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à une complexification de leur métier

IV.1. Décrire les pratiques pour mieux les connaître

IV.1.3. De rares descriptions de la nature et de la variété des

pratiques pédagogiques à l’université

La question de la définition des pratiques pédagogiques va de paire avec celle de leur nature et de leur variété. Quelques chercheurs se sont penchés sur la description de ces pratiques. Ainsi, en 1994, Altet procède à une analyse de cours magistraux tantôt enregistrés au magnétophone, tantôt filmés. Ce travail la conduit à constater que ces cours demeurent en grande majorité des « monologues expressifs ». Elle décrit de surcroît ceux-ci comme étant des « discours qui informent sans

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réelle communication avec l’auditoire », face auxquels les étudiants rencontrent nombre de difficultés, notamment pour maintenir leur attention ou pour prendre des notes. Elle constate par ailleurs que durant ces cours, l’enseignant fait comme si son public suivait son exposé (ce qui n’est pourtant pas le cas pour la moitié des étudiants) et établit peu le dialogue avec ces derniers puisque les questions qu’il pose à l’assemblée sont en majeure partie d’ordre rhétorique.

Plus récemment, Parpette (2002) s’est intéressée à l’impact de la prise de notes des étudiants sur la manière dont l’enseignant construit son discours. Cette recherche la conduit à qualifier le cours magistral de discours « oralographique », « dans la mesure où il met face à face un enseignant orateur et des étudiants scripteurs ». Elle observe que l’enseignant est le seul individu qui parle, les rares interventions des étudiants ne constituent que des « parenthèses » dans le déroulement du cours et « ne sont pas constitutives de l’organisation discursive du cours ».

D’autres travaux ont mené à une description plus fine des pratiques des enseignants. C’est dans ce cadre que Clanet (2001) s’est fixé pour objectif d’identifier la nature des «organisateurs des pratiques enseignantes en première année universitaire ». Ainsi a-t-il investigué dans les trois filières que sont AES, psychologie et SVT, sur trois sites : Dijon, Nantes et Toulouse. L’interrogation de 116 enseignants par questionnaire84 a permis à ce chercheur de mieux cerner les « pratiques déclarées», autrement dit celles que les enseignants déclarent mettre en œuvre durant leurs cours. A l’opposé, pour connaître ce qu’il nomme les «pratiques constatées », autrement dit les pratiques véritablement employées in situ par les enseignants, Clanet a mis en place un « dispositif étudiant-pilote », à travers lequel des étudiants témoins de la situation pédagogique recueillaient des informations, cela munis d’une grille d’observation. Les résultats obtenus concernant les cours magistraux à l’aide d’analyses multidimensionnelles le conduisent à révéler qu’il existe une réelle variété des pratiques enseignantes au premier cycle dans les filières dites de masse. Certes, l’exposé oral de l’enseignant durant son intervention reste la forme d’enseignement la plus couramment utilisée. De plus, les séquences durant lesquelles l’enseignant n’est plus un orateur mais un « organisateur et un gestionnaire du travail des étudiants » sont très peu nombreuses. Clanet montre néanmoins que plusieurs « familles de pratiques» peuvent être usitées dans le cadre d’un même type de cours, dans une même filière. C’est ainsi par exemple qu’en AES est mobilisée lors des cours magistraux la « conférence sans interaction » dans 59% des situations observées et la « conférence avec interaction » dans un peu plus d’un tiers des situations. Dans une moindre mesure (5%) une autre famille de pratiques regroupe les « cours durant lesquels ce sont les étudiants qui

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travaillent ». De même, en psychologie, la conférence sans interactions est de mise pour 43% des cours observés et celle avec interactions pour 55%. La réalisation d’une tâche de la part de l’étudiant à partir d’un document écrit n’a été observée que dans 2% des situations. Enfin, Clanet repère en SVT seulement deux familles de pratiques : la conférence sans interaction qui est de nouveau majoritaire (59%) et la conférence avec interactions (45%). Il conclut de ce fait à une réelle variété des pratiques enseignantes. Celle-ci est mise en avant dans le tableau synthétique qu’il réalise et dans lequel les pourcentages correspondent à la proportion de cours observés :

Tableau 3 : Synthèse des pratiques enseignantes en cours magistral (Clanet, 2001).

Sciences de la vie et de la terre (SVT)

24% 8% 21% 32% 15% Exposé oral de l’enseignant. Ce cours entraîne un travail particulier difficile. Les étudiants n’ont pas

tout compris. La demande des étudiants est de répéter. Réponses brèves. La prestation de l’enseignant a déplu. Certaines des conditions matérielles sont mauvaises. Exposé oral de type

conférence (pas de plan écrit). Les étudiants n’ont pas

repéré les points essentiels. Pas d’interaction. Les réponses de l’enseignant (répéter) sont intéressantes (compréhension de tous). Les étudiants sont

satisfaits. Ils ont tout compris. La prestation de l’enseignant a plu. L’ambiance était agréable. La conférence dans de bonnes conditions matérielles. Les étudiants écoutent. Pas d’interaction. Ce cours n’ouvre pas sur un travail

particulier.

Administration économique et sociale (AES)

25% 11% 5% 35% 24% La conférence. Peu d’échanges, réponses brèves. Ambiance agréable. Utilisation de techniques pédagogiques (audiovisuelles, facilitant la prise de

notes, plan écrit, etc.) Certaines conditions matérielles n’étaient pas bonnes. Encouragements à l’expression. L’enseignant organise clairement le travail des étudiants (en groupes au départ). Les étudiants expérimentent, résolvent, questionnent. Utilisation de polycopiés. Travail sur le raisonnement. La conférence sans interaction et dans de bonnes conditions matérielles. Mauvaises conditions matérielles. Les étudiants n’ont pas

tout compris. Ce cours leur a déplu, ils sont insatisfaits de son organisation.

Pas d’interaction.

Psychologie

2% 12% 31% 44% 11%

Le cours dure plus de 150 min, les étudiants travaillent sur un polycopié. Exposé oral (>120min), au tableau. Pas d’interaction. Le monologue, la conférence. Pas d’interaction. La conférence avec de rares interactions. La conférence interactive, dans de mauvaises conditions matérielles et dans une mauvaise ambiance.

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Source : Clanet (2001), Etude des organisateurs des pratiques enseignantes à l’université, p.345.

On constate à travers ce tableau que les pratiques pédagogiques pouvant s’apparenter aux méthodes actives semblent peu employées par les enseignants. Mais elles n’en sont pas pour autant moins variées et diffèrent notamment en fonction de la filière d’études.

Ces résultats sont congruents avec ceux de Boyer et Coridian (2002b). Ces derniers ont comparé, en procédant à des observations dans quatre universités parisiennes et deux universités provinciales, des pratiques du cours magistral en première année d’histoire et de sociologie. Tout comme Clanet, ils constatent que la « conférence monologue » est la forme d’enseignement la plus courante. Ils font par ailleurs état de certaines régularités dans les pratiques enseignantes : à titre d’exemple, presque tous les enseignants sont statiques, la plupart s’appuient sur des notes et dispensent le cours de façon plutôt lente. Mais leur recherche leur permet également de mettre en avant une hétérogénéité des pratiques. Celle-ci est notamment observable entre les filières. Ils rapportent ainsi par exemple que les sociologues « tentent

l’ouverture et l’interaction » avec les étudiants, tandis que les historiens préfèrent maintenir une certaine distance avec ces derniers. De manière générale, ils montrent que les historiens sont plus attachés à la forme traditionnelle de l’enseignement magistral, au contraire des sociologues qui, eux, sont plus soucieux de garder l’attention de leur public d’étudiants. Ces résultats ne signifient cependant pas que les pratiques employées par les enseignants sont toutes identiques au sein d’une même filière. D’ailleurs, prenant pour exemple le cas de la sociologie, ils avancent que les choix pédagogiques effectués au sein de cette filière, que sont tantôt la « présentation de

l’œuvre des pères fondateurs », tantôt la centration sur les « méthodes de l’investigation sociologique » ou bien encore « l’approche par les questions de société », pour faire découvrir la sociologie aux étudiants, sont notamment influencés par les ressources enseignantes locales, la manière dont les départements recrutent les étudiants, ainsi que par l’absence de consensus autour de critères définissant clairement le curriculum de sociologie. Or, des choix pédagogiques différents engendrent vraisemblablement des pratiques pédagogiques diverses. Ils ajoutent en outre que la quasi-absence de réglementation fixant les critères des diplômes a conduit à une grande variété « des modes d’organisation pédagogique » entre les établissements. On peut alors supposer que cela a entre autres conséquences des pratiques diversifiées.

En conclusion, la définition des pratiques pédagogiques doit être appréhendée par le prisme d’autres notions que sont celles de modèle et de méthode pédagogique. Les pratiques sont ici considérées comme étant un concept multidimensionnel désignant les moyens effectivement

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mis en œuvre par l’enseignant pour faire acquérir des connaissances aux étudiants. Si les définitions de ce que recouvrent en réalité ce terme sont peu nombreuses, il en est de même concernant la description de ces pratiques. Rares sont les auteurs à avoir effectué une recension des pratiques pédagogiques employées par les enseignants durant les cours magistraux. Pourtant, quelques travaux amènent à penser que celles-ci se réfèrent en majorité aux méthodes traditionnelles, à travers lesquelles l’enseignant se place au centre de la situation pédagogique, comme en témoigne la rareté des interactions entre enseignants et étudiants. Elles feraient toutefois aussi l’objet d’une certaine variété (Clanet, 2001 ; Boyer et Coridian, 2002b). De tels constats conduisent alors à s’interroger quant aux implications de ces pratiques sur la scolarité des étudiants, notamment en termes de motivation et de manières d’étudier.

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