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L’adoption des valeurs universelles

LES ORIGINES DE L’ADAPTATION CONSTITUTIONNELLE SUD- SUD-AMERICAINE AU DROIT INTERNATIONAL

B. L’adoption des valeurs universelles

Si la notion de mondialisation est étroitement liée au volet économique de la globalisation, en ce qui concerne le volet des valeurs, l’approche est différente. En effet, dans la sphère des valeurs on ne retrouve pas le terme « mondial » mais « universel ». Cette différence n’est pas anodine et est clairement expliquée par Mme Delmas-Marty : « le sens des termes « universel » et « mondial »

diverge sérieusement. La mondialisation renvoie à la diffusion spatiale d’un produit, d’une

94 Discours de Hugo Chavez Frias XII sommet des chefs d’état et de gouvernement du groupe des quinze le 1 mars 2004: « Globalización que es hoy, además de realidad objetiva, arma de manipulación que pretende condenarnos a la pasividad, ante un Orden Económico Mundial que excluye a nuestros países del sur y los condena al eterno papel de productores de riquezas y receptores de migajas.

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technique ou d’une idée. L’universalité implique un partage de sens »95. Ainsi, la globalisation a voulu ancrer des valeurs communes au sein des Etats. Ces valeurs sont étroitement liées avec les Droits de l’Homme entendus, ainsi que le préconise le préambule de la Déclaration Universelle

des Droits de l’Homme comme « la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables [qui] constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde »96. Ces valeurs sont également étroitement liées à la démocratie, telle que développée dans le premier chapitre de la présente étude. Bien que l’Etat ait dû faciliter l’émancipation du marché, il doit, en ce qui concerne les valeurs universelles, être le pilier central non seulement de l’adoption de ces valeurs mais aussi de leur application et de leur respect. Dans le même ordre d’idées, la globalisation juridique a impliqué, pour les Etats sud-américains, une adhésion aux valeurs universelles. Cette adhésion s’est traduite par de multiples moyens. Ainsi, on constate l’inclusion grandissante des droits fondamentaux au sein des Constitutions sud-américaines. De plus, depuis les dernières réformes constitutionnelles, on s’aperçoit que le phénomène de la constitutionnalisation du droit international sous l’influence des Droits de l’Homme a pris de l’ampleur au sein de l’ordre juridique interne des Etats Sud-Américains. L’exemple le plus marquant en est le numéral 22 de l’article 75 de la Constitution Argentine qui accorde littéralement une hiérarchie constitutionnelle à « La Déclaration Américaine des Droits

et des Devoirs de l’Homme, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Convention Américaine des Droits de l’Homme, le Pacte International des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, le Pacte International des Droits Civils et Politiques et son protocole facultatif, la Convention sur la Prévention et la Sanction du Délit de Génocide, la Convention Internationale sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination Raciale, la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination contre la Femme, la Convention contre la Torture et d’autres traitement ou peines cruels, inhumains ou dégradants, la Convention sur les Droits de l’Enfant »97. Bien que les autres Constitutions sud-américaines restent plus timides sur la

95 DELMAS-MARTY Mireille, « Trois défis pour un droit mondial » Editions de Seuil, Paris, novembre 1998.P. 14.

96 Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. 10 Décembre 1948.

97 Article 75 No 22 Constitution de l’Argentine : «…La Declaración Americana de los Derechos y Deberes del Hombre; la Declaración Universal de Derechos Humanos; la Convención Americana sobre Derechos Humanos; el Pacto Internacional de Derechos Económicos, Sociales y Culturales; el Pacto Internacional de Derechos Civiles y Políticos y su Protocolo Facultativo; la Convención sobre la Prevención y la Sanción del Delito de Genocidio; la Convención

59 constitutionnalisation du droit international des Droits de l’Homme, toutes sans exception font référence dans leur corps normatif au traitement de faveur accordé aux traités internationaux concernant les Droits de l’Homme. Il s’agit d’une conséquence directe de la globalisation juridique que nous allons évoquer dans les chapitres suivants.

Dans l’adoption de ces valeurs universelles, le mot de rigueur est l’harmonisation. En effet, si on voit l’universalisation de ces valeurs comme l’adoption d’un sens, on ne peut pas faire référence à une imposition de ce sens mais plutôt à son adoption de plein gré. Ainsi, Mme Delmas-Marty nous explique que « plutôt que l’unification, elle suggère l’harmonisation des systèmes de droit, dans la

mesure où des différences sont admises (donc un certain relativisme), mais à condition d’être compatibles avec les principes fondateurs communs (ce qui préserve l’harmonie d’ensemble, donc l’universalisme) »98.

Cependant, on constate que la globalisation juridique, concernant l’adoption des valeurs universelles, n’est pas constituée seulement du volet de l’harmonisation. Pour les Etats sud-américains et plus généralement les pays en développement, l’adoption de ces valeurs universelles est également imposée par les organisations internationales au travers de différents moyens. Ainsi, les clauses démocratiques et des Droits de l’Homme sont incluses dans la plupart des traités de commerce. En effet, ce genre de clauses prévoit des sanctions pour les Etats ayant signé le traité qui ne respectent pas les principes démocratiques et les Droits de l’Homme. Ces clauses sont également composées d’un axe dédié à la promotion des Droits de l’Homme. Par exemple, l’Union Européenne, premier investisseur étranger en Amérique Latine, inclut automatiquement depuis 1990 la clause démocratique et des Droits de l’Homme (également connue sous le nom de clause de conditionnalité), clause qu’elle considère depuis 1992 comme un élément essentiel dans les relations commerciales avec des pays tiers (décision du 11 mai de 1992 du Conseil Européen relative aux relations avec les Etats participant à l’O.C.S.E99 ). Cette décision consacre le fait que : « le respect des principes démocratiques et des droits de l’homme inspire les politiques internes et

Internacional sobre la Eliminación de todas las Formas de Discriminación Racial; la Convención sobre la Eliminación de todas las Formas de Discriminación contra la Mujer; la Convención contra la Tortura y otros Tratos o Penas Crueles, Inhumanos o Degradantes; la Convención sobre los Derechos del Niño…”

98 DELMAS-MARTY Mireille, « Trois défis pour un droit mondial », Editions de Seuil, Paris, novembre 1998.P. 26.

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internationales des parties et constitue un élément essentiel du présent accord ». Ainsi, en

qualifiant la clause comme un élément essentiel du traité, les parties peuvent dénoncer ou suspendre l’exécution du traité en cas de violation de cette clause en invoquant l’article 60 de la convention de Vienne. Ce propos a été soutenu par la Cour de Justice qui, dans l’arrêt Portugal/conseil du 3 décembre 1996, affirme que la qualification « élément essentiel était un facteur important pour

exercer le droit à obtenir, en vertu du droit international, la suspension ou la cessation d’un accord de coopération au développement, lorsque le tiers n’a pas respecté les Droits de l’Homme »100. L’inclusion de cette clause au sein des accords commerciaux a suscité de nombreuses critiques. En effet, elle établit un lien direct entre le domaine commercial et le domaine des Droits de l’Homme qui fait partie des questions internes des Etats. Cependant, dans ses relations avec les Etats sud-américains, l’Union Européenne n’a, jusqu’à présent, pas activé la clause, et ce malgré des situations pour le moins inquiétantes sur le terrain des Droits de l’Homme et de la démocratie. Cet état de fait nous amène à penser que le premier objectif de ce genre des clauses n’est pas la sanction mais la promotion des Droits de l’Homme et de la démocratie. Ces clauses constituent surtout un moyen pour les acteurs internationaux de rappeler aux Etats sud-américains leurs limites et leur retard en matière de Droits de l’Homme et de démocratie. Ainsi, ces clauses ont pour but de tenter d’équilibrer la balance des droits au sein d’Etats certes démocratiques mais incapables d’assurer un niveau décent de liberté et de justice pour tous. Cette situation est malheureusement présente dans la plupart des Etats de l’Amérique du Sud où, comme l’écrit Antonio del Cabo, « une partie

considérable de la population est constituée de véritables marginaux exclus du marché formel de l’emploi, condamnés à la marginalité socio-économique, à la faim et contraints dans certaines occasions à travailler dans des conditions d’esclavage. Ces conditions les excluent, les empêchant d’être considérés comme des sujets de droit pouvant bénéficier des garanties fondamentales et des libertés consacrées par l’ordre constitutionnel. Pour eux, il n’y a pas de sécurité juridique ni de loi, seulement une protection relative qui dépendra des mécanismes du clientélisme politique voire policier. »101

100 CJCE arrêt Portugal/Conseil 3 décembre 1996, aff C-268/94, rec. P 1-6177

101 DEL CABO Antonio, “ Constitucionalismo, mundialización de soberanía. Algunos efectos en América Latina y en Europa” Publicaciones Universidad de Alicante.2000. p. 73: “ una parte considerable de la población está constituida por verdaderos parias excluidos del mercado formal de empleo, condenados a la marginalidad socio-económica, al hambre y en ocasiones a condiciones de trabajo esclavo. Esta condición prácticamente los excluye

61 Face à ce panorama désolant des inégalités, l’insertion des clauses de conditionnalité au sein des traités commerciaux reste un excellent moyen de renforcer l’adoption des valeurs universelles au sein des Etats.

II. Les effets de la globalisation dans le rôle externe des Etats sud-américains

La globalisation juridique n’a pas modifié seulement le rôle de l’Etat dans l’ordre juridique interne. En effet, l’essence même de la globalisation est l’interaction entre les différents acteurs internationaux. Dès lors, il est tout à fait naturel que des effets dans le rôle externe des Etats se soient manifestés. Dans cette situation, nous pouvons identifier deux grandes conséquences externes de la globalisation juridique :

- un accroissement de l’action extérieure des Etats compte-tenu de la perméabilisation des frontières qui a eu lieu pendant les dernières décennies. En effet, la gestion des affaires économiques et politiques n’est plus limitée à l’intérieur des Etats. De ce fait, les Etats sont contraints de développer des relations internationales pour suivre le mouvement de la globalisation ainsi que l’a rappelé Pierre de Senarclens : « les Etats

sont aujourd’hui de toute évidence confrontés à des nouvelles contraintes internationales et régionales, à la concurrence des nombreux acteurs non étatiques, à des interactions économiques et sociales et transnationales, à des mutations socioculturelles, qui affectent leur sécurité, l’orientation de leurs politiques publiques et leurs modalités d’exercer le pouvoir »102

como sujetos de derecho encuadrados en las garantías fundamentales y en las libertades establecidas por el orden constitucional. Para ellos, no existe la seguridad jurídica ni el imperio de la ley, solo las dadivas y la protección discrecionales que les deparen los mecanismos de clientelismo político e incluso policial”.

102 De SENARCLES Pierre, « Les frontières dans tous les Etats les relations internationales au défi de la

mondialisation ». Organisation internationale et relations internationales. Bruxelles établissements Emile Bruyant 2009. P. 1

62 - une remise en cause de notions juridiques extrêmement chères aux yeux des Etats, comme le concept de souveraineté, qui n’est pas sorti indemne du processus de globalisation juridique.

Ainsi, la définition classique donnée par Jean Bodin de « puissance absolue et perpétuelle d’une

république »103 va être soumise à une évolution des faits. En effet, la souveraineté, en tant qu’élément essentiel de l’Etat (entendu comme une : « collectivité humaine, vivant sur un territoire

déterminé sur lequel s’exerce une souveraineté »104) a indéniablement suivi la transformation du rôle étatique. De ce fait, la souveraineté a également évolué au niveau théorique. On trouve de²² nouvelles théories à son égard qui vont soit relativiser les effets de la globalisation sur la notion même de la souveraineté -pour les plus classiques-, soit remettre en question l’existence même de la souveraineté à l’heure de la globalisation actuelle -pour les plus osées-. Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que ce qui, jusqu’à il y a quelques décennies, était considéré comme un acquis non modifiable des Etats a subi bien des transformations, et cela même au sein des Etats qui ont traditionnellement eu un fort attachement à la conception classique de la souveraineté, tels que les Etats de l’Amérique du Sud.

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