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Les faiblesses du modèle institutionnel intergouvernemental

LES ORIGINES DE L’ADAPTATION CONSTITUTIONNELLE SUD- SUD-AMERICAINE AU DROIT INTERNATIONAL

A. Les faiblesses du modèle institutionnel intergouvernemental

Adriane Lorentz définit ce modèle ainsi : « Dans un organe institutionnel intergouvernemental,

l’intérêt prédominant résulte de l’harmonisation des volontés individuelles des Etats membres, la structure institutionnelle n’est pas indépendante et le personnel représente les intérêts des Etats membres. La norme juridique produite dans le contexte d’intégration doit être intériorisée pour produire des effets juridiques ; il n’y a pas de primauté du droit communautaire sur l’ordre juridique national, ni d’applicabilité directe de ses dispositions »127

L’intergouvernementalité ne limite pas le pouvoir national, il n’y a pas de délégation de souveraineté, ses organes structurels doivent représenter autant d’intérêts que d’Etats membres. Sans aucune autonomie décisoire, la plus grande difficulté pour ces organes consiste à concilier les intérêts de chacun d’une façon harmonieuse et qui profite à la majeure partie des Etats membres. Parmi les multiples faiblesses de ce modèle d’intégration, le CEPAL a identifié cinq éléments majeurs qui fragilisent l’intégration intergouvernementale : « i) l’absence et la fragilité d’instances de résolution des litiges ; ii) les normes du droit communautaire n’entrent pas dans l’ordre interne des Etats ; iii) l’absence d’une efficacité institutionnelle ; iv) l’absence de coordination macroéconomique et v) l’absence de prise en compte des asymétries dans les schémas d’intégration »128

Après l’analyse du rapport du CEPAL, JC Fernandez conclut : « les modèles adoptés au début des

années soixante au sein de l’ALALC (aujourd’hui ALADI) ne semblent pas adaptés aux circonstances actuelles du commerce international. Les processus mis en place sont en décalage

127 LORENTZ Adriane et MELO Claudia, “Supranacionalidade no MERCOSUL”. Curitiba: Jurua, 2001, P.28

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avec le contenu du traité qui les a créés, c’est le cas de la Cuenca de la Plata et même du Mercosur »129

Mais malgré les constats sur les faiblesses de ce modèle, tous les organes d’intégration dans la région, ont mis en place un système institutionnel administratif et politique intergouvernemental et à ce jour, ce modèle s’avère insuffisant, car pour réussir l’intégration régionale il faut impérativement des actions coordonnées en matière de politiques externes et internes qui se concrétisent dans des secteurs sensibles tels que l’industrie ou encore la politique migratoire ou la dette externe.

Si nous comparons l’expérience sudaméricaine avec celle de la construction européenne, nous allons constater que les faiblesses du modèle intergouvernemental ont été dépassées en mettant en place un modèle supranational : « Le pilier Justice et Affaires intérieures (JAI) qui a également

rencontré des difficultés semblables, n’en est pas resté au stade de la coopération intergouvernementale. A l’origine conçu selon le modèle interétatique, ce troisième pilier fait une place prépondérante au Conseil des ministres, au sein duquel les décisions-cadres doivent non seulement être adoptées à l’unanimité, mais se voir privées de tout effet direct. Cependant, à l’instar du deuxième pilier, le mécanisme instauré ne va pas permettre à l’Union européenne d’avancer dans certains secteurs, comme il était prévu dans les traités. Il est clair que le Traité de Maastricht refusant en la matière tout pouvoir d’initiative à la Commission, ne permettait pas à cette institution de faire de nouvelles propositions, ce qui marque par là même toutes les limites que peut présenter l’intergouvernemental. Mais, le Traité d’Amsterdam va ouvrir la voie à la coopération renforcée et va également « communautariser » une grande partie des compétences du JAI. C’est en recourant à la clause passerelle de l’article 667, paragraphe 2 du traité instituant la Communauté européenne, qu’il transfère dans le pilier communautaire les politiques d’asile,

129 FERNANDEZ ROZAS J.C, “Los modelos de integración en América Latina y el Caribe y el Derecho internacional privado”. In Iberoamérica ante los procesos de integración. Actas de las XVIII jornadas de profesores de derecho internacional y relaciones internacionales, Madrid, BOE, 2000,PP.151-192.p.33

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d’immigration, de libre circulation des personnes et la coopération judiciaire en matière civile, les soustrayant ainsi des vicissitudes de la coopération interétatique »130.

Loin de réussir l’intégration régionale, le modèle intergouvernemental est à l’origine d’un phénomène de fractionnement dans la région. A ce propos, Josette Altamann affirme : « ce qui en

théorie est la forme plus simple d’intégration, est à l’origine de grandes scissions non seulement au sein des blocs régionaux, mais aussi au niveau de l’ordre interne des Etats qui n’ont pas réussi à concilier les différentes positions qui ont suscité les traités de libre commerce et en général sur les formes d’approcher la globalisation »131.

Effectivement, il y a une asymétrie constitutionnelle au sein de chaque Etat concernant leur approche de l’intégration régionale. Bien que la majorité des Etats aient opté pour des modifications constitutionnelles qui peuvent permettre un transfert de souveraineté, il existe deux Etats pour lesquels il est -dans l’état actuel de leur Constitution- impossible de songer à la supranationalité et qui conditionnent donc les processus d’intégration auxquels ils participent au modèle intergouvernemental. Il s’agit du Brésil et de l’Uruguay.

Le cas Brésilien est particulièrement intéressant car bien que l’article 4 de la Constitution pose le principe de l’intégration régionale : « la République du Brésil cherchera l’intégration économique,

politique, sociale et culturelle des peuples de l’Amérique Latine en approuvant la formation d’une communauté latinoaméricaine des nations », on trouve dans le corps constitutionnel brésilien

plusieurs limitations à ce principe. Ainsi par exemple, les articles 22, 23 et 24 consacrent la distribution des compétences entre les organes étatiques et au sein de ces articles il n’est prévu aucune modalité de transfert de souveraineté.

130 DELAS Olivier, « Vingt ans après : que reste-t-il du modèle communautaire d’intégration ? » In : Revue québécoise de droit international, hors-série décembre 2012. Atelier Schuman 2012. Les 20 ans de l’Union européenne, 1992-2012. P.10

131 ALTMANN BORBON Josette, “Integración en América latina: crisis de los modelos regionales y ausencia de certidumbres” in: la integración latinoamericana, visiones regionales y subregionales. Editorial Juricentro, observatorio para las relaciones Europa-América Latina, San jose, costa rica 2008. P 318

81 En ce qui concerne la Constitution Uruguayenne Daniel Alberto Sabsay affirme : « l’intégration

est consacrée dans les domaines social et économique pour l’Amérique Latine mais il est précisé que la participation de l’Uruguay se limite aux processus de type associatif et de coopération »132. Malgré ceci, ces deux Etats ont voulu participer à la dernière tentative d’intégration régionale en Amérique du Sud : l’UNASUR, créée grâce au traité constitutif de l’union de nations sudaméricaines en 2008. Il s’agit d’une organisation qui cherche à implanter un modèle d’intégration fondé sur la solidarité, la coopération, la souveraineté, la paix, le respect, la démocratie, le pluralisme, le développement 133avec des institutions telles que le Conseil Sudaméricain de lutte contre les stupéfiants, le Conseil de développement social et le Conseil Sudaméricain de l’éducation, science, culture et la technologie. Il importe de préciser que malgré des annonces d’une intégration profonde lors des sommets des Présidents des Etats membres, le contenu du Traité constitutif écarte la configuration de la supranationalité. Il s’agit d’un hybride juridique qui a les composantes d’un organisme de coopération politique mais avec des objectifs propres d’un organisme d’intégration.

Maria Angeles Cano précise à ce propos : « l’UNASUR » est considérée comme « l’intégration de

l’intégration ». Il importe de souligner que ce processus cherche à créer un lien entre les processus d’intégration déjà existants[…] ; il a une vocation d’intégration des peuples et ne se limite pas à l’aspect économique et pour cela nous pouvons affirmer que son objectif principal est l’accord commercial entre la Communauté andine et le MERCOSUR ainsi que l’intégration physique dans la région sudaméricaine et éventuellement la possibilité d’une intégration énergétique »134

Bien que l’Unasur fut créée selon un modèle intergouvernemental, la doctrine sudaméricaine attendait une évolution progressive de ses institutions vers une supranationalité sectorielle ou

132 SABSAY Daniel Alberto, “Integración y supranacionalidad sin considerar los desarrollos europeos recientes, bases constitucionales y límites. La experiencia del Mercosur”. In : simposio “process of european and global constiutionalization” Berlin, 15 mai 1999.Disponible en ligne :

http://www.farn.org.ar/wp-content/uploads/2014/06/art04.pdf.

133 Commission stratégique de réflexion, II sommet, 16 avril 2007 Cochabamba (Bolivie). Ces conseils ont été créés lors du III sommet de Présidents, le 10 aout 2008 à Quito Equateur.

134 CANO LINARES María Angela, “La unión suramericana de naciones: un ambicioso e innovador proceso de construcción de integración regional”. Revista electrónica iberoamericaina Vol. 4 no 1;2010. Disponible en ligne: https://www.urjc.es/images/ceib/revista_electronica/vol_4_2010_1/REIB_04_10_Angelines.pdf

82 fonctionnelle. Hélas, l’Unasur vit actuellement une crise sans précédents car six de ses Etats membres se sont retirés momentanément de l’organisation (l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Paraguay et le Pérou) en raison de l’impossibilité d’un accord pour désigner le Secrétaire de l’Unasur : « la crise de l’Unasur met en évidence la déconstruction sudaméricaine.

Sa structure laxiste certes très utile au début pour arriver au consensus de création de l’Unasur a fini par atteindre son unité. En effet, n’ayant pas des institutions à caractère supranational capable d’aller au-delà du caractère transitoire des projets intergouvernementaux, les autonomies nationales ont eu le dernier mot en délaissant l’autonomie régionale »135.

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