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IV. Organiser un réseau de biomédecine et de neurosciences pour transcender une

1. Converger en un lieu : le CIC, une unité géographique et une unité en recherche

« Je voudrais vous parler de cette structure particulière et très fragile dont vous faites tous partie mais qui est en devenir. On a 15 à 17 papiers par an alors qu’il n’y a aucun chercheur. Notre force c’est la sémiologie par rapport aux scientifiques. »

« Le Professeur » à l’équipe du CIC.

Tel qu’il a été pensé, un CIC offre l’espace géographique, l’unité de lieu nécessaire mais non suffisante dans laquelle ces chercheurs et médecins peuvent se rencontrer autour d’une recherche clinique qui mobilise les intérêts de chacun. Dans le projet de création des CIC par l’INSERM, dans le discours des chercheurs et médecins rencontrés et comme nous

venons de le voir, ces structures doivent être un lieu qui unit des moyens et qui offre les conditions matérielles, logistiques, techniques, méthodologiques et humaines de pratiques et de coopération à des domaines de savoirs et de compétences qui seraient trop cloisonnés. La rencontre entre recherche et clinique ne pourrait s’effectuer que dans des structures adaptées. La recherche clinique relèverait d’un domaine particulier de compétences, soumis à un ensemble de contraintes méthodologiques et éthiques, nécessitant une administration et une régulation qu’une structure hospitalière classique ne pourrait apporter. Cette tension s’incarnerait dans les deux dimensions de la pratique : dans la prise en charge des malades (suivi, surveillance, éthique) et dans la méthodologie scientifique (infrastructure, logistique, procédures).

Il faut également voir les CIC comme les lieux de mobilisation des éléments de son réseau qui vont permettre l’élaboration d’une recherche clinique. Ce sont des structures hybrides, des plateaux techniques ouverts à la collaboration, réunissant – sous une double tutelle – équipes hospitalières et unités de recherche INSERM, cliniciens et chercheurs. De là leur intérêt comme structures étiquetées de biomédecine qui permettent une communication, une rencontre et une association plus efficace entre le laboratoire et l’hôpital autour des malades (et pour l’ethnologue de repérer les points de tensions). Ils entérinent une politique de collaboration entre ces structures via leurs unités de recherche et services hospitaliers. Les

CIC sont des points de contact, des zones « d’échanges » et de convergences dans lesquels les problématiques peuvent être traduites pour se confronter et les savoirs se nourrir, dans lesquels on peut transférer et appliquer les découvertes et techniques de la recherche fondamentale. Par « unités géographiques »105, il faut alors entendre des espaces dédiés à cette collaboration entre praticiens et chercheurs, dans lesquels ils se réunissent autour d’innovations et de malades (et éviter que les chercheurs ne restent dans des laboratoires de recherche et les cliniciens dans les services hospitaliers). C’est un lieu commun de centralisation des pratiques106

La force d’un CIC dans le continuum de la recherche fondamentale à la clinique est de se rendre indispensable, de devenir un passage obligé de la recherche clinique. Ces unités de lieu doivent alors savoir trouver leur cohérence pratique. Dans le cas du CIC de la Pitié- Salpêtrière, « le Professeur » lui a insufflé la politique de fonctionnement d’une unité de recherche : une unité de recherche clinique en neurosciences. Cette thématique a certes été souhaitée mais s’est également imposée dans la pratique. Le CIC est officiellement plurithématique et à la disposition de tous les praticiens et chercheurs du site de la Pitié- Salpêtrière : si l’un d’eux voulait y développer un protocole de recherche, quelle que soit sa spécialité, la mission du CIC serait de l’assister (sous réserve de sa validation par le Comité , une zone neutre qui permet d’adapter les espaces et le temps pour faire se rencontrer et rendre compatibles les objectifs cognitifs de la recherche et ceux de soins de la médecine dans le cadre strict de protocoles thérapeutiques.

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C’est l’INSERM qui les définit comme des « unités géographiques » (« Appel d'offres pour la création de centres d'investigation clinique en 1993-1994 », Inserm actualités, n°114, mars 1993). Un CIC qui est né de l’accord entre l’INSERM et un CHU est une fédération de moyens afin de mettre en place de la recherche clinique. Mais cette collaboration ne donne pas naissance à une nouvelle entité juridique : le CIC n’a pas de budget, ne peut pas employer et ne possède pas ses locaux, il dépend entièrement de l’INSERM ou du CHU qui le lui octroient. L’INSERM définit la nature de la convention ainsi :

« Il s'agit d'un dispositif contractuel de collaboration par lequel les parties fédèrent des moyens, selon des modalités spécifiques, autour de la thématique de la recherche clinique.

Aucune loi, ni règlement, ne vient régir spécifiquement les contenus des dispositions de la convention mettant en oeuvre le CIC. L'organisation du CIC est librement déterminée par les parties. La fiscalité résultant de l'exécution du contrat suit le régime d'imposition propre à chaque contractant. Il est à noter que la signature de la convention n'a pas pour conséquence de faire naître une entité juridique distincte des parties signataires de la convention. Le CIC ne dispose ni de l'autonomie juridique, ni de l'autonomie financière, il n'a pas de patrimoine et ne peut recruter de personnel. »

Source :

http://www.inserm.fr/fr/outils_recherche/informations_juridiques/collaborations/conventions/presentation_cic.h tml. Consulté le 13 février 2008

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En-dehors de ces structures mises en place, la collaboration entre cliniciens et chercheurs reste difficile faute de réseaux solides et denses que nécessitent ces associations pour l’obtention de financements (contraintes administratives, éthiques…). Un état des lieux en France reste à faire, le cas des CIC restant isolé, en dehors de l’oncologie, de la génétique et du cadre des Instituts.

Scientifique107

Comme « le Professeur » le souligne – et c’est l’avis de nombreux autres chercheurs et médecins du service ou hors du service – c’est lui qui non seulement « imprime » la politique scientifique du CIC mais qui, surtout, la maintient. Il la maintient, comme nous l’avons présenté dans son portrait, en assurant les liens qui permettent à la pratique du CIC de se développer mais, également, en s’assurant que les objets soient constamment problématisés symétriquement et que les langages soient traduits. Enfin, en assurant son maintien et sa reproduction dans le temps. L’association de tous ces éléments, ce programme et cette politique scientifique, une recherche clinique de pointe en neurosciences tournée vers une valorisation scientifique, « le Professeur » en a fait une « école » (un neurologue) : une école de clinique et de recherche pour les étudiants ou post-doctorants qui viennent chaque année au CIC pour être formés à la recherche clinique en neurologie et à l’utilisation de la DBS. Ces médecins iront ensuite développer la technique et des protocoles dans les centres hospitaliers où ils auront trouvé des postes. Depuis ces centres, ils travailleront souvent en collaboration avec le CIC pour des protocoles multicentriques (la plupart des neurologues membres du protocole STOC sont passés par la Pitié-Salpêtrière et ont travaillé avec « le Professeur »).

). Le fait est que seuls les neuroscientifiques y viennent (il n’y a que 15% de protocoles hors neurosciences). De plus, lorsqu’il a monté le CIC, « le Professeur » désirait en faire un lieu d’innovation et de recherche originale avec des protocoles construits par l’équipe. Contrairement à de nombreux autres, ce ne devait pas être une structure prestataire de services pour des industriels et laboratoires pharmaceutiques qui réaliseraient leurs essais cliniques mais une structure à disposition des chercheurs de l’IFR de neurosciences du site : « Ce devait être comme un laboratoire. Je ne voulais pas un prestataire de services mais produire de la science », explique « le Professeur ». Donc, comme il le dit en exergue, une recherche scientifique dans laquelle leur savoir-faire clinique est valorisé. L’objectif final est alors la publication des résultats de protocoles ou de cas cliniques. « Le CIC marche bien parce que je suis là, poursuit-il. J’ai imprimé l’idée que le CIC est jugé sur sa production scientifique et non de faire des protocoles à la con. Les recherches, les gros papiers sont quasiment tous dans notre groupe. » Le continuum se prolonge donc jusqu’à l’aboutissement que représente la publication. La structure des protocoles est alors pensée en conséquence. Cela sera vu en détail lors de l’élaboration du protocole STOC.

Ce qui apparaît, finalement, est que les termes de l’organisation de cette collaboration (hors des contraintes administratives et réglementaires) et de la politique scientifique d’un

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CIC sont laissés libres. Donc, pour que cela fonctionne, il faut de l’énergie et de la matière à portée de main. Par conséquent, l’activité générale et la politique scientifique d’un CIC vont dépendre quasiment exclusivement de la dynamique qui lui sera donnée et du réseau de recherches et de pratiques dans lequel il va être imbriqué et qui lui permettra de mobiliser les chercheurs, cliniciens, savoirs, outils, moyens et malades pour développer des recherches. C’est ce qui fait que ces structures sont extrêmement hétérogènes, aussi bien dans leur fonctionnement que dans leurs résultats108. Cependant, elles restent relativement méconnues au sein même des institutions hospitalières (de nombreux praticiens ne connaissent pas leur existence institutionnelle et/ou ne savent pas que leur hôpital en possède un) et sont parfois peu sollicitées voire sous-utilisées. Leur fonctionnement général est donc inégal selon les centres et reste soumis à la densité du réseau dans lequel il est inscrit.