• Aucun résultat trouvé

Les circuits de proximité : modèle alternatif de distribution des produits biologiques ou vecteur de la conventionnalisation de l’agriculture biologique ?

Philippe Fleury, Carole Chazoule, Isara Lyon département Agriculture, Systèmes alimentaires et Territoires (Aster), Laboratoire d'Etudes Rurales. Agrapole

───────

Résumé.

L’agriculture biologique (AB) du fait de son histoire comme modèle alternatif à l’industrialisation de l’agriculture et du fait de sa réglementation, dont le point central est l'exclusion de l'usage de produits de synthèse (engrais et phytosanitaires), est considérée comme ayant un impact favorable sur l’environnement. Par ailleurs, l’AB est souvent associée à une notion de proximité entre le consommateur et le producteur, image largement véhiculée par les médias qui actuellement s’intéressent souvent aux circuits courts et à la forte présence de producteurs biologiques dans ceux-ci. La représentation fréquente de l’AB est tout à la fois celle d’une agriculture respectueuse de l’environnement et d’une agriculture de proximité contribuant à un développement local plus équitable. Mais les évolutions récentes de l’organisation des filières biologiques interrogent la capacité de l’AB à maintenir ces "avantages comparatifs". Depuis le début des années 1990, répondant à un fort potentiel de croissance, de nouveaux acteurs ont particulièrement contribué à l’extension du marché de l’AB. Le développement des secteurs de la transformation via notamment l’arrivée d’industriels issus de l’agriculture conventionnelle et l’allongement des circuits de distribution via la place croissante prise par les grandes et moyennes surfaces (GMS) ont favorisé une meilleure visibilité et accessibilité des produits biologiques sur les marchés. L’arrivée de ces nouveaux acteurs a aussi fortement fait évoluer les pratiques et les modes de coordination au sein des filières. Un mouvement de transition d’un mode de coordination domestique vers des modes de coordination plus industrialisés a ainsi été mis en évidence (Sylvander et al 2006).

Ces évolutions de l’AB ne sont pas spécifiques à la France, ni même à l’Europe, elles concernent également l’Amérique du Nord. Le débat y est particulièrement vif sur la "conventionnalisation" de l’AB et sur le risque que l’apparition de grands groupes agro- alimentaires (comme Wal-Mart aux Etats-Unis) se traduise par une modification des pratiques productives de l’AB et ce, dans un sens défavorable à leur durabilité (Buck and al., 1997 ; Guthman, 2004 ; Darnhofer et al., 2009 ; Stassart et Jamar, 2009). Selon la thèse de la conventionnalisation, l’AB serait de plus en plus interprétée comme un simple cahier des charges, se réduisant à une liste d'intrants autorisés. Elle serait aussi de plus en plus dominée par de grosses entreprises, dans la production comme dans la transformation et la distribution. Cette situation conduirait l’AB aux mêmes impasses que celles rencontrées par l’agriculture conventionnelle : concentration et spécialisation des exploitations, augmentation et recherche d’une meilleure efficience des intrants, dépendance des agriculteurs envers les fournisseurs, érosion des exigences de la réglementation, etc. En clair, le risque est de voir émerger une AB productiviste que l’on qualifie souvent par le terme de "Bio intensive".

Les tenants de la thèse de la conventionnalisation de l’AB mettent en avant le rôle des grands groupes de l’agro-alimentaire et affirment, en contrepoint, la capacité de systèmes de distribution fondés sur des relations de confiance, souvent directes, entre producteurs et consommateurs à assurer un développement de l’AB en accord avec ses principes fondateurs : principes de santé, d’écologie, d’équité et de précaution (IFOAM, 2005). Mais l’évolution des modes de mise en marché des produits biologiques ne peut pas se saisir en considérant seulement une dichotomie entre circuits courts, sans intermédiaire (ou avec un seul intermédiaire) entre producteur et consommateur et circuits longs, faisant intervenir de nombreux intermédiaires.

Nous observons en effet, le développement de nouvelles de formes de distribution intermédiaires entre circuits courts et circuits longs que l’on peut qualifier de "circuits de proximité": systèmes de paniers avec une logistique complexe, magasins collectifs de producteurs, plateformes pour la restauration collective, industries agro-alimentaires et grandes et moyennes surfaces (GMS) s’approvisionnant régionalement, etc. Ces circuits se différencient des circuits courts par leur plus grande complexité, leur échelle géographique pouvant être régionale et le nombre plus important d’intermédiaires. Il s’agit ainsi de gagner en efficacité et d’atteindre de nouveaux marchés (plus éloignés ou ayant des exigences fortes en termes de volumes ou d’homogénéité des lots). Pour autant, ces circuits se distinguent aussi des circuits longs, tout d’abord par leur ampleur plus réduite, mais aussi par la volonté de maintenir une proximité entre le producteur et le consommateur.

L’objectif de cette communication sera double :

• Analyser la diversité des circuits de proximité de la région Rhône-Alpes, du point de vue de leurs formes d’organisation et des acteurs parties prenantes d’une part et, d’autre part, du point de vue de leurs finalités économiques, sociales, éthiques ou environnementales ;

• Resituer ces résultats dans le débat sur la conventionnalisation de l’AB et la "Bio intensive" ou en d’autres termes voir si ces nouveaux circuits de proximité "tiennent leur promesses", c’est à dire maintiennent les avantages communément prêtés aux circuits courts (renforcement des liens entre les producteurs et les consommateurs, rémunération plus équitable des producteurs,

contribution au développement local et au développement durable (Maréchal 2008, Ministère de l’agriculture et de la pêche, 2009)) tout en proposant des solutions à un certain nombre de leur limites en matière d’efficacité et d’atteinte de nouveaux marchés.

Méthodes et cadre théorique

Ce travail repose sur une double approche :

• un travail de référencement de la diversité des circuits de proximité de la région Rhône-Alpes concernant les produits biologiques. Nous avons identifié plusieurs grands types de circuits : ceux organisés par la grande distribution lorsqu’elle cherche à s’approvisionner au niveau régional ; ceux impliquant le secteur agro-alimentaire, coopératives et industriels ; ceux initiés ou accompagnés par les collectivités locales pour leur restauration collective et enfin ceux issus d’initiatives paysannes ou consuméristes et qui sont souvent le fruit du développement de circuits courts.

• l’analyse détaillée de quatre circuits de proximité choisis de façon à saisir la diversité identifiée dans la phase de référencement. Nous avons retenu :

- une association d’une vingtaine de producteurs de produits biologiques mettant en commun leurs produits ;

- une plateforme collective virtuelle sous statut associatif permettant la collecte et la distribution des produits d’une cinquantaine de producteurs ;

- une PME d’une soixantaine d’employés spécialisée dans la confection de pains ;

- une PME d’une vingtaine de personnes produisant des plats transformés de type "traiteur", son approvisionnement est partiellement régional alors que sa clientèle est nationale ;

- nous n’avons pas d’étude de cas concernant la grande distribution. Ceci supposait un accès à des réseaux d’acteurs difficiles à motiver par une démarche de recherche, pour autant l’approche de référencement de la diversité régionale des circuits de proximité nous a permis de disposer d’un certain nombre d’information sur les stratégies de ces acteurs.

Pour chacun de ces quatre circuits de proximité nous avons associé :

• Une analyse de leurs supports de communication (documents, plaquettes, emballages des produits, sites internet) afin d’identifier les pratiques, le territoire et ses attributs éventuels, les valeurs mis en avant.

• Des enquêtes auprès des différents acteurs de ces circuits. Un total de 28 enquêtes a été réalisé auprès des animateurs, agriculteurs, gestionnaires, responsables d’entreprises, clients de ces circuits. L’objectif a été double, d’une part reconstituer les principales étapes de la construction et l’organisation actuelle de ces circuits, d’autre part recueillir les points de vue des différents acteurs sur ces circuits en particulier sur la façon dont ils qualifient leur proximité (géographique et organisée) et dont ils évaluent leurs avantages et leurs limites.

Nous rendons compte tout d’abord de la dynamique de construction et de l’organisation de ces quatre circuits en mobilisant les concepts de la sociologie de l’action organisée (Musselin, 2005) : diversité des acteurs impliqués, transformations de leurs référentiels respectifs, relations et règles qui se sont progressivement établies. Nous associons cette analyse des processus à une qualification de ces circuits en termes de proximités géographique et organisée (Rallet et Torre, 2004). Nous nous intéressons aux dispositifs relationnels qui se mettent en place pour compenser à la fois un éloignement géographique croissant entre producteurs et consommateurs mais aussi un certain desserrement de leur proximité organisationnelle du fait de l’apparition d’intermédiaires, transformateurs, transporteurs, distributeurs. Nous montrons la diversité de ces dispositifs (organisation de rencontres, visites d’exploitations, plaquettes, charte, contrats, etc.) Nous rendons compte tout autant des apports que des limites de ces dispositifs. Enfin, la discussion finale de la communication s’inscrira dans le cadre de la théorie de la conventionnalisation de l’AB et en mobilisera les concepts.

───────────────────────

Références bibliographiques

Buck D., Getz C., Guthman J., 1997. From farm to table: the organic vegetable commodity chain of northern California. Sociologia Ruralis, 37(1), 3-20.

Darnhofer, I., T. Lindenthal, et al., 2009. Conventionalisation of organic farming practices : from structural criteria towards an assessment based on organic principles. A review. Agronomy for Sustainable Development, 30(1), 67-81.

Guthman, J., 2004. The Trouble with "Organic Lite" in California : a Rejoinder to the "Conventionalisation" Debate. Sociologia Ruralis, 47(3), 301-316.

IFOAM, 2005. Les principes de l’agriculture biologique, 4p. http://www.ifoam.org/pdfs/POA_folder_french.pdf.

Lamine C. Bellon S., 2009. Transitions vers l’agriculture biologique. Pratiques et accompagnements pour des systèmes innovants. Quae / Educagri, 315 p.

Leroux B., 2011. Les agriculteurs biologiques et l’alternative. Contribution à l’anthropologie politique d’un monde paysan en devenir. Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales. 408 p.

Maréchal G., 2008. Les circuits courts alimentaires. Bien manger dans les territoires. Educagri, 213p.

Ministère de l’agriculture et de la pêche, 2009). Renforcer le lien entre agriculteurs et consommateurs. Plan d’action pour développer les circuits courts. http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/4p-CircuitsCourts.pdf.

Musselin C., 2005. Sociologie de l'action organisée et analyse des politiques publiques : deux approches pour un même objet ? Revue française de science politique, 55, 51-71

Rallet A., Torre A., 2004. Proximités et localisation. Economie rurale, 280, 25-41.

Stassart P.M., Jamar D., 2009. Agriculture biologique et verrouillage des systèmes de connaissances. Conventionnalisation des filières agroalimentaires bio. Innovations Agronomiques, 4, 313-328.

Sylvander B., Bellon S., Benoit M., 2006. Facing the organic reality: the diversity of development models and their consequences on research policies. Organic Farming and European Rural Development, 30-31, Odense (Danemark), 58-61.

Nouvelles formes d'agriculture

Pratiques ordinaires, débats publics et critique sociale

20-21 Novembre 2013 - AgroSup, Dijon

___________________________________________________________________

Outline

Documents relatifs