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Heur et malheur d’une transition capitaliste : l’exemple des planteurs de cacao du Centre Cameroun

Philippe Pédelahore, Cirad, UMR Innovation, Montpellier - philippe.pedelahore@cirad.fr

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Résumé.

La culture du cacao a été introduite au Cameroun au début du 20ème siècle par les puissances coloniales allemandes et françaises. L’essor de cette culture sera porté par le travail de plus de 250.000 petits planteurs autochtones (DNRA, 1987). La production cacaoyère passera ainsi en 55 ans (1910-1965) de 3.400 tonnes à 100.000 tonnes. Après une longue période de stagnation (1965- 1995), et contre toute attente, cette production connaitra entre 1995 et 2012 un nouvel accroissement qui portera la production nationale à plus de 200.000 tonnes. Cet accroissement spectaculaire est t-il dû aux nouvelles surfaces cacaoyères installées par les petits planteurs et/ou à l’amélioration des techniques de production et des rendements des plantations cacaoyères existantes ? Quelles sont les causes de cette soudaine embellie ?

Pour répondre à cette question, et du fait de l’absence de données statistiques récentes sur les structures et les performances des exploitations familiales cacaoyères, nous avons recueilli nos propres données de terrain.

Nous avons choisi de travailler dans deux zones représentatives de la diversité des dynamiques cacaoyères du principal bassin cacaoyer du pays, celui du Centre Cameroun. Il s’agit de la vieille zone cacaoyère densément peuplée d’Obala, et de la zone de Talba qui correspond à un nouveau front pionnier cacaoyer très actif depuis une trentaine d’années. Nous avons tout d’abord avec 11 personnes ressources réalisé un diagnostic territorial (Sabourin et al., 2004) et établi une première typologie des planteurs à dire d’experts (Perrot, 1990; Landais, 1996). Cette typologie, basée sur l’importance des surfaces cacaoyères détenues par chaque type de planteur, nous a permis de choisir un échantillon représentatif de 82 planteurs (Ghiglione et Matalon, 1998). Nous avons ensuite réalisé des d’entretiens semi-directifs (Olivier de Sardan, 1995) auprès de ces 82 planteurs pour leur faire préciser leurs stratégies (Yung et Zaslavsky, 1992) et trajectoires d’accumulation (Gafsi, 2006) en surfaces cacaoyères, leurs pratiques techniques (Ferraton et Touzard, 2009) et les rendements obtenus au cours des trois dernières campagnes agricoles.

Les données obtenues montrent que dans la zone d’Obala les petits (0.1 à 2ha) et moyens planteurs (2 à 6 ha) continuent de détenir 86% des surfaces cacaoyères. Par contre, dans la zone de Talba, la marchandisation de la terre et de la force de travail, a conduit à ce que les grands (6 à 30 ha) et les très grands planteurs (> à 30 ha) contrôlent aujourd’hui 75% des surfaces cacaoyères. Ces données montrent également que ce sont ces grandes et très grandes exploitations, de type patronales ou capitalistes, qui portent aujourd’hui l’essentiel de l’accroissement productif du bassin cacaoyer du Centre Cameroun. Ces nouveaux entrepreneurs agricoles, ainsi que leurs capitaux financiers, sont majoritairement d’origine urbaine. Leur puissance financière leur permet d’acquérir des terres et de la force de travail salariée pour planter rapidement d’importantes surfaces cacaoyères. Ce sont les grands gagnants de la « course à la terre » qui se développe depuis une trentaine d’années dans ce front pionnier forestier.

La mobilisation de la grille d’analyse proposée par Castex (1977) nous permet d’affirmer que nous assistons depuis une trentaine d’année à une transition capitaliste dans le secteur cacaoyer camerounais. Cette transition a des effets positifs sur l’évolution de la production cacaoyère nationale et sur l’amélioration des rendements à l’hectare, mais elle contribue à accroitre les disparités socio- économiques, les tensions autour de l’accès aux ressources foncières et les difficultés d’installation dans l’agriculture pour la jeune génération.

Face à cette situation, les familles de la zone cacaoyère historique d’Obala se sont engagées dans un processus de patrimonialisation de leurs terres. Certaines chefferies interdisent les ventes de terres et les pères de famille gardent leurs terres, mêmes exigües, pour tenter d’assurer la permanence d’un lieu de vie et d’insertion socio-économique pour leurs enfants et petits enfants.

On assiste ainsi à la construction progressive de deux territoires agraires distincts. Dans la zone d’Obala la terre constitue un espace de refuge et de replis pour des catégories sociales indigentes ou modestes. Un espace où de nombreuses familles mêlent activités agricoles et non agricoles pour subsister. A Talba, la terre, la force de travail salariée originaire du Nord Ouest Cameroun, et la production cacaoyère sont mobilisées pour l’obtention de profits financiers importants. Ce développement dual, inéquitable et générateur de tensions, invite l’Etat et les communautés rurales à ne pas abandonner au seul jeu du marché la gestion et le devenir des hommes et des territoires.───────

Références bibliographiques

Castex P., 1977. Voie chilienne au socialisme et luttes paysannes. Approche théorique et pratique d'une transition capitaliste non révolutionnaire. François Maspero, coll. Documents et recherches d'"économie et socialisme, 290 p.

DNRA, 1987. Recensement agricole 1984. Secteur traditionnel. Volume 1, résultats du niveau national. Yaoundé: Direction Nationale du Recensement Agricole. Ministère de l'Agriculture, 255 p.

Ferraton N., Touzard I., 2009. Comprendre l'agriculture familiale. Diagnostic des systèmes de production. Quae// CTA/Presses agronomiques de Gembloux ,coll. Agricultures tropicales en poche.

Gafsi M., 2006. Exploitation agricole et agriculture durable. Cahiers Agricultures 15(6), 491-497.

Ghiglione R., Matalon B., 1998. Les enquêtes sociologiques. Théories et pratiques. Armand Colin, 301 p.

Landais E., 1996. Typlologies d'exploitations agricoles. Nouvelles questions, nouvelles méthodes. Economie rurale, 236, 3- 15.

Olivier de Sardan J.P., 1995. La politique du terrain. Sur la production des données en anthropologie. Enquête, 1, 71-109. Perrot C., 1990. Typlogie d'exploitations construite par agrégation autour de pôles définis à dire d'experts. INRA Productions

Aniales, 3(1), 51-66.

Sabourin E., Caron P., Tonneau J.P., 2004. Dynamiques territoriales et trajectoires de développement local : retour d'expériences dans le Nordeste brésilien. Cahiers Agricultures, 13, 539-545.

Yung J.M., Zaslavsky J., 1992. Pour une prise en compte des stratégies des producteurs.Cirad, Coll. Documents Systèmes Agraires, 74 p.

New forms of agriculture

Ordinary practices, public debate and social critique

20-21 November 2013 - MSH, Dijon

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