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Le producteur-cueilleur, un acteur de l’interstice ? Texte provisoire de la communication

Introduction

"À travers la recherche d’une médecine végétale populaire rénovée apparaît vite une évidence : ce sont d’abord les carences en liberté qu’il s’agit de guérir" écrivait en 1983, l’ethnbotaniste Pierre Lieutaghi.

"L’expérience nous a montré que rien n’était inéluctable et que les combats n’étaient jamais perdus d’avance. Résistons à la

confiscation de notre patrimoine de l’humanité et restons solidaires. Restons Simples, restons paysans." proclame trente ans plus tard Wicki Gerbranda, productrice de plantes aromatiques et médicinales du Syndicat Inter-Massifs pour la Production et l’Economie des Simples.

L’objet de cette communication est de montrer que les activités de production artisanale de plantes aromatiques et médicinales (PAM), associant généralement des activites de culture et de cueillette de ressources végétales spontanées, est indissociable d’un

mouvement de contestation et de résistance vis-à-vis des schémas de développement auxquels se réfèrent l’agriculture conventionnelle, le système de santé dominant et le monopole pharmaceutique.

En France, depuis le XIXème, les Pays de Loire (Maine-et-Loire et Anjou) sont le berceau de la production industrielle des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM). Aujourd’hui cette production couvre 38.000 ha répartis au sein d’environ 4800 exploitations implantées principalement dans le bassin de production mais également dans le Sud-Est, le Languedoc-Rousillon, la Champagne-Ardenne, l’Aquitaine, le Centre, la Bourgogne et la Haute-Normandie. En réponse aux exigences des consommateurs et des opérateurs du marché des secteurs de l’agro-alimentaire et de la cosmétique, l’agriculture biologique représente 12% de la surface totale, en forte croissance dans la filière (CPPARM, 2013)1

Si la production artisanale de PAM qui nous intéresse dans le cadre de cette communication est intégrée aux données nationales, elle présente néanmoins des caractéristiques spécifiques qui la distingue de la production industrielle et ce, tant au niveau des acteurs que des territoires. Elle se base en partie sur la cueillette qui, comme pratique sociale, a fait l’objet de plusieurs travaux dans les années 1980. Ainsi, Larrère et La Soudière (1985) décrivent les activités de cueillette en Margeride comme intrinsèquement liées au monde paysan. Si la dimension économique restait marginale au sein de l’exploitation familiale, elle représentait pour les familles les plus modestes un surplus saisonnier important. La mutation du monde agricole engagée depuis les années 1960, suivie de la

recomposition des espaces ruraux et des modes d’habiter le territoire à partir des années 80, a entraîné des changements de

pratiques et de nouvelles vocations. Alors que de plus en plus d’agriculteurs ont délaissé cette activité peu lucrative et peu compatible avec leur profession, d’autres acteurs, souvent des néo-ruraux, s’en sont saisis comme une opportunité de s’installer et vivre à la campagne et développer une activité économique durable répondant au nouvel engouement d’un très large public autour des soins alternatifs et des produits naturels. Ces initiatives se sont notamment développées dans les territoires de moyenne montagne marqués par une forte déprise où la tradition de cueillettes familiales et commerciales de ressources sauvages (PAM, champignons, feuillage, etc.) est encore relativement ancrée dans les pratiques. Les cueillettes, souvent associées à la mise en culture, sont aujourd’hui insérées dans des filières artisanales de production-transformation de PAM, tout en fournissant en matières premières le secteur industriel. Ce sont aussi des activités qui restent relativement peu encadrées car encore méconnues des pouvoirs publics. Pourtant, et quel que soit le type de filière dans lequel il s’inscrit, le producteur-cueilleur doit de plus en plus répondre aux exigences des

consommateurs en matière de traçabilité. Cette exigence est renforcée par le choix même du type de production – la plante aromatique et médicinale. Le producteur-cueilleur se doit de délivrer un produit de qualité, mais un produit qui est sensé "soigner". Il porte ainsi une responsabilité spécifique qui le lie de façon originale à son client.

.

Cette manière singulière de produire des PAM en ayant recours à la cueillette est cependant confrontée à de nombreux obstacles comme les conditions d’accès au foncier et aux ressources, l’évolution des règlementations et des normes appliquées aux produits alimentaires et de santé, enfin l’absence de statut spécifique de la profession de cueilleur. La volonté de structurer et de

professionnaliser les pratiques est perceptible à travers la création d’organisations professionnelles comme la SICARAPPAM, société d’intérêt collectif agricole spécialisée dans la cueillette de plantes sauvages pour le secteur industriel, le Syndicat inter-massif pour la production et l’économie des Simples (SIMPLES), ou encore l’Association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages (AFC), mais également à travers la mise en places de diverses formations, souvent dispensées et validées par des établissements publiques comme les Centres de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA).

Notre proposition est de saisir les dynamiques liées à la structuration et la professionnalisation de ces activités de production à travers l’étude du Syndicat Simples et l’AFC qui a largement mobilisé ses adhérents. Notre hypothèse est que ces dynamiques dessinent les contours d’une néo-paysannerie, proche de celle définie par Ploeg (2008). Ce dernier défend l’existence d’une condition paysanne caractérisée par la lutte pour l’autonomie, et étroitement tributaire d’un mode de production menacé aujourd’hui par le développement sans précédent de l’agro-business. Les pratiques de résistance relevées par l’auteur dans un contexte de mondialisation, dans les pays du Sud comme dans les pays européens, participent selon lui à la reconstruction d’un paysannat reposant sur des fondements dont la lecture renouvelle les approches plus classiques des peasants studies (Sabourin, 2009).

Pour ce faire, deux axes de lecture sont privilégiés :

- Rapport des producteurs-cueilleurs à la société globale : nous partons de la notion de "cohésion sociale" développée par F. Dubet (2009) pour rendre compte du déclin de la Société comme élément structurel pesant sur nos conduites et représentations et donner plus de place à la critique, la réflexivité, l’action individuelle comme l’appartenance à des réseaux. Nous nous attacherons à mettre en évidence la construction des projets de vie (trajectoires) des acteurs, l’hétérogénéité de leur situation en liaison avec leur expérience sociale, comme les postures critiques associées à ces choix de vie. Les "expériences sociales" sont définies comme des conduites individuelles qui, combinant plusieurs rationalités, résultent de "la juxtaposition d’appartenances communautaires, des calculs du marché et des exigences d’une authenticité individuelle".

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- Rapport des producteurs-cueilleurs à l’agriculture et au vivant : nous chercherons à comprendre les représentations du métier et de leur identité professionnelle, ce qui les lient et les distinguent du monde agricole et enfin le ou les modèle (s) d’agriculture portés par les pratiques et les discours. L’identité professionnelle relève à la fois de l’organisation sociale, du fonctionnement du marché du travail et des significations subjectives de ce travail (Dubar, 2010). Nous insisterons sur leur manière de se définir et sur la composante sociale de cette identité professionnelle

Méthodologie

Nous nous appuyons sur l’analyse des enquêtes menées auprès des producteurs du syndicat Simples et des échanges survenus lors d’une journée de rencontre entre professionnels de la cueillette organisée dans le cadre de l’appui au processus de création de l’AFC. Les résultats seront discutés autour des trois thématiques suivantes :

- Géographie du syndicat Simples et sociologie des adhérents - Cueilleurs et société globale

- Le métier de cueilleur-producteur, les modèles de valorisation des ressources et d’inscription dans les filières. Données "SIMPLES"

Le syndicat SIMPLES existe depuis trente ans et regroupe actuellement une centaine de producteurs, associant généralement culture et cueillettes dans le cadre de leurs activités menées selon un cahier des charges mettant l’accent sur "la protection de

l’environnement, la préservation des ressources floristiques, la qualité de la production et le respect du consommateur"2

À la demande du syndicat, une grille d’enquête a été définie par C. Julliand en concertation avec un groupe de travail formé de membres du syndicat. A partir d’avril 2010, trois enquêteurs volontaires ont parcouru la France pour interroger les producteurs. 59 entretiens ont été enregistrés et 54 d’entre eux retranscrits. Les principaux thèmes abordés sont le parcours professionnel et personnel, l’activité de production et de transformation (culture et cueillette), les caractéristiques du métier de producteur-cueilleur, le rapport au territoire de vie et de production, à la nature et au végétal, au soin dans l’exercice du métier, l’acquisition et la transmission des savoirs et des savoir-faire et enfin les motivations, les valeurs, les attentes et les perspectives quant à leur métier et à leur "appartenance" au syndicat

. Emprunts d’une éthique qui se veut respectueuse de l’environnement, ces producteurs-cueilleurs sont en majorité des "petits" cueilleurs, œuvrant localement et commercialisant eux-mêmes leur production. La marque "Simples" dont l’attribution repose sur un système de contrôle en interne (auto-certification) valide l’adéquation des productions et des pratiques de chacun au cahier des charges du syndicat homologué en 1988 par le Ministère de l’Agriculture. Au terme de trente années d’existence, le syndicat a pris la mesure de la multiplicité des enjeux auxquels il était confronté, comme par exemple l’évolution des législations environnementales ou relatives à la vente de PAM en dehors des circuits pharmaceutiques, la raréfaction de certaines ressources, la formation au métier de producteur- cueilleur, l’intégration de jeunes producteurs ou la transmission des savoirs et savoir-faire. Il a alors entamé une réflexion sur sa spécificité au sein d’une profession en construction et organisé une enquête auprès de l’ensemble de ses adhérents afin de faire "l’état des lieux à la fois technique et sensible du métier". Il s’agissait donc "d’enquêter pour mieux se connaître, se reconnaître et penser l’avenir du Syndicat".

 présentation d’un tableau

Le corpus constitué par les enquêtes saisies a été analysé de façon à nourrir les trois grandes thématiques retenues. Pour chaque question, les mots-clés ont été dégagés et leur fréquence calculée. Les pourcentages présentés portent soit sur le nombre de citations (NC), soit sur celui des producteurs (NP). D’autres données relatives aux Simples ont été également mobilisés : les dossiers établis lors des contrôles internes réalisés en 2011 (109 producteurs), les comptes rendus des conseils d’administration et des assemblées générales et les données disponibles sur le site internet du syndicat.

Données "AFC"

L’AFC a été créée en 2011 suite à diverses initiatives menées depuis 2006 par un groupe de travail composé principalement de membres du syndicat Simples et de la Sicarappam, de représentants des structures interprofessionnelles (FNPPAM) et publiques (FranceAgriMer /Onippam) de soutien à la filière PPAM et de chercheurs mobilisés sur les problématiques de valorisation durable de la biodiversité. Elle vise à structurer la profession de cueilleurs des plantes sauvages en respectant la diversité de leurs pratiques afin de défendre leurs intérêts et de participer activement à la construction de filières d’approvisionnement durable (Julliand, 2012).

En janvier 2011, une journée de rencontre des cueilleurs professionnels de plantes sauvages a été organisée à l’initiative de deux de leurs représentants, (un membre de Simples et un de la Sicarappam) et de C.Julliand3

Les données obtenues (Julliand, 2011) permettent d’avoir une vision plus globale de la profession (diversité des pratiques et des acteurs) de cueilleur de plantes sauvages en France mais apportent également des précisions quant à la place des cueilleurs "Simples" et leur spécificité au sein de la profession et ce notamment à travers le regard porté sur leurs pratiques par les cueilleurs "hors Simples".

, Cette journée avait pour objectif de les faire débattre des évolutions et perspectives d’avenir de leur activité dans un contexte marqué par une évolution internationale et nationale des politiques de conservation et de nouvelles stratégies d’approvisionnement des secteurs utilisateurs d’ingrédients naturels. Ouverte à toute personne menant une activité de cueillette à des fins commerciales, cette rencontre a permis de réunir une quarantaine de cueilleurs issus de différentes "tendances" et structures de la cueillette professionnelle de plantes sauvages en France. A l’issue de cette réunion, les participants ont exprimé la volonté de s’engager dans un projet d’association visant à défendre les intérêts de la profession. Pour tenter d’identifier les perceptions de chacun, les débats se sont organisés autour de deux thématiques– le métier et la gestion des ressources prélevées. Ils ont donné lieu, un mois plus tard, à un compte-rendu des échanges transmis aux professionnels du groupe de travail et aux participants pour relecture et approbation.

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http://www.syndicat-simples.org/fr/Le-Syndicat-SIMPLES.htm

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Résultats

Les enquêtes n’ont pas été exploitées dans leur intégralité. Nous présentons les résultats disponibles à ce jour. Ils seront complétés et validés au moment de la présentation orale.

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