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L’impact de la jurisprudence régionale dans l’interprétation du juge national du jus cogens

CHAPITRE III Le jus cogens

B. L’impact de la jurisprudence régionale dans l’interprétation du juge national du jus cogens

L’interprétation du jus cogens au sein de la jurisprudence nationale peut être classée en deux grands groupes selon qu’il s’agisse de crimes contre l’humanité ou non.

Dans la première catégorie, c’est-à-dire, dans celle qui concerne les crimes qui ne sont pas des crimes contre l’humanité, la jurisprudence n’est pas abondante, les juges constitutionnels ne faisant que très rarement référence au jus cogens.

Toutefois, deux arrêts de la Cour Constitutionnelle Colombienne y font référence. Le premier définit le jus cogens en reprenant l’article 53 de la Convention de Vienne ainsi : « en vertu de

l’article 53 de la Convention de Vienne de 1969 sur les droits des traités, nous entendons comme norme jus cogens ou norme impérative du droit international général « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble comme une norme qui ne peut pas être dérogée par un accord quelconque et qui peut seulement être modifiée par une norme

241 CIDH, « Affaire La Cantuta Vs. Pérou », Arrêt de fond, réparations, frais et dépens, Série C No. 162, 29 novembre 2006.

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du droit international général ultérieure qui présente le même caractère ». Au sein de ce même

arrêt la Cour Constitutionnelle colombienne reconnaît comme appartenant à ce genre de normes le droit international humanitaire car : « le droit international humanitaire est le fruit de pratiques

coutumières qui font partie du droit coutumier des peuples civilisés…Cette Cour, en concordance avec la doctrine et le jurisprudence internationale, considère que les normes du droit international humanitaire font partie du jus cogens »242

Dans le deuxième arrêt, la Cour constitutionnelle colombienne fait allusion au jus cogens en évoquant le principe d’égalité et de non-discrimination sans toutefois entrer dans des détails juridiques majeurs puisqu’elle se contente de citer l’avis consultatif OC-18 du 17 septembre 2003 de la CIDH pour justifier la reconnaissance du caractère impératif de ses principes243.

Le juge constitutionnel Argentin, à l’égal du juge colombien reconnaît le jus cogens en mentionnant plusieurs fois dans sa jurisprudence sa définition telle qu’établie aux termes de la Convention de Vienne de 1969. Ainsi, dans l’affaire Cabrera, Washington Julio Efrain v. Comision Tecnica Mixta de Salto Grande, la Cour Suprême de justice argentine précise que dans l’ordre interne le jus cogens est compris comme la : « norma impérative du droit international général, acceptée et reconnue

par la Communauté internationale des Etats ».

La jurisprudence du juge constitutionnel péruvien permet de constater que la position du juge face au jus cogens dépend de la nature du litige. Il a ainsi été amené à statuer sur la demande d’inconstitutionnalité de l’article 4 de la loi 26320 au motif qu’il interdisait l’accès à des aménagements de peine aux condamnés dans le cadre de délits aggravés de trafic de stupéfiants et que cette discrimination violait le principe d’égalité juridique devant la loi et le principe de non-discrimination, principes considérés comme des normes jus cogens par l’avis consultatif 18 du 17 septembre 2003 de la CIDH. Le tribunal a jugé que : « finalement, dans la mesure où le requérant

242 Cour Constitutionnelle Colombienne, « Revision constitucional del « Protocolo adicional a los Convenios de Ginebra del 12 de agosto de 1949, relativo a la protección de las victimas de los conflictos armados sin carácter internacional (Protocolo II) “ Hecho en Ginebra el 8 de junio de 1977 y de la Ley 171 del 16 de diciembre de 1994, por medio de la cual se aprueba dicho protocolo. Arrêt No. C-225/95 du 18 mai 1995.

243 Cour Constitutionnelle Colombienne.” Demanda de inconstitucionalidad contra los artículos 11 (parcial) y 42 del Tratado de Derecho Civil Internacional de 1889, Aprobado por Colombia mediante la Ley 33 de 1992” Arrêt No. C-821/12 du 18 octobre 2012.

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affirme que le sens des normes internes change à partir du moment où le principe de non-discrimination devient une norme jus cogens, il importe de préciser que ce principe [principe de

non-discrimination] est un des axes de l’ordre constitutionnel et que depuis la formation de l’Etat

social et démocratique de droit, le respect de cette norme-principe est indispensable et ses effets sont visibles dans tout l’ordre juridique »244

Le juge péruvien écarte donc la question sur le caractère jus cogens du principe de non-discrimination en affirmant qu’il s’agit d’un des soubassements juridiques de l’ordre interne. Si la jurisprudence constitutionnelle est parcimonieuse et peu audacieuse quand il s’agit de faire référence au jus cogens en général, elle est en revanche très abondante quand il s’agit de parler des crimes contre l’humanité, notamment au sein des Etats ayant connu des dictatures militaires. En Argentine, c’est en raison du caractère imprescriptible des crimes contre l’humanité que le juge a appliqué les principes de jus cogens plutôt que d’appliquer les principes du droit public national qui appliquent la non rétroactivité ou la prescription entre autres. Ainsi, dans l’affaire Arancibia le juge argentin qualifie le ius cogens comme étant un droit intemporel et rétroactif : « le caractère

impératif de ces normes permet une application rétroactive, en vertu du principe de l’actualité de l’ordre public international […] Face à un conflit entre le principe de non rétroactivité qui bénéficie à l’auteur d’un délit contre le ius gentium et le principe de rétroactivité des textes conventionnels sur l’imprescriptibilité doit prévaloir ce dernier, qui protège les normes impératives du jus cogens […]. Il faut préciser que pour cette Cour l’hypothèse de ce conflit est figurée, car les normes du jus cogens qui punissent les crimes contre l’humanité sont en vigueur depuis des temps immémoriaux »

Dans l’affaire Giroldi, le juge Argentin va réaffirmer la reconnaissance des caractéristiques propres du jus cogens : « le caractère jus cogens des crimes contre l’humanité implique son immunité face

à l’attitude individuelle des Etats. En conséquence, les traités conclus qui portent atteinte au jus cogens ne seront pas valables et les crimes contre l’humanité seront imprescriptibles. La fonction

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du jus cogens est de protéger les Etats des accords conclus contre les valeurs et les intérêts généraux de la communauté internationale des Etats dans son ensemble »245

Mais c’est l’affaire Simon qui va être décisive sur ce sujet. Joan Sanchez indique à ce propos : « Le

juge fédéral argentin Gabriel Cavallo dans l’affaire Simon, Julio, del Cerro, Juan Antonio s/ soustraction des mineurs de 10 ans, fonde sa décision de déclaration de nullité des lois d’impunité dans les normes du droit international. Bien que ces lois n’étaient plus en vigueur depuis 1998, elles avaient empêché le jugement et la sanction de responsables de crimes contre l’humanité commis pendant la dictature de Videla en Argentine. L’importance de cet arrêt réside d’une part dans la reconnaissance interne de l’existence coutumière de crimes contre l’humanité à l’époque des faits alors que cette reconnaissance n’était pas consacrée dans l’ordre juridique argentin et d’autre part dans la reconnaissance de son appartenance aux normes impératives du droit international général ou jus cogens qui n’admet pas l’application de formes de justice transitionnelle violatrices des droits des victimes et/ou de ses familles pour accéder à la justice »246.

Au Chili, la doctrine est unanime pour affirmer que la jurisprudence constitutionnelle reconnait le caractère jus cogens aux crimes contre l’humanité. Regina Diaz affirme en ce sens : « la

jurisprudence a eu l’occasion de se prononcer sur l’incorporation automatique et l’application obligatoire des principes jus cogens qui sont repris par la CICGLH, l’ETPI et la CIDFP, car le premier traité n’a pas été ratifié par le Chili, le deuxième fut récemment ratifié (2009) et le dernier en 2010. En conséquence, au moment des faits les traités n’étaient pas en vigueur au Chili. De l’analyse de ses arrêts, nous pouvons conclure que les juges justifient l’incorporation et l’application -du jus cogens- dans le respect du droit international général ou coutumier et aussi dans l’inclusion automatique au sein de la Constitution matérielle de la République du Chili des

245 Cour Supreme de justice, “ Affaire Giroldi” arrêt du 07 avril 1995.

246 SANCHEZ Joan, “ Corte interamericana, crímenes contra la humanidad y construcción de la paz en Suramérica” .Institut Catala Internacional per la Pau. Barcelona, mai 2010. P.50

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normes du jus cogens qui ont pour vocation l le renforcement de la protection des droits de l’homme »247

Gonzalo Aguilar confirme ces propos en précisant : « la Cour s’est clairement manifestée en

faveur du principe de l’imprescriptibilité de l’action pénale ainsi que de l’action civile quand elles sont la conséquence de faits constitutifs de crimes contre l’humanité, cela en application des normes jus cogens, car il s’agit de faits illicites inacceptables pour la conscience juridique universelle »248

Le caractère imprescriptible des crimes contre l’humanité est source de débat en Amérique du Sud. Au Pérou, le 249doyen du Collège des Avocats de Callao a présenté une demande d’inconstitutionnalité contre la résolution législative 27998 approuvant l’adhésion du Pérou à la convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, car le requérant considérait que la résolution avait été adoptée en dépit des articles 57 et 206 de la Constitution nationale qui prévoient une procédure d’amendement constitutionnel pour les traités qui sont contraires aux dispositions constitutionnelles avant qu’ils puissent être ratifiés par le Président de la République. Selon le doyen, la convention internationale était contraire à l’article 139 de la Constitution péruvienne qui prévoit la prescription pour toute classe de délits. Le tribunal constitutionnel a répondu que : « l’objet de ladite Convention est de donner aux Etats les

mécanismes nécessaires pour pouvoir enquêter et sanctionner les responsables présumés de graves violations aux droits de l’homme et au droit international humanitaire qui constituent des crimes de droit international répondant à l’obligation de prévention et de sanction du jus cogens ». Si

dans cette décision le juge fait référence aux normes jus cogens, il ne les définit pas pour autant. Cependant, le juge constitutionnel péruvien va développer sa position face au jus cogens dans le cadre du recours d’inconstitutionnalité présenté le 9 septembre 2010 par des députés à l’encontre des articles 1 et 2 du Décret législatif 1097. Ces députés considéraient que ces articles portaient

247 DIAZ TOLOSA Regina Ingrid, “Reconocimiento del ius cogens internacional en el ordenamiento jurídico chileno”. Tesis de grado. Pontificia universidad católica de chile. Santiago de Chile, Marzo 2013.p 159

248 AGUILAR CAVALLO Gonzalo, “La corte suprema y la aplicación del derecho internacional: un proceso esperanzador”. Estudios constitucionales, Ano 7, N°1, 2009 p. 130

149 atteinte au droit à l’égalité reconnu à l’article 2 de l’article 103 de la Constitution et à l’article 2 de la convention américaine des droits de l’homme en ce qu’ils n’étaient applicables qu’aux militaires et policiers accusés de violations de droits de l’homme. Selon le Tribunal constitutionnel : « la

nécessité d’établir la vérité, la procédure et la sanction ultérieure des responsables constituent une norme jus cogens, c’est-à-dire une norme impérative du Droit international ». Le tribunal précisait

également que tout accord contraire aux normes du jus cogens est nul en s’appuyant intégralement sur l’article 53 de la convention de Vienne: « il faut préciser que la règle d’imprescriptibilité des

crimes contre l’humanité n’est pas en vigueur dans l’ordre juridique péruvien en raison de l’entrée en vigueur de la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (9 novembre 2003) mais elle est en vigueur comme conséquence de l’application d’une norme impérative du droit international général[…] Ignorer cette obligation revient à ignorer le contenu constitutionnel en lien avec le droit fondamental à la vie comme une manifestation implicite du principe-droit à la dignité humaine, le droit fondamental à la tutelle juridictionnelle effective et du devoir de l’Etat de garantir les droits de l’homme ».

150 CONCLUSION DEUXIEME PARTIE

Les Etats sud-américains ne sont pas à laisse avec le droit international non conventionné, cela s’explique tout d’abord par leur tradition d’un droit écrit, en effet, contrairement au droit international non conventionné, les dix états objet de la présente étude n’ont pas connu de régime juridique non écrit.

Mais cette réticence est aussi justifié de façon unanime par la doctrine sud-Américaine du fait que les règles qui composent le droit international non conventionné furent crées avant la reconnaissance de la personnalité juridique des Etats sud-américains et pour cela les Etats de l’Amérique du Sud que ce soit au travers de la Constitution ou de la jurisprudence vont reconnaitre avec beaucoup de parcimonie et au cas par cas quelles sont les éléments du droit international non conventionné qui font partie de l’ordre juridique interne.

Si nous avons trouvé une reconnaissance presque généralisée de la Coutume internationale, les principes du droit international sont rarement reconnus et le Jus cogens a été presque limité aux droits de l’homme.

En effet, nous pouvons constater que chaque Etat Sud-Américain prend parmi la globalité du droit international non conventionné les éléments qui l’intéressent pour lui octroyer une reconnaissance constitutionnelle ou jurisprudentielle ou avant de la reconnaitre il va lui apporter une interprétation ou une limitation toute particulière qui va servir à conditionner sa reconnaissance dans l’ordre juridique interne.

151 TROISIEME PARTIE

LES METHODES DE FORMATION DU DROIT CONVENTIONNEL SELON LES

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