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Un rapport d’équivalence entre les crimes contre l’humanité et le jus cogens selon la jurisprudence de la CIDH

CHAPITRE III Le jus cogens

A. Un rapport d’équivalence entre les crimes contre l’humanité et le jus cogens selon la jurisprudence de la CIDH

Le rapport d’équivalence entre les crimes contre l’humanité, notion qui appartient au droit pénal international et qui est définie par l’article 7 du Statut de Rome, ainsi : « Aux fins du présent statut,

on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et

236 CIDH, “Affaire Manuel cepeda Vargas vs. Colombia”. Arrêt des exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens du 26 mai 2010.

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en connaissance de cette attaque : a) meurtre, b) extermination, c) réduction en esclavage, d) Déportation ou transfert forcé de population, e) emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international, f) torture, g) viol esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, h) persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour, i) disparitions forcées de personnes, j) crime d’apartheid, k) autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale » et le jus cogens va être construit tout au long de la jurisprudence de la

CIDH.

Avant d’analyser le contenu et les motivations de la jurisprudence de la CIDH, il importe de préciser son contexte. En effet les conditions de facto soumises à la Cour constituent, en grande majorité, des faits commis lors des dictatures ou de graves conflits internes qui ne se caractérisent pas comme étant des actes isolés ou individuels mais au contraire comme d’une : « attaque

généralisée ou systématique lancée contre toute population civile »237. Ainsi, par exemple en ce qui concerne le Pérou, la CIDH a pu, à maintes reprises, constater des violations telles que des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées issues du conflit entre les groupes guérilleros Sendero Luminoso ou Tupac Amaru et les forces de l’ordre péruviennes.

La barbarie de massacres contre la population civile a pu aussi être constatée par la CIDH dans des affaires telles que Las Dos Erres où 216 civils ont trouvé la mort dans des conditions inhumaines et dans le cadre « d’une politique d’Etat et de graves violations systèmatiques aux droits de

l’homme »238 ou encore dans le massacre de Mapiripan en Colombie où la CIDH a pu établir l’assassinat de 49 personnes par des groupes paramilitaires. Un des derniers arrêts qui portent sur

237 Article 7 Statu de Rome

238 CIDH, « Affaire Massacre des deux erres Vs. Guatemala », Arrêt d’exceptions préliminaires, fond, réparations, frais et dépens, Série C No. 211, 24 novembre 2009.

142 le contexte de violations systématiques des Droits de l’Homme est l’affaire Rio Negro vs. Guatemala où il a été déterminé que 93% des violations des Droits de l’Homme constatés provenaient de la responsabilité de l’Etat.

Bien que la CIDH ne soit pas une juridiction pénale, les juges ont considérés dans de nombreux cas qu’il était pertinent de qualifier certains faits comme constitutifs de crimes contre l’humanité, pour ainsi déterminer la portée de la responsabilité internationale ou encore pour préciser la portée de l’obligation d’enquête et de sanction de ces faits par l’ordre juridique interne des Etats. Au travers de sa jurisprudence, nous pouvons identifier quatre éléments permettant à la CIDH de caractériser les crimes contre l’humanité : le premier, que la victime des actes soit la population civile. Dans l’affaire le massacre El Mozote la Cour précise à ce sujet : « … la vérité est que

l’opération fut délibérément menée contre la population civile, car, bien que la zone de l’opération constituait une zone de conflit avec présence de militaires et du FMLN (Front Farabundo Marti pour la Libération Nationale), il a été clairement prouvé qu’au moment des faits la guérilla n’était pas présente et qu’il n’y avait pas de personnes armées. Cela est de plus évident s’il l’on tient compte que la majorité des victimes exécutées étaient des enfants, des femmes – certaines enceintes- et des personnes âgées ». Dans l’affaire Contreras, la Cour précise également :

« L’année 1980 est le début de plusieurs attaques contre la population civile ainsi que d’exécutions

collectives qui vulnérabilisent particulièrement la population rurale ».

Le deuxième élément est le caractère généralisé ou systématique de l’attaque. Dans l’affaire La Cantuta, la Cour affirme : « la particulière gravité des faits peut se constater au travers de

l’existence de toute une structure du pouvoir organisé et dans l’existence de procédures codifiées grâce auxquelles se sont réalisées des exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées. Il ne s’agissait pas de faits isolés ou sporadiques mais d’une ligne de conduite au travers d’une méthode d’élimination des membres ou des personnes suspectes d’appartenir à des organisations subversives, effectuée de façon systématique et généralisée par des agents étatiques ».

Le troisième élément est l’élément politique de la violation. Antonio Cançado précisait sur cet élément, que les actes sont : « commis par des individus mais en obéissant aux politiques étatiques,

avec un sentiment d’impuissance, tolérance, acquiescence ou indifférence du corps social qui ne fait rien pour empêcher la politique de l’Etat ». La Cour a affirmé dans l’arrêt Almonacid : « à

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partir du 11 septembre 1973 et jusqu’au 10 mars 1990 il y a eu une dictature militaire au Chili qui dans le cadre d’une politique d’Etat de semer la peur, a attaqué de façon systématique et massive plusieurs secteurs de la population civile considérés comme l’opposition du régime ».

Le dernier élément pour configurer un crime contre l’humanité est, selon la CIDH, le facteur subjectif, c’est-à-dire que l’auteur agit en connaissance de cause: « les graves faits furent commis

dans un contexte systématique de répression. Certains secteurs de la population civile qui étaient considérés par le gouvernement comme constituant l’opposition furent soumis à ces pratiques avec la pleine connaissance voire les ordres des plus haut gradés ainsi qu’avec l’acquiescement du pouvoir exécutif »239

Le rapport d’équivalence entre les crimes contre l’humanité et le jus cogens va être fait à partir de l’affaire Almonacid Arellano et autres c. le Chili. La Cour va analyser l’effet d’impunité de loi d’amnistie face aux crimes commis pendant la dictature militaire chilienne ainsi : « la réalisation

de crimes contre l’humanité y compris l’assassinat perpétré dans un contexte d’attaque généralisée ou systématique contre certains secteurs de la population civile, constitue une violation à une norme impérative du droit international. Cette interdiction de commettre des crimes contre l’humanité est une norme jus cogens et la pénalisation de ces crimes est obligatoire et imprescriptible en conformité avec le droit international général »240

Il importe de souligner qu’au moment où la Cour détermine l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, elle détermine aussi l’incompatibilité de ceux-ci avec l’application des lois d’amnistie -très présentes dans la région- qui bénéficient aux auteurs desdits crimes, lesquelles n’ont aucune validité. Les Etats qui continuent à les appliquer ne respectent pas leur obligation d’adapter leur droit interne afin de garantir les droits établis dans la Convention interaméricaine. En effet, les Etats ne peuvent pas se soustraire au devoir d’enquête, d’identification et de sanction des responsables des crimes contre l’humanité.

239 CIDH, « Affaire La Cantuta Vs. Pérou », Arrêt de fond, réparations, frais et dépens, Série C No. 162, 29 novembre 2006.

240 CIDH, “Affaire Almonacid Arellano y otros VS Chile”, Arrêt des exceptions prémiminaires, fond, réparations et dépens du 26 septembre 2006.

144 Postérieurement, dans l’affaire La Cantuta c. Pérou, la Cour réaffirme ce rapport d’équivalence en précisant: « les crimes contre l’humanité sont intolérables à toute la communauté internationale

car ils portent atteinte à l’ensemble de l’humanité. Les dommages occasionnés par ces crimes ne s’effacent pas ; ils restent présents pour la société nationale et pour la communauté internationale, qui exigent une enquête et des sanctions envers les responsables »241

En excluant la possibilité de faire usage de la prescription ou de l’amnistie, la ratification jurisprudentielle de la CIDH sur le caractère impératif des crimes contre l’humanité a eu pour conséquence de renforcer l’obligation des Etats à enquêter et à sanctionner les responsables. Elle a également modifié l’approche du juge national sur l’interprétation du le jus cogens en Amérique Latine.

B. L’impact de la jurisprudence régionale dans l’interprétation du juge national du jus

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