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PRESENTATION DU CONTEXTE DE LA RECHERCHE

I.2. La première année universitaire au centre des débats

I.2.1. Un échec massif et des débats autour de celui-ci

D’après les chiffres communiqués par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en 2007, le constat est sans appel : à l’issue de la première année passée à l’université, seuls 48% des étudiants passent en deuxième année sans redoubler. Parmi ceux qui « échouent », 30% redoublent, 16% se réorientent et 6% abandonnent définitivement leurs

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études11. De même, Beaupère et al. constatent en 2007 que le taux d’obtention d’un DEUG deux ans après le baccalauréat n’est que de 37%, alors qu’il s’élève à 64% pour l’obtention du BTS et 57% pour le DUT. Si le DEUG n’existe plus aujourd’hui, ces chiffres montrent cependant qu’il semble difficile pour une majorité d’étudiants de voir leurs premières années d’études à l’université couronnées de succès. D’ailleurs, Felouzis (1997) considère que « l’organisation universitaire est en grande partie implicite, ce qui donne aux premiers pas à l’université l’aspect d’un parcours du combattant auquel ne survivent que les plus dotés scolairement, et ceux qui arrivent à décoder, avant les autres, la cohérence générale de l’institution et des cursus ». Ces termes de « parcours du combattant » et de « survie », habituellement plutôt associés au champ lexical de la guerre, témoignent de toute la difficulté rencontrée par les étudiants pour accéder à la réussite lors de leur entrée à l’université.

En effet, outre un taux élevé de redoublements, les abandons et réorientations, comme évoqué ci-dessus, sont nombreux : un an après leur entrée à l’université, seuls 64,4% des étudiants poursuivent dans la même discipline12. Ils sont un peu plus de 10% à se réorienter vers une autre filière universitaire et 25% ne se réinscrivent pas à l’université (MEN, 2010). En outre, 39% des sortants sans diplôme du système universitaire ont quitté l’institution dans l’année qui a suivi l’obtention du baccalauréat (Gury, 2007).

Néanmoins, les taux d’abandon et d’échec ne sont pas les mêmes selon la filière du baccalauréat obtenu. Les titulaires d’un baccalauréat professionnel ou technologique sont plus nombreux à échouer ou à abandonner en L1 que ceux ayant obtenu un baccalauréat général : « parmi les jeunes

décrocheurs titulaires d’un Bac professionnel ou technologique, la moitié d’entre eux ont déserté l’université au

bout de (ou pendant) la 1ère année après l’obtention du Bac » (Gury, 2007). De même, Lemaire (2007) constate que la moitié des détenteurs d’un baccalauréat technologique et près de deux titulaires sur trois d’un baccalauréat professionnel ne sont restés à l’université qu’une année. Par ailleurs, tandis que 42,6% des bacheliers généraux valident leur seconde année universitaire au bout de deux ans, ils ne sont que 7,3% dans ce cas parmi les bacheliers professionnels (Lemaire, 2000). Il a de plus été constaté que les garçons étaient plus nombreux à avoir arrêté les études, à s’être réorientés dans une filière courte et à avoir redoublé en L1 ou en L2. Seuls 29% des garçons

11Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. (2007). Plan pluriannuel pour la réussite en licence.

Document d’orientation. Repéré à http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20651/plan-pour-la-reussite-en-licence-730-millions-d-euros-d-ici-2012.html

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valident leur seconde année universitaire au bout de deux ans contre 41% des filles (Lemaire, 2000).

L’échec ne touche de surcroît pas toutes les filières dans de mêmes proportions : à titre d’exemple, alors que le taux de validation de la seconde année universitaire au bout de deux ans est de 55,4% en STAPS et de 53,3% en lettres, il n’est que de 27,8% en droit (Lemaire, 2000). Certes, les chiffres présentés ici datent des années 2000. Mais la situation semble avoir peu évolué depuis et des disparités entre filières existent aujourd’hui encore: à titre d’exemple, alors que 18,2% des étudiants inscrits dans les filières de santé quittent l’université à l’issue de la première année, ils sont 38,1% dans ce cas en AES, environ 37% en langues ainsi qu’en lettres, sciences du langage et arts et 34,8% en sciences humaines et sociales (MEN, 2012a).

L’observation de ces données laisse à penser que l’échec est un phénomène de grande ampleur, qui pourrait lui aussi être qualifié de masse. Cependant, certains chercheurs insistent sur la nécessité de relativiser ces chiffres et de s’interroger sur la définition de l’échec en lui-même. En effet, une réorientation peut-elle véritablement être considérée comme un échec ? C’est l’un des problèmes soulevés par Millet (2012). Ce dernier constate que tout retard, toute réorientation et toute sortie du système universitaire sont assimilés à un échec par le ministère. Il met alors en garde quant au fait que certains cas de figure, comme une sortie du système éducatif en raison d’un accès à un emploi stable, ne peuvent être véritablement considérés comme un échec pour l’individu. Millet considère de surcroît que toutes les populations ne sont pas comparables entre elles. A titre d’exemple, l’échec d’un étudiant qui s’est parallèlement inscrit à un concours, ou l’échec d’un étudiant présent à l’université dans une stratégie d’attente, ne doivent pas être traités de la même manière que l’échec d’un salarié reprenant ses études pour le plaisir. Par ailleurs, Leclercq et Parmentier (2011) avertissent quant au fait que les chiffres concernant l’échec prennent également en considération les étudiants non assidus, faussant ainsi les taux énoncés. Ce problème lié au mode de calcul du taux d’étudiants en échec est également soulevé par Millet (2012). Celui-ci s’appuie sur l’exemple de l’université de Poitiers, qui comptait 5149 étudiants en première année à la rentrée 2006. Il s’avère que 32,3% des individus ne se sont pas réinscrits à l’université l’année d’après et 15% ont redoublé. Cela ne signifie pas pour autant, d’après Millet, que 47,3% des étudiants ont échoué, puisque 89% ont poursuivi leurs études (à l’université ou dans un autre établissement) l’année suivante.

Finalement, Beaupère et Boudesseul (2009) proposent une typologie des étudiants sortant sans diplôme de l’université. Ainsi, ils repèrent :

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« Les studieux pris au dépourvu » : pensant avoir un bon niveau scolaire, ceux-ci se retrouvent confrontés, en raison d’une perte de repères, à un échec qu’ils n’avaient pas envisagé. Surmontant difficilement cette déconvenue, ils sont contraints de réajuster leurs ambitions professionnelles.

« Les raccrocheurs »: ces étudiants n’ont à l’issue de leur abandon pas vraiment le sentiment d’avoir échoué, mais prennent plutôt cette situation comme une expérience. Entretenant souvent déjà certains liens avec le monde du travail, ils parviennent rapidement à trouver une solution, celle-ci consistant d’ordinaire en une réorientation dans une filière plus courte, offrant la possibilité d’un apprentissage en alternance.

« Les opportunistes en emploi » : se disant là « en attendant», ils quittent l’université dès qu’ils se voient offrir l’opportunité d’entrer dans la vie active, souvent en acceptant un emploi précaire. Ils considèrent le temps passé à l’université comme leur ayant permis de réfléchir à un projet professionnel.

« Les décrocheurs en errance » : ayant déjà vécu (voire même subi) plusieurs réorientations, ces étudiants ne parviennent pas à s’investir pleinement dans leurs études, ni même dans une activité salariée. Leur échec aux examens n’a de cesse d’anéantir leur motivation et leur parcours une fois l’université quittée s’avère tumultueux.

On constate de nouveau à travers cette typologie que l’échec est une notion à considérer avec précautions. Bien que l’institution les déclare en échec, le ressenti de certains étudiants est différent : les « raccrocheurs » et les « opportunistes en emploi » considèrent davantage cette situation comme une expérience ou comme une stratégie d’attente, plutôt que comme un véritable échec. Néanmoins, si l’on ne peut systématiquement employer ce terme pour décrire la position des étudiants à l’issue de la première année universitaire, le fait est que ceux-ci sont malgré tout nombreux à ne pas directement accéder à la deuxième année de licence un an après l’obtention de leur baccalauréat. Or, cette situation implique certaines conséquences, financières notamment, qu’il est important de prendre en compte.

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I.2.2. Les conséquences en termes de coûts d’un échec13 en

première année universitaire

D’après la théorie du capital humain, initiée par Gary Becker en 1964 dans un ouvrage intitulé « Human capital», la poursuite d’études est vue comme «un acte d’investissement qui va contribuer à

accroître le stock de connaissances, capital immatériel de l’individu » (Gravot, 1993). Cet acte engendre donc un coût pour l’individu, pouvant également avoir certaines répercussions au niveau collectif (Etat et collectivités).

I.2.2.1. Les coûts pour l’individu et sa famille

L’éducation représente pour chaque individu qui en bénéficie un « investissement individuel » (Lévy-Garboua, 1976). Ainsi, que cela soit à l’école primaire ou bien dans l’enseignement supérieur, la poursuite d’études génère des coûts pour l’individu et par extension pour sa famille. Ces coûts sont, pour un nouvel entrant à l’université, de deux types :

 D’une part, l’étudiant doit prendre en compte les coûts directs que vont engendrer une année d’étude : les frais d’inscription, les fournitures scolaires ou encore le loyer. On estime en moyenne un loyer étudiant à 388 euros par mois (Beaupère et al., 2007). Globalement, ce montant représente 25% du budget d’un étudiant (toutes années et filières confondues). Le coût de l’alimentations’élève en moyenne à 190 euros par mois. Viennent ensuite les dépenses en transports (82 euros par mois) et en fournitures (32 euros par mois) (Beaupère et al., 2007). Si la collectivité aide les étudiants, nous y reviendrons par la suite, l’aide des parents et des autres membres de la famille constitue néanmoins la principale ressource monétaire : en moyenne 196 euros par mois (Beaupère et al., 2007). Si ces chiffres s’appliquent à l’ensemble des étudiants tous cycles confondus, ils n’en demeurent pas moins éloquents et l’on peut supposer que la première année universitaire engendre elle aussi un nombre important de frais directs.  Au-delà des coûts directs, la première année d’études universitaires a un coût

d’opportunité : il s’agit du salaire auquel renonce l’individu pour faire ses études. En

13Sont considérés ici comme étant en échec les étudiants inscrits en L1 qui ne passent pas en L2 à l’issue d’une année passée à l’université.

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effet, pendant qu’il est à l’université, il exerce une activité rémunérée réduite, voire nulle et renonce alors à toucher un salaire en chaque fin de mois. L’étudiant de première année a préféré renoncer à travailler après l’obtention de son baccalauréat pour investir dans son capital humain, dans l’espoir d’en retirer des gains futurs. Mais si l’année n’a pas été couronnée de succès, l’individu perd de l’argent, que cela soit du point de vue des coûts directs ou des coûts d’opportunité. De plus, une année redoublée retarde l’entrée de l’étudiant dans la vie active : il perd donc une année de salaire supplémentaire (Galand et al., 2005). Il faut ajouter à cela l’argentperdu par l’individu si la poursuite d’études ne conduit pas au résultat escompté, c’est-à-dire l’obtention d’un diplôme et donc par là même pour commencer la validation de la première année. Prenons un exemple : un individu qui échoue en L1 et qui abandonne les études aurait pu, s’il avait continué, obtenir une Licence et la rémunération qui accompagne ce niveau de diplômes sur le marché du travail.

Outre ces considérations financières, cette situation engendre également pour l’individu un coût moral à travers une perte de l’estime et de la confiance en soi, de ses repères, ou bien encore un dégoût des études supérieures. Galand et al. (2005) résument la situation comme suit : « l’échec

risque de mettre un frein à ses aspirations professionnelles ou intellectuelles, de remettre en question son image de lui-même et de limiter son accès à certains postes ou professions. »

L’ensemble de ces coûts, monétaires et non-monétaires, sont importants pour l’étudiant et sa famille. Cependant, ils le sont également pour l’Etat et les collectivités.

I.2.2.2. Les coûts pour l’Etat et les collectivités

La dépense intérieure d’éducation (DIE) est conséquente, puisqu’en 2011 elle représente 6,9% du PIB du pays, soit 137,4 milliards d’euros. Celle consacrée à l’enseignement supérieur constitue un peu plus de 20% de ce budget, soit 28 milliards d’euros (MESR, 2013). L’Etat, en prenant à sa charge en 2011 un peu plus de 70% des dépenses, représente le plus gros financeur de l’enseignement supérieur, les collectivités et les ménages participant tous deux respectivement à hauteur de 10,6% et 8,4%14 (MESR, 2013). De façon plus précise, il a été estimé qu’une année d’études à l’université coûtait en moyenne à la collectivité nationale 10 770 euros par étudiant et par an, ce coût étant d’ailleurs inférieur à ce qui est actuellement dépensé pour un étudiant de classe préparatoire : 15 080 euros (MESR, 2013). Outre la

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rémunération du personnel enseignant et non enseignant, ainsi que le paiement de l’entretien des locaux, l’Etat et les collectivités dépensent pour aider les étudiants : la bourse sur critères sociaux d’un montant maximal de 4 600 euros pour l’année 2011-2012 est perçue par 35% des étudiants inscrits à l’université en 2011-2012 (MESR, 2013). De plus, une partie d’entre eux se sont vu offrir la possibilité, jusqu’en 2014, de bénéficier de l’attribution d’une bourse au mérite pouvant atteindre 1 800 euros pour ceux ayant obtenu la mention très bien au baccalauréat. D’autres formes de soutien financier ont également été mises en place : le prêt étudiant garanti par l’Etat et dans un autre domaine, l’aide personnalisée au logement, participent au soutien financier des jeunes étudiants en contribuant notamment au paiement du loyer pour ceux ayant quitté le domicile familial. Quant aux régions, elles accordent au cas par cas des bourses annuelles, des aides au transport ou encore des prêts d’honneur.

Les dépenses effectuées par l’Etat et les collectivités pour les étudiants dans leur globalité sont donc conséquentes et le nombre d’inscrits en première année universitaire représente « un enjeu pécuniaire sensible» (Beaupère et al., 2007). L’échec d’un grand nombre d’étudiants en première année engendre alors de grandes pertes d’un point de vue économique. Il a de surcroît pour conséquence de retarder l’entrée de l’étudiant sur le marché du travail : l’Etat et les collectivités doivent alors endosser des frais pour soutenir l’individu durant une année supplémentaire si celui-ci redouble ou se réoriente et renoncer aux impôts qu’aurait payé le jeune si la réussite lui avait permis de s’engager plus tôt dans la vie active. En outre, cette situation contraint l’Etat et les collectivités à renoncer à certaines externalités non monétaires, tel qu’un certain prestige auprès des autres pays et par ce biais une meilleure compétitivité à l’échelle internationale.

Comme le résument finalement Danner, Kempf et Rousvoal, (1999), une année échouée à l’université a « un coût en termes de gaspillage économique et humain », cela autant pour l’individu et sa famille, que pour l’Etat et les collectivités. Aussi, devant l’ensemble de ces constats et face à l’ampleur de la situation, certaines politiques, comme celle du Plan Réussite en Licence, ont cherché à limiter l’échec.

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I.2.3. La promotion de la réussite à travers une politique récente

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