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Les faiblesses de la démocratie électorale

LES ORIGINES DE L’ADAPTATION CONSTITUTIONNELLE SUD- SUD-AMERICAINE AU DROIT INTERNATIONAL

A. Les faiblesses de la démocratie électorale

La démocratie électorale constitue donc la première manifestation de démocratie en Amérique du Sud. Au départ, cette démocratie comportait des limites, non seulement en ce qui concerne le droit de vote, mais aussi en ce qui concerne les choix politiques. Malgré cela, on ne peut pas nier que son inclusion au sein des Constitutions sud-américaines ait été précoce. Le suffrage universel et la pluralité politique ont également trouvé une reconnaissance au-delà des Constitutions nationales. En effet, ces deux principes ont aussi été réaffirmés par le droit international au travers de différentes déclarations et conventions. Dans la région, nous trouvons la Convention

Interaméricaine des Droits de l’Homme de 1969, qui a été ratifiée par l’intégralité des Etats

sud-américains37 et qui consacre dans son article 23 aux droits politiques : « 1. Tous les citoyens doivent

jouir des droits et opportunités suivantes : (…) b. voter et être élus dans des élections authentiques, réalisées au suffrage universel, égalitaire et au scrutin secret qui garantit la libre expression de la volonté des électeurs (…) »

L’instauration d’un suffrage universel, libre et à bulletin secret avec l’âge pour seule condition à l’accession au vote, et au minimum égal à deux et interdisant les partis uniques, sont les deux grands pas qui ont permis l’accession à l’égalité politique. Cependant, une fois que ces principes majeurs ont été posés avec l’objectif de garantir ne serait-ce qu’une démocratie électorale au sein

36 JACOME Francine, “Evolución/involución de la democracia en América Latina” Ildis Instituto Latinoamericano de Investigaciones Sociales. Septiembre 2010. P. 7. “ aquellas en las cuales se realizan elecciones universales limpias y secretas, hay autoridades electas, derecho a elegir así como el derecho a escoger entre más de un partido”.

37 L’Argentine le 5 septembre de 1984, la Bolivie le 19 juillet 1979, La Colombie le 31 juillet 1973, Le Chili le 21 août 1990, l’Equateur le 28 décembre 1977, Le Paraguay le 24 août 1989, Le Pérou le 28 juillet 1978, l’Uruguay le 19 avril 1985 et le Venezuela le 9 août 1977. Voir la Convention Interaméricain e des droits de l’homme –Pacto de Jose de Costa Rica.P 1.

30 des Etats, des éléments limitatifs à l’application de cette démocratie ont aussitôt été trouvés, tels que la fraude, la corruption et le clientélisme.

Nombreux sont les exemples dans l’histoire des Etats de l’Amérique du Sud qui témoignent des différents pièges dans lesquels la démocratie électorale pouvait tomber. Parmi les Etats qui ont vécu des conflits internes, nous pouvons citer la Colombie au sein de laquelle les deux partis traditionnels, le parti libéral et le parti conservateur, ont conclu un accord dénommé « le front

national », leur permettant, à partir de 1958 et jusqu’en 1974, de se succéder à la Présidence de la

République, limitant ainsi le choix du peuple colombien et entrainant la naissance des groupes guérilleros.

Si ce genre de coalitions politiques ne peut que nous scandaliser actuellement, l’obstacle le plus récalcitrant à la démocratie électorale de l’époque était la fraude électorale, entendue comme « la

conduite par laquelle, à travers le mensonge, la manipulation, la falsification, la distorsion, la dépouille, l'obstruction ou la violence, exercés dans n'importe quelle phase du processus électoral, se cherche à empêcher la célébration d'élections périodiques, libres et équitables, ou bien compromettre le caractère universel, égalitaire, libre et secret du vote citoyen »38.

En effet, l’imprévisibilité des résultats électoraux a semé la tentation de la fraude pour ainsi déterminer le vainqueur avant même les prémices du processus d’élection. Ce simulacre démocratique a été utilisé au Paraguay par Alfredo Stroessner qui a été élu huit fois consécutives de 1954 à 1988 lors d’élections pour le moins douteuses : « le général Stroessner a été porté à la

tête du Paraguay en 1954 par l’armée dont il était commandant en chef. Il se fait désigner candidat officiel et unique du parti au pouvoir, le vieux parti Colorado. Il est élu Président Constitutionnel. Confirmé à la présidence en 1958 par un plébiscite, il est ensuite reconduit tous les cinq ans avec une régularité d’horloge qui étonne sur ce continent. Tout aussi régulièrement, et tous les soixante jours, le gouvernement proroge l’état de siège qui n’est levé que le jour des élections. Dans ces consultations dont sont exclus les partis antidictatoriaux, une opposition « croupion » se voit

38 GOODWIN-HILL Guy, “Elecciones libres y justas. Derecho internacional y práctica” Unión Interparlamentaria; Ginebra, Suiza, 1994.

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reconnaître une place sinon honorable du moins permanente au parlement, ou elle reçoit automatiquement un tiers des sièges »39.

Le Chili a connu aussi des fraudes électorales. Augusto Pinochet voulait « légitimer » la Constitution de 1980, raison pour laquelle il convoqua un plébiscite pour que ce soit le peuple qui adopte une nouvelle Constitution qui lui était particulièrement avantageuse (car elle avait été rédigée par une assemblée militaire et préconisait entre autres choses une période présidentielle de huit ans pour Pinochet). Inutile de préciser que les résultats de l’élection ont été largement favorables à la dictature, à tel point qu’ils ont éveillé des soupçons de fraude électorale. En 1982, après un recensement de la population, il a été établi que « les majeurs de 18 ans au 11 septembre

1980 étaient 6.668.240 personnes, ce qui signifie que, pour l’approbation de la Constitution, 93,8% de la population pouvant exercer le droit de vote avait voté, chiffre en distorsion avec les tendances électorales du pays »40.

Voici deux exemples représentatifs d’élections maquillées dans lesquelles le discours démocratique est cyniquement utilisé pour perpétuer le pouvoir. Ainsi, la démocratie électorale ne dépend pas seulement de la mise en place physique d’élections mais aussi de la liberté de l’électeur de manifester son choix parmi une pluralité d’options.

L’omniprésence de la manipulation de la démocratie en Amérique du Sud a fini par engendrer un agacement généralisé qui est à l’origine de la formation de mouvements sociaux contestataires. Compte-tenu du régime dictatorial généralisé en Sud-Amérique, la violation des Droits de l’Homme est devenue systématique, témoins les chiffres ahurissants cités par M. Rouquié : « au

Brésil, en vingt et un ans, [il y a eu] 300 assassinats politiques, 125 « disparus », 1843 cas de torture. En Argentine, avec une population cinq fois moindre, une commission officielle a dénombré, entre 1976 et 1983, 8960 « disparus » dans les camps de détention clandestins de la

39 ROUQUIE Alain, « A l’ombre des dictatures. La démocratie en Amérique Latine » Editions Albin Michel 2010. P. 91.

40 GUEVARA Pilar, “El gran fraude de la historia: el plebiscito de la constitución de 1980”. Cambio21: “se realizó un censo de población que permitió despejar definitivamente las dudas y confirmar las sospechas. Se estableció así que los mayores de 18 años, al 11 de septiembre de 1980, eran 6.668.240 personas, lo que significa que para aprobar la Constitución habría votado el 93,8% de los electores habilitados, cifra ajena a toda tendencia histórica electoral del país”

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dictature. L’Uruguay, malgré le fait d’avoir été privé de démocratie, demeure une terre de modération. On y relèvera, dans les années quatre-vingt , des centaines de milliers d’exilés, 5000 prisonniers politiques mais seulement 22 « disparus ». Quant au Chili, le 11 septembre 1973, 3014 personnes y ont été exécutées par les forces de répression et 27000 ont été torturées dans les prisons de la dictature du général Pinochet ».41

Bien que chaque Etat d’Amérique du Sud ait connu des pathologies différentes, le chaos qui a régné pendant des lustres au sein des Etats a le même point de départ : le mépris des droits politiques. Ces Etats partagent également un phénomène qui peut être considéré comme le point final à l’indifférence de la démocratie électorale : la montée en puissance des sociétés civiles qui ont été une réponse naturelle aux crises politiques, sociales et économiques de l’époque.

C’est sous l’égide d’une réconciliation nationale qu’a eu lieu la transition démocratique en Amérique du Sud, mais pour l’atteindre il a absolument fallu réinstaurer l’acte fondateur de toute démocratie qui n’est autre que la démocratie électorale. Ainsi commença un nouveau défi pour les Etats d’Amérique du Sud : ériger la démocratie électorale comme une valeur universelle.

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