherche INSERM 289 a connu les intitulés successifs de « Physiopathologie des comportements », « Physiopathologie des maladies du système nerveux », « Physiopathologie et pathogenèse des maladies dégénératives du système nerveux », puis « Mécanismes et conséquences de la mort neuronale ». Aujourd’hui U679 : « Neurologie et thérapeutique expérimentale ».

research”, explique-t-il dans un article qui lui a été consacré. La boucle est bouclée, la clinique venant questionner la recherche. La recherche clinique ne peut par conséquent se pratiquer qu’en associant étroitement sémiologie et recherche fondamentale, clinique et science et, pour cela ,il faut des structures adéquates dans lesquelles ces disciplines peuvent se rencontrer autour du malade et qui offrent de parfaites conditions pour la recherche. Des laboratoires et des paillasses proches des services hospitaliers et du lit du malade.

2. Le CIC : la matérialisation institutionnelle d’une double ambition