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Grégoire Berche, doctorant, Université Paris-Ouest - gregoire.berche@wanadoo.fr

─────── Résumé .

Le vignoble du Bergeracois, petit vignoble du Sud-Ouest de la France, a connu de profondes mutations ces dernières années à tel point que le métier de "vigneron" tel qu’il a pu être forgé au cours du XX° siècle dans le Sud-ouest français (Lachiver, 1988), s’en trouve modifié. Le fossé entre le viticulteur, celui qui cultive du raisin, et le vigneron, celui qui cultive le raisin, élève le vin et va jusqu’à assurer une partie de la commercialisation du produit, se renforce, tandis que la catégorie "vigneron" évolue elle-même très rapidement, le "vigneron" prenant davantage en charge la partie commerciale et la partie communication sur le produit. Ce constat s’appuie sur un important travail de terrain réalisé au début de l’année 2009 (Berche, 2009) et repose sur près de 60 entretiens de différents acteurs du Bergeracois viticole, dont 35 auprès de vignerons, mais aussi des acteurs institutionnels en lien direct avec la profession ou des acteurs qui les fréquentent parfois quotidiennement (antenne INAO de Bergerac et siège parisien, Organisme de Défense et de Gestion, Office du Tourisme, Chambre d’Agriculture, Interprofession). Les entretiens ont été menés à l’aide de questionnaires semi-ouverts qui ont souvent débouché sur un entretien plus large. Une part importante des questions concerne le métier de vigneron et son évolution. Les portes de certains vignerons, plutôt réticents, m’ont été ouvertes : ils ont eu des propos et des positions engagées, souvent sans complexe, permettant d’ouvrir des perspectives et venant fructueusement nourrir le débat.

Cette évolution à l’intérieur de cette même catégorie de "vigneron", sur laquelle on propose de s’attarder, semble liée à deux processus plus ou moins récents qui viennent creuser les différences entre les vignerons et conduisent à faire varier parfois radicalement leur "profil". En effet, sur le long terme, depuis plusieurs dizaines d’années, l’objectif a été de faire gagner le vignoble en notoriété, celui-ci se trouvant dans l’ombre du vignoble bordelais (Berche, 2012) mais aussi permettre une montée en qualité (Strang, 1997). Sur le court terme, il s’agit de faire du Bergeracois viticole un pôle de développement territorial, fondé sur l’excellence rurale, en s’appuyant sur un projet oenotouristique. Ce projet est renforcé par la récente restructuration de la filière vitivinicole depuis le rapport Pomel en 2006, nouvelle organisation qui a eu pour conséquence que les acteurs locaux soient désormais les porteurs de projets de développement. Ceux-ci cherchent par ailleurs à s’inscrire dorénavant dans une perspective de "durabilité", fortement valorisée par l’Union européenne (Schirmer, 2004).

Dès lors, les vignerons ont acquis brusquement de nouvelles responsabilités. Leur investissement dans ces projets reste toutefois inégal et il produit des différenciations nettes dans l’exercice du métier de vigneron, à l’échelle du vignoble ou même parfois à l’échelle d’appellations, notamment l’appellation Monbazillac ou Saussignac. Les vignerons de ces appellations sont moteurs du projet de développement et font évoluer très rapidement l’image de qualité de leur appellation, souvent plus rapidement que celle de l’ensemble du vignoble. Or le "vigneron" dans ces appellations n’est plus le même. Le vignoble offre ainsi plusieurs nouveaux modèles de vignerons. De plus, le contexte économique récent contribue à un autre rapport au métier (Hannin, 2010). Ce contexte économique, vu et vécu comme difficile pour la majorité des acteurs rencontrés, pèse en particulier sur la vision du métier pour les anciennes générations, mais il ne semble paradoxalement pas dissuader les nouvelles générations de s’installer, même si celles-ci semblent exogènes au vignoble. On pose donc l’idée d’une réelle liberté d’action de la part de nouveaux arrivants et de la jeune génération, qui rénovent l’idée même du "métier" de vigneron. ───────

Etre vigneron aujourd’hui dans le Bergeracois :

vers une redéfinition du métier ?

L’objectif de cet article consiste à appréhender des changements majeurs dans la filière vin française pour ainsi tenter de mieux saisir la recomposition progressive qui s’opère au sein de l’agriculture française, et ce, même si la filière vin présente des problématiques particulières qui peuvent la singulariser au sein de l’agriculture française.

L’article propose une approche géographique, ce qui permettra de mettre en évidence l’importance des acteurs du monde de la vigne et du vin et d’étudier leur positionnement à l’intérieur de la filière, notamment à l’amont, sans occulter les liens qu’il peut exister avec l’aval de la filière, à savoir le consommateur. L’article a également pour objectif de s’inscrire dans le contexte de relatif renouveau de la géographie viticole, domaine de la géographie qui embrasse l’ensemble des problématiques liées aux territoires de la vigne et du vin. L’article se veut en effet le témoin d’un renouvellement qui me semble s’articuler autour de deux axes :

- Un renouvellement thématique d’une part, permettant de nouvelles d’analyse des territoires du vin comme "l’architecture" et le "patrimoine viticole" (Berche, à paraître), le "tourisme"1 ou encore le thème du "métier" de vigneron2 et dont le présent colloque se fait l’écho. Ces nouveaux thèmes remplacent ceux, largement travaillés, de la gouvernance ou du terroir quand d’autres demeurent non encore ou peu abordés : la géopolitique du vin, l’entrée par produit (le rosé, le vin pétillant, le vin liquoreux), la cohérence et le fonctionnement de la filière vin, la notoriété, l’image et la représentation que la société ou un groupe social se fait du vin, même si ces trois derniers thèmes transcendent les sciences sociales et ne concernent pas seulement le champ de la géographie.

- Une réactivation de l’échelle régionale d’autre part : après les grandes monographies qui ont permis de dessiner la France de la vigne et du vin, en accordant une large part à une étude pédologique et géologique, puis la prépondérance des travaux sur les principaux vignobles français, Bordeaux, Bourgogne, Champagne en premier lieu et enfin l’étude du local et la convocation des échelles infra-locales par la mise au jour de véritables "systèmes viticoles" identifiant les nouveaux territoires du vin, l’échelle régionale offre sa pertinence pour l’étude des nouvelles thématiques et/ou pour appréhender avec une meilleure "visibilité" les évolutions des sociétés pour lesquelles l’activité viticole et vinicole demeure structurante, mettant ainsi en relief la question de leur(s) insertion(s) dans "la nouvelle planète des vins" (Schirmer, 2004 et 2010).

Le présent article vient dès lors confirmer le statut de science sociale qu’est la géographie, et a fortiori la géographie viticole, en accordant ainsi une part importante aux acteurs qui font exister et vivre les territoires viticoles, en particulier les terroirs viticoles (Hinnewinkel, 2004). Le terroir est en effet un "espace de projet" et il faut pour qu’il existe et se maintienne que ses acteurs le fassent émerger, en dessinent les contours et en entretiennent le périmètre par un bornage, symbolique ou matériel.

En ce sens, en réaffirmant le rôle crucial des acteurs en géographie et pour la meilleure compréhension de l’évolution de l’agriculture et de ses nouvelles formes, on propose de ne plus simplement parler de géographie viticole mais bien d’avoir désormais recours à l’expression de "géographie vitivinicole", afin de mieux prendre en compte les problématiques des hommes qui cultivent la vigne et élaborent du vin, qui entretiennent des territoires agricoles à part entière, insérés à des échelles multiples, plus ou moins bien perceptibles par les agriculteurs eux-mêmes, par les institutionnels ou les chercheurs : l’échelle locale avec le rôle structurant du terroir, l’échelle nationale, notamment celle de la filière vitivinicole française, l’échelle européenne avec le rôle majeur de l’Union Européenne et de ses politiques, l’échelle mondiale enfin avec la nouvelle organisation de l’espace-monde et la redistribution des marchés du vin que génère la mondialisation.

C’est dans ce contexte épistémologique et scientifique que s’inscrit l’étude du métier de vigneron en France, dans une région viticole comme le Bergeracois, petit vignoble du Sud-Ouest de la France représentant environ 2% de la production française. Limitrophe du géant Bordelais (Berche, 2012), caractérisé par une faible notoriété, ce vignoble se recompose progressivement à l’instar de l’ensemble des vignobles du Sud-ouest comme les vignobles de Gaillac, Buzet, Duras, demeurés historiquement sous la tutelle de Bordeaux, les notables bordelais se réservant le droit de faire pénétrer ces vins dits du "Haut-Pays" dans le port de la Lune de manière décalée par rapport à leurs propres marchandises, assurant ainsi leurs propres débouchés et la prospérité de leur commerce. Aujourd’hui, cette suprématie bordelaise demeure dans les esprits, ne serait-ce que parce que le Bordeaux, mais aussi les autres très grands vignobles de France comme le Bourgogne ou le Champagne, ont acquis une puissante image de qualité, pas forcément toujours justifiée mais bien réelle, image qui fait défaut pour l’instant à la majorité des autres vignobles français, et notamment ceux du Sud-ouest, malgré le tournant qualitatif qui y a été entrepris (Strang, 1997). On se heurte même parfois à un inconscient collectif négatif (Simmonet-Toussaint, 2006) qui demeure difficile à faire évoluer et pourra prendre plusieurs générations avant de changer pour le cas de Bergerac.

A ce contexte historique et socio-culturel des vignobles du Sud-Ouest dont fait partie le Bergeracois, s’ajoute un contexte économique difficile (Hanin, 2010) auxquels les acteurs des vignobles concernés doivent faire face. Dans le Bergeracois, le contexte économique a généré une rapide recomposition de l’ensemble du vignoble. Celle-ci s’est établie "par le bas", c’est-à-dire qu’elle a concerné d’abord les producteurs. Ce constat s’appuie sur un important travail de terrain réalisé au début de l’année 2009 (Berche, 2009) et qui constitue la substantifique moelle de cet article, notamment en raison du déficit bibliographique sur le vignoble étudié, ou dont les études, trop anciennes, ne permettent pas d’appréhender ce qu’est la réalité du vignoble aujourd’hui que l’on se propose de présenter à l’aide de la figure ci-dessous.

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Colloque international Vin, patrimoine, tourisme, développement prévu à Florianopolis au Brésil, du 3 au 5 décembre 2013

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