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À nouvelles formes d’agriculture nouvelles formes d’encadrement agricole ?

La production des "agents intermédiaires" au sein de l’espace social agrobiologique

Frédéric Nicolas, IEP Toulouse et GRIMS, Université Laval, Québec - frederic.nicolas@sciencespo-toulouse.fr

─────── Résumé

Constituée en alternative au modèle productiviste qui a émergé après la seconde guerre mondiale, l’agriculture biologique a été dès l’origine portée par des groupes d’agents dont l’ascendance agricole était faible (en ce sens que leurs parents et grands-parents n’étaient pas forcément agriculteurs) ; ces groupes d’agents – que l’on parle des pionniers reconnus comme tels (Masanobu Fukuoka, Rudolf Steiner, Raoul Lemaire, etc.), d’agents intermédiaires tels que les conseillers agricoles et les formateurs, ou des simples praticiens – sont notamment caractérisés par une forte dotation en capital culturel, capital scolaire et dans une moindre mesure en capital économique – typiquement des enseignants, des travailleurs sociaux, des scientifiques, des artistes, etc. L’arrivée de ces populations s’opère dès la fin des années 60 et le début des années 70 à un moment où la "crise de la reproduction agricole" - que l’on peut expliquer par une crise de la croyance en la nécessité de la reproduction (Champagne, 2002) mais également par le travail de sélection opéré par la profession agricole elle-même sous délégation de l’Etat (Jobert & Muller, 1987; Rémy, 1990) – a pour effets une diminution substantielle de la population d’actifs agricoles et des mouvements de population des zones rurales les moins ajustées à la doctrine développementaliste vers des bassins d’emploi situés en zones péri-urbaines, urbaines mais aussi parfois rurales- industrielles.

Cette configuration socio-historique, associée aujourd’hui et depuis le milieu des années 80 à une crise du modèle agricole productiviste, donne lieu à des conflits et/ou concurrences d’usage autour des espaces ruraux entre agriculteurs et néo-agriculteurs, entre ruraux et urbains, entre agriculteurs conventionnels et agriculteurs biologiques, etc. Les conséquences de ces conflits d’usage ont pu être étudiées sur le marché matrimonial (Bourdieu, 2002), sur le marché des loisirs (Bozon & Chamboredon, 1980; Chamboredon, 1982; Raison du Cleuziou, 2009) ou encore sur le marché de l’entraide (Sourdril & Georges, 2012). A l’exception notable des travaux de Marc Perrenoud et de Nicolas Rénahy (Renahy, 2010), les conséquences de ces conflits d’usage sur le marché du travail sont en revanche peu étudiées, y compris sur ce qui a longtemps constitué le principal marché du travail des zones rurales, à savoir le marché du travail agricole.

Or, l’arrivée de nouvelles populations d’actifs n’est pourtant pas sans conséquences sur ce marché car elle implique un travail de requalification de l’activité agricole autour d’injonctions à la multifonctionnalité et au développement durable mais également autour de revendications de bien-être au travail et de style de vie. De ce point de vue, il paraît important de questionner les manières dont s’opère le contrôle des vocations agricoles au niveau de l’encadrement mais également en pratique sur le terrain à travers l’incorporation par les agrobiologistes d’une culture professionnelle agricole en chantier. Nous proposons donc de revisiter la question essentielle de Jacques Rémy en nous intéressant à la production des systèmes de classement présidant au travail de sélection de "qui est agriculteur ?" (Rémy, 1990) en même temps qu’au processus de production des producteurs de classements – les "agents intermédiaires" (Grignon, 1971), soit les conseillers agricoles (Rémy, Brives, & Lémery, 2006), les référants techniques, les formateurs, les "vieux", etc. La production de ces agents intermédiaires – et donc d’un encadrement technique, administratif, économique et social des agrobiologistes – est en effet un enjeu dans la mesure où elle s’opère par la mise en tension de deux logiques en partie contradictoires – l’une endogène qui verrait les agrobiologistes se doter de leur propre encadrement et l’autre exogène qui verrait les agents "historiques" de l’encadrement agricole assurer cette fonction.

En menant une étude comparative entre la région Midi-Pyrénées et la province du Québec, nous entendons montrer que l’émergence d’agents intermédiaires ne relève pas tant d’un affrontement frontal et dogmatique entre deux conceptions irréconciliables de l’agriculture (agriculture biologique contre agriculture conventionnelle, agriculture durable contre agriculture productiviste, etc.), mais qu’elle est le produit d’une part, du système de dispositions des agents en concurrence (leur ascendance agricole, leur âge et leur âge dans le métier, leur capital scolaire, etc.), et d’autre part de leur position au sein des deux principaux espaces de production des réputations, à savoir le territoire (espace informel de production des réputations) et la profession (espace institutionnel de production des réputations). Notre communication reposera sur un travail de terrain consistant en des observations participantes auprès des agriculteurs biologiques, des entretiens semi-directifs avec les agents impliqués dans l’encadrement de l’agriculture biologique (formateurs, conseillers techniques, chercheurs, acteurs publics, mais également producteurs) et des observations dans les foires et salons techniques au Québec et en Midi-Pyrénées. ───────

Références bibliographiques

Bourdieu P., 2002. Le bal des célibataires crise de la société paysanne en Béarn. Seuil.

Bozon M., Chamboredon J.C., 1980. L'organisation sociale de la chasse en France et la signification de la pratique. Ethnologie française, 1.

Chamboredon J.C., 1982. La diffusion de la chasse et la transformation des usages sociaux de l'espace rural. Études rurales, 87-88, 233-260.

Champagne P., 2002. L'héritage refusé. La crise de la reproduction sociale de la paysannerie (1950-2000). Seuil. Grignon C., 1971. L'ordre des choses. Les fonctions sociales de l'enseignement technique. Éditions de Minuit.

Jobert B., Muller P., 1987. Deux exemples de politiques sectorielles. Grands corps et professions face aux politiques. In Jobert B., Muller P. (eds.), L'État en action. Politiques publiques et corporatisme. PUF, 79-118.

Raison du Cleuziou Y., 2009. L'invention de la chasse durable. Genèse d'une appropriation subversive des normes de développement durable par les chasseurs de la baie de Somme. In Villalba B. (ed.), Appropriations du développement durable. Émergences, diffusions, traductions. Presses Universitaires du Septentrion, 341-362.

Rémy J., 1990. Qui est agriculteur ? In Coulomb P., Delorme H., Hervieu B., Jollivet M., Lacombe P. (eds.), Les agriculteurs et la politique. Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 257-265.

Rémy J., Brives H., Lémery B. (eds.), 2006. Conseiller en agriculture. Inra/Educagri. Renahy N., 2010. Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale. La Découverte.

Sourdril A., Georges A., 2012. Du voisinage à la parenté : le "système à maison" aux prises avec le changement social dans le canton d’Aurignac. Ethnologie française, 42, 79-92.

Nouvelles formes d'agriculture

Pratiques ordinaires, débats publics et critique sociale

20-21 Novembre 2013 - AgroSup, Dijon

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Les pêches artisanales au cœur de nouvelles formes de contestation et de résistance :

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