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des organisations agricoles "alternatives" au regard des rapports sociaux de sexe

Clémentine Comer, Doctorante en Science Politique au Centre de Recherche sur l'Action Politique en Europe, Rennes

clementinecomer@hotmail.com

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Résumé.

Travailler sur les trajectoires militantes d'agricultrices engagées dans des réseaux professionnels agricoles rend incontournable le questionnement de l'usage théorique et méthodologique de la relation entre genre, profession et militantisme. Le propos de cette communication vise à interroger la notion de "genre" comme ressource politique en y intégrant une lecture conjointe des discours professionnels et des pratiques militantes. Cette attention portée au caractère sexué des instances en charge de la défense d'une profession permet à la fois de contrecarrer le biais épistémologique qui, en oubliant de s'intéresser aux modes féminins d'organisation, a conduit à la multiplication des analyses postulant la sous-représentation chronique des femmes dans les instances, mais également, qui en se désintéressant de la transmission des héritages politiques agricoles féminins, à laisser un champ d'investigation scientifique vide.

Dans cette optique, nous proposons d'interroger le caractère paradoxal du discours paritaire défendu comme exception professionnelle par les mouvements agricoles alternatifs1

Notre réflexion sur le traitement des questions de genre au sein des instances professionnelles en charge de la promotion d'une nouvelle forme d'agriculture se déclinera sur deux terrains. Nous travaillerons de manière privilégiée sur les femmes en adoptant une une perspective relationnelle, c’est-à-dire en envisageant ce groupe de sexe comme le produit d’un rapport social. D'une part, nous nous appuierons sur une analyse diachronique des modes d'engagements d'agricultrices au sein de la Confédération Paysanne d'Ille- et-Vilaine à partir du dépouillement des archives syndicales

au regard de la réalité des divisions du travail professionnel et militant qui continuent de se départir en fonction de normes sexuées au sein de ces mouvements. En cela, notre étude sur les trajectoires militantes d'agricultrices permet de questionner le décalage entre le postulat rhétorique de l'existence de rapports naturellement égalitaires au sein des organisations professionnelles appartenant à la gauche paysanne et la réalité de la place accordée aux questions de genre dans leurs préoccupations, lesquelles sont quasi-absentes ou apparaissent de manière éparses. Cette contradiction est d'autant plus surprenante que se développe parallèlement dans ces organisations un discours sur la valeur ajoutée des mutations professionnelles engendrées par la féminisation du métier notamment du point de vue du renouvellement des pratiques et des valeurs. On voit en effet apparaître un argumentaire essentialiste, largement emprunté à l'idéologie de la complémentarité et à la croyance en la prétendue propension naturelle des femmes à l'écologie. Ces discours transformés en modèles professionnels deviennent progressivement des injonctions prenant la forme d'une triple assertion : des femmes au service d'une agriculture durable (l'écologie au sens de respect de la nature), humaine (écologie au sens d'attention au vivant, aux autres), et locale (écologie au sens de territoire et de proximité).

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et de témoignages d'agricultrices engagées. D'autre part, nous baserons notre réflexion sur des observations participantes réalisées lors de réunions de groupe de parole d'agricultrices au sein de la FDCIVAM3et et de l'AFIP4

Nous mobiliserons les biographies des agricultrices engagées dans ces différentes instances professionnelles. Une attention particulière sera portée à leurs trajectoires à la fois professionnelle, familiale et militante pour saisir comment elles se combinent et se co-déterminent. Étudier la cumulativité, simultanéité ou le décalage de ces différents niveaux permet en effet de relier la place et le statut des femmes sur l'exploitation mais aussi dans le giron conjugalo-familial aux cycles de leur engagement professionnel. De même, cette analyse croisée autorise le questionnement des liens entre les pratiques, représentations et idéologies professionnelles. Il s'agit de mettre en avant ce qu’il peut y avoir de commun entre les agricultrices d'un même collectif, "de façon à rapporter les logiques individuelles de l’accord politique entre militants aux conditions sociales de production d’un groupe politique"

de ce même département. Cette analyse territorialisée du militantisme, issue d'une recherche menée dans la cadre d'un travail de thèse, sera mise en lumière au regard des logiques partisanes plus générales portées par les structures organisationnelles agricoles sur les questions de genre.

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1

Terme emprunté à Estelle Déléage, "Les mouvements agricoles alternatifs", Informations sociales, n° 164, 2011, 44-50. .

2

Le degré d'informalité des "groupes femmes" fait qu'il n'existe que peu de leur traces dans les archives syndicales. Nous aurons donc recours à des entretiens avec d'anciennes militantes pour en reconstituer l'existence.

3

Fédération départementale des Centres d'Initiatives pour Valoriser l'Agriculture et le Milieu Rural.

4

Association de Formation et d’Information Pour le développement d’initiatives rurales.

5

Bruneau I., La Confédération Paysanne : s’engager à "juste" distance, Thèse de doctorat en science politique, sous la direction de Bernard Pudal, Université Paris X-Nanterre, soutenue en novembre 2006, 2 volumes, 627p

À partir de ces terrains, nous tâcherons d'analyser la carrière militante comme le résultat de l'articulation des trajectoires individuelles des agricultrices aux contraintes induites par le façonnage organisationnel et les attentes pesant sur les rôles militants. Nous verrons ainsi que l’espace des possibles militants offerts aux agricultrices dans les réseaux agricoles dit alternatifs dépend largement de la valorisation d'une culture militante rejetant la spécificité de la lutte féminine et reléguant les structures séparatistes, de type non-mixtes, parce qu’incompatibles avec la croyance en une égalité de fait. Les militantes qui parviennent à franchir les échelons hiérarchiques viennent elles-mêmes appuyer cet argumentaire en postulant que l'égalité entre femmes et hommes serait atteinte et que toute revendication des femmes apparaîtrait comme superflue, voire discriminante à l'égard des hommes. Aussi, les modes d'organisation féminins trébuchent sur des difficultés d'institutionnalisation et de visibilité au sein de ces organisations professionnelles. L'expérience des groupes de parole d'agricultrices reste largement reléguée, en témoigne sa faible inscription institutionnelle ; elle-même conditionnée par la peur de démarcation de la part des femmes, mais également par le caractère secondaire attribué à leur lutte. Les attributs individuels qui motivent l'engagement des agricultrices permettent alors de saisir cette illusion égalitaire. En effet, de nouveaux profils d'agricultrices se dessinent au sein des mouvements agricoles alternatifs, ces dernières étant pour la plupart non- issues du milieu agricole, très diplômées, et promotrices de nouvelles filières de production. Elles ont alors des trajectoires professionnelles originales qui participent au maintien de la croyance selon laquelle elles auraient des spécificités propres et apporteraient ainsi une nécessaire et saine mixité des approches dans un univers encore traditionnellement masculin.

Aussi, si de nouvelles identités professionnelles se sont forgées dans la résistance au modèle productiviste, en proposant un nouveau type de relations entre agriculture et société, cela ne se traduit pas nécessairement par une redéfinition de la vision de la complémentarité des sexes comme principe organisateur de la profession agricole. La revendication de l'autonomie individuelle portée par les agricultrices n'est pas nécessairement suivie par la volonté de changer les formes pratiques et institutionnelles d'exercices professionnels avec des finalités qui s'inscrivent dans une redéfinition du rôle des hommes et des femmes dans la société de manière plus générale. On retrouve ainsi de véritables pratiques discriminatoires propres aux principes différentiel et hiérarchique des rapports sociaux de sexe dans la formation des carrières militantes des agricultrices. Les sphères de prise de responsabilité des femmes dérogent peu à l'hyperspécialisation du travail militant qui reste largement inscrit dans une division sexuée du travail, rendant alors infranchissables le passage des sphères féminines, généralement peu valorisées, aux sphères légitimes généralement prises en charge par les hommes. L'invocation de l'exemplarité, permise par la valorisation de figures féminines exceptionnelles, vient également camoufler une faible présence des femmes dans les échelons supérieurs des organigrammes.

Le traitement politique des questions de genre au sein des organisations agricoles de la gauche paysanne permet également de tester les influences des changements de référentiels sociétaux sur les identités professionnelles agricoles. Dans la lutte pour la représentativité entre organisations agricoles, s'impose à la profession la nécessité de convaincre la puissance publique et ses clients de l’utilité sociale de son intervention. Aussi, la rhétorique égalitaire est utilisée comme mode de distinction d'une nouvelle identité professionnelle pour la gauche paysanne et permet de faire concorder les réalités des profils sociaux des nouvelles agricultrices avec les attentes de la société civile vis-à-vis de l'agriculture. En cherchant à se distinguer sur le terrain du progressisme politique, les mouvements de gauche postule alors une intégration "innée" des questions de d'égalité dans leurs structures, à la différence de leurs homologues de droite qui continueraient de concevoir de manière séparatiste l'engagement des femmes. Or, la gauche paysanne s'est tardivement emparée des dispositifs publics en faveur de l'égalité professionnelle, pourtant gages de mannes financières, restant en cela dans l'ombre des organisations agricoles majoritaires qui se sont rapidement positionnées sur ce créneau politique. Or, nous verrons que cet usage différé a des conséquences en termes de visibilité des revendications des agricultrices et de mise en place de programme d'action effectifs en faveur de la réduction des inégalités de genre

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Références bibliographiques

Bruneau I., 2010. Recomposition syndicale et constructions des collectifs militants. Presses de Sciences Po, Les mondes agricoles en politique, 217-240.

Bruneau I., 2006. La Confédération Paysanne : s’engager à "juste" distance. Thèse de doctorat en science politique, sous la direction de Bernard Pudal, Université Paris X-Nanterre, (2 volumes) 627p.

Deléage E., 2011. Les mouvements agricoles alternatifs. Informations sociales, 164, 44-50.

Guillaume C., Pochic S., 2007. La fabrication organisationnelle des dirigeants. Un regard sur le plafond de verre. Travail, Genre et Sociétés, 17, 79-103

Lagrave R.M. (dir), 1987. Celles de la terre, Agricultrice, l'invention politique d'un métier. EHESS.

Leroux B., 2011. Les agriculteurs biologiques et l’alternative. Contribution à l’anthropologie politique d’un monde paysan en devenir. Thèse de sociologie, EHESS.

Martin J.P., 2003. Histoire de la nouvelle gauche paysanne : Des contestations des années 1960 à la Confédération paysanne. La découverte, 312 p.

Salmona M., 2003. Des paysannes en France : violences, ruses et résistances. Cahiers du Genre, 35, 117-140.

Rieu A., 2004. Agriculture et rapports sociaux de sexe. La "révolution silencieuse" des femmes en agriculture. Cahiers du Genre, 37, 115-130.

Nouvelles formes d'agriculture

Pratiques ordinaires, débats publics et critique sociale

20-21 Novembre 2013 - AgroSup, Dijon

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